18 – La taupe et les lapins
Chacun de nous souvent connaît bien sesdéfauts :
En convenir, c’est autre chose ;
On aime mieux souffrir de véritables maux
Que d’avouer qu’ils en sont cause.
Je me souviens à ce sujet
D’avoir été témoin d’un fait
Fort étonnant et difficile à croire :
Mais je l’ai vu, voici l’histoire.
Près d’un bois, le soir, à l’écart,
Dans une superbe prairie,
Des lapins s’amusaient, sur l’herbettefleurie,
À jouer au colin-maillard.
Des lapins ! Direz-vous, la chose estimpossible.
Rien n’est plus vrai pourtant : unefeuille flexible
Sur les yeux de l’un d’eux en bandeaus’appliquait,
Et puis sous le cou se nouait.
Un instant en faisait l’affaire.
Celui que ce ruban privait de la lumière
Se plaçait au milieu ; les autresalentour
Sautaient, dansaient, faisaientmerveilles,
S’éloignaient, venaient tour-à-tour
Tirer sa queue ou ses oreilles.
Le pauvre aveugle alors, se retournantsoudain,
Sans craindre pot au noir, jette au hasard lapatte ;
Mais la troupe échappe à la hâte,
Il ne prend que du vent, il se tourmente envain,
Il y sera jusqu’à demain.
Une taupe assez étourdie,
Qui sous terre entendit ce bruit,
Sort aussitôt de son réduit
Et se mêle dans la partie.
Vous jugez que, n’y voyant pas,
Elle fut prise au premier pas.
Messieurs, dit un lapin, ce seraitconscience,
Et la justice veut qu’à notre pauvre sœur
Nous fassions un peu de faveur ;
Elle est sans yeux et sans défense :
Ainsi je suis d’avis… non, répond avec feu
La taupe, je suis prise, et prise de bonjeu ;
Mettez-moi le bandeau. – très volontiers, machère,
Le voici ; mais je crois qu’il n’est pasnécessaire
Que nous serrions le nœud bien fort.
– Pardonnez-moi, monsieur, reprit-elle encolère,
Serrez bien, car j’y vois… serrez, j’y voisencor.