12 – Le crocodile et l’esturgeon
Sur la rive du Nil un jour deux beauxenfants
S’amusaient à faire sur l’onde,
Avec des cailloux plats, ronds, légers ettranchants,
Les plus beaux ricochets du monde.
Un crocodile affreux arrive entre deuxeaux,
S’élance tout-à-coup, happe l’un desmarmots,
Qui crie et disparaît dans sa gueuleprofonde,
L’autre fuit, en pleurant son pauvrecompagnon.
Un honnête et digne esturgeon,
Témoin de cette tragédie,
S’éloigne avec horreur, se cache au fond desflots ;
Mais bientôt il entend le coupableamphibie
Gémir et pousser des sanglots :
Le monstre a des remords, dit-il : ôprovidence,
Tu venges souvent l’innocence ;
Pourquoi ne la sauves-tu pas ?
Ce scélérat du moins pleure sesattentats ;
L’instant est propice, je pense,
Pour lui prêcher la pénitence :
Je m’en vais lui parler. Plein decompassion,
Notre saint homme d’esturgeon
Vers le crocodile s’avance :
Pleurez, lui cria-t-il, pleurez votreforfait ;
Livrez votre âme impitoyable
Au remords, qui des dieux est le dernierbienfait,
Le seul médiateur entre eux et lecoupable.
Malheureux, manger un enfant !
Mon cœur en a frémi ; j’entends gémir levôtre…
Oui, répond l’assassin, je pleure en cemoment
De regret d’avoir manqué l’autre.
Tel est le remords du méchant.