10 – L’habit d’Arlequin
Vous connaissez ce quai nommé de laferraille,
Où l’on vend des oiseaux, des hommes et desfleurs :
À mes fables souvent c’est là que jetravaille ;
J’y vois des animaux, et j’observe leursmœurs.
Un jour de mardi gras j’étais à la fenêtre
D’un oiseleur de mes amis,
Quand sur le quai je vis paraître
Un petit arlequin leste, bien fait, bienmis,
Qui, la batte à la main, d’une grâcelégère,
Courait après un masque en habit debergère.
Le peuple applaudissait par des ris, par descris.
Tout près de moi, dans une cage,
Trois oiseaux étrangers de différentplumage,
Perruche, cardinal, serin,
Regardaient aussi l’arlequin.
La perruche disait : j’aime peu sonvisage :
Mais son charmant habit n’eut jamais sonégal ;
Il est d’un si beau vert ! Vert !Dit le cardinal :
Vous n’y voyez donc pas, ma chère ?
L’habit est rouge assurément ;
Voilà ce qui le rend charmant.
Oh ! Pour celui-là, mon compère,
Répondit le serin, vous n’avez pas raison,
Car l’habit est jaune citron ;
Et c’est ce jaune-là qui fait tout sonmérite.
– Il est vert. – il est jaune. – il est rouge,morbleu !
Interrompt chacun avec feu,
Et déjà le trio s’irrite.
Amis, apaisez-vous, leur crie un bonpivert ;
L’habit est jaune, rouge et vert.
Cela vous surprend fort, voici tout lemystère :
Ainsi que bien des gens d’esprit et desavoir,
Mais qui d’un seul côté regardent uneaffaire,
Chacun de vous ne veut y voir
Que la couleur qui sait lui plaire.