8 – Le calife
Autrefois dans Bagdad le calife Almamon
Fit bâtir un palais plus beau, plusmagnifique,
Que ne le fut jamais celui de Salomon.
Cent colonnes d’albâtre en formaient leportique ;
L’or, le jaspe, l’azur, décoraient leparvis ;
Dans les appartements embellis desculpture,
Sous des lambris de cèdre, on voyaitréunis
Et les trésors du luxe et ceux de lanature,
Les fleurs, les diamants, les parfums, laverdure,
Les myrtes odorants, les chefs-d’œuvre del’art,
Et les fontaines jaillissantes
Roulant leurs ondes bondissantes
À côté des lits de brocard.
Près de ce beau palais, juste devantl’entrée,
Une étroite chaumière, antique etdélabrée,
D’un pauvre tisserand était l’humbleréduit.
Là, content du petit produit
D’un grand travail, sans dette et sans soucispénibles,
Le bon vieillard, libre, oublié,
Coulait des jours doux et paisibles,
Point envieux, point envié.
J’ai déjà dit que sa retraite
Masquait le devant du palais.
Le vizir veut d’abord, sans forme deprocès,
Qu’on abatte la maisonnette :
Mais le calife veut que d’abord onl’achète.
Il fallut obéir, on va chez l’ouvrier,
On lui porte de l’or. Non, gardez votresomme,
Répond doucement le pauvre homme ;
Je n’ai besoin de rien avec mon atelier.
Et quant à ma maison, je ne puis m’endéfaire :
C’est là que je suis né, c’est là qu’est mortmon père,
Je prétends y mourir aussi.
Le calife, s’il veut, peut me chasserd’ici,
Il peut détruire ma chaumière ;
Mais, s’il le fait, il me verra
Venir, chaque matin, sur la dernièrepierre
M’asseoir et pleurer ma misère :
Je connais Almamon, son cœur en gémira.
Cet insolent discours excita la colère
Du vizir, qui voulait punir ce téméraire
Et sur-le-champ raser sa chétive maison.
Mais le calife lui dit : non,
J’ordonne qu’à mes frais elle soitréparée ;
Ma gloire tient à sa durée :
Je veux que nos neveux, en la considérant,
Y trouvent de mon règne un monumentauguste ;
En voyant le palais, ils diront, il futgrand ;
En voyant la chaumière, ils diront, il futjuste.