Fables

3 – Le roi et les deux bergers

 

Certain monarque un jour déplorait samisère,

Et se lamentait d’être roi :

Quel pénible métier ! Disait-il :sur la terre

Est-il un seul mortel contredit commemoi ?

Je voudrais vivre en paix, on me force à laguerre ;

Je chéris mes sujets, et je mets desimpôts ;

J’aime la vérité, l’on me trompe sanscesse ;

Mon peuple est accablé de maux ;

Je suis consumé de tristesse ;

Partout je cherche des avis,

Je prends tous les moyens, inutile est mapeine ;

Plus j’en fais, moins je réussis.

Notre monarque alors aperçoit dans laplaine

Un troupeau de moutons maigres, de prèstondus,

Des brebis sans agneaux, des agneaux sansleurs mères,

Dispersés, bêlants, éperdus,

Et des béliers sans force errant dans lesbruyères.

Leur conducteur Guillot allait, venait,courait,

Tantôt à ce mouton qui gagne la forêt,

Tantôt à cet agneau qui demeure derrière,

Puis à sa brebis la plus chère ;

Et, tandis qu’il est d’un côté,

Un loup prend un mouton qu’il emporte bienvite.

Le berger court, l’agneau qu’il quitte

Par une louve est emporté.

Guillot tout haletant s’arrête,

S’arrache les cheveux, ne sait plus oùcourir,

Et, de son poing frappant sa tête,

Il demande au ciel de mourir.

Voilà bien ma fidèle image !

S’écria le monarque ; et les pauvresbergers,

Comme nous autres rois, entourés dedangers,

N’ont pas un plus doux esclavage ;

Cela console un peu. Comme il disait cesmots,

Il découvre en un pré le plus beau destroupeaux,

Des moutons gras, nombreux, pouvant marcher àpeine,

Tant leur riche toison les gêne,

Des béliers grands et fiers, tous en ordrepaissant,

Des brebis fléchissant sous le poids de lalaine,

Et de qui la mamelle pleine

Fait accourir de loin les agneauxbondissants.

Leur berger, mollement étendu sous unhêtre,

Faisait des vers pour son Iris,

Les chantait doucement aux échosattendris,

Et puis répétait l’air sur son hautboischampêtre.

Le roi tout étonné disait : ce beautroupeau

Sera bientôt détruit : les loups necraignent guère

Les pasteurs amoureux qui chantent leurbergère ;

On les écarte mal avec un chalumeau.

Ah ! Comme je rirais… ! Dansl’instant le loup passe,

Comme pour lui faire plaisir :

Mais à peine il paraît, que, prompt à lesaisir,

Un chien s’élance et le terrasse.

Au bruit qu’ils font en combattant,

Deux moutons effrayés s’écartent dans laplaine ;

Un autre chien part, les ramène,

Et pour rétablir l’ordre il suffit d’uninstant.

Le berger voyait tout, couché dessusl’herbette,

Et ne quittait pas sa musette.

Alors le roi presque en courroux

Lui dit : comment fais-tu ? Les boissont pleins de loups,

Tes moutons gras et beaux sont au nombre demille ;

Et, sans en être moins tranquille,

Dans cet heureux état toi seul tu lesmaintiens !

Sire, dit le berger, la chose est fortfacile ;

Tout mon secret consiste à choisir de bonschiens.

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