Lettres choisies

31. – À Madame de Grignan

À Paris, vendredi 10ème avril1676. Plus j’y pense, ma bonne, et plus je trouve que je ne veux point vous voir pour quinze jours. Si vous venez à Vichy ou à Bourbon, il faut que ce soit pour venir ici avec moi.Nous y passerons le reste de l’été et l’automne ; vous me gouvernerez, vous me consolerez ; et M. de Grignan vous viendra voir cet hiver et fera de vous à son tour tout ce qu’il trouvera à propos. Voilà comme on fait une visite à sa maman que l’on aime, voilà le temps que l’on lui donne, voilà comme on la console d’avoir été bien malade, et d’avoir encore mille incommodités, et d’avoir perdu la jolie chimère de croire être immortelle comme elle le croyait effectivement ; présentement,elle commence à se douter de quelque chose, et se trouve humiliée jusqu’au point d’imaginer qu’elle pourrait bien passer un jour dans la barque comme les autres, et que Caron ne fait point de grâce.Enfin, au lieu de ce voyage de Bretagne que vous aviez si envie de faire, je vous propose et vous demande celui-ci. Mon fils s’en va ; j’en suis triste, et je sens cette séparation. On ne voit à Paris que des équipages qui partent. Les cris sur la nécessité sont encore plus grands qu’à l’ordinaire, mais il n’en demeurera aucun, non plus que les années passées. Le Chevalier est parti sans vouloir me dire adieu ;il m’a épargné un serrement de cœur, car je l’aime sincèrement. Vous voyez que mon écriture prend sa forme ordinaire. Toute la guérison de ma main se renferme dans l’écriture ; elle sait bien que je la quitterai volontiers du reste d’ici à quelque temps. Je ne puis rien porter. Une cuillère me paraît la machine du monde, et je suis encore assujettie à toutes les dépendances les plus fâcheuses et les plus humiliantes que vous puissiez vous imaginer, mais je ne me plains de rien, puisque je vous écris. La duchesse de Sault me vient voir comme une de mes anciennes amies ; je lui plais. Elle vint la seconde fois avec Mme de Brissac. Il faudrait des volumes pour vous conter les propos de cette dernière ; la Sault vous plairait et vous plaira. Je garde ma chambre très fidèlement, et j’ai remis mes Pâques à dimanche, afin d’avoir dix jours entiers à me reposer. Mme de Coulanges apporte au coin de mon feu les restes de sa petite maladie ; je lui portai hier mon mal de genou et mes pantoufles. On y envoya ceux qui me cherchaient :ce fut des Schomberg, des Senneterre, des Cœuvres, et Mlle de Méri, que je n’avais pas encore vue. Elle est, à ce qu’on dit, très bien logée ; j’ai fort envie de la voir dans son château. La famille de Montgobert est fort en peine d’elle. Mandez-moi comme elle se porte. Ma main veut se reposer ; je lui dois bien cette complaisance pour celle qu’elle a pour moi. DE CHARLES DE SEVIGNE Je vais partir de cette ville, Je m’en vais mercredi tout seul à Charleville, Malgré le chagrin qui m’attend. Je n’ai pas jugé à propos d’achever ce couplet, parce que voilà toute mon histoire dite en trois vers.Vous ne sauriez croire la joie que j’ai de voir ma mère en l’état où elle est. Je crois que vous serez aussi aise que je le suis quand vous la verrez à Bourbon où je vous ordonne toujours de l’aller voir. Il me semble qu’aucune raison ne vous en doit empêcher, pas même celle du ménage que je comprends parfaitement bien, et vous pourriez fort bien revenir ici avec elle en attendant que M. de Grignan vous rapportât votre lustre et fit reparaître comme la gala del pueblo, la flor del abril. Si vous suivez mon avis, vous serez bien plus heureuse que moi ;vous verrez ma mère, sans avoir le chagrin d’avoir à la quitter dans deux ou trois jours, lequel chagrin est d’ordinaire accompagné de plusieurs autres qui sont aisés à deviner. Enfin, me revoilà encore guidon, guidon éternel, guidon à barbe grise. Ce qui me console, c’est que, quoi qu’on dise, toutes les choses de ce monde prennent fin, et qu’il n’y a pas d’apparence que celle-là seule soit exceptée de la loi générale. Adieu, ma belle petite sœur,souhaitez-moi un heureux voyage. Je crains bien que l’âme intéressée de M. de Grignan ne vous en empêche ;cependant je compte comme si tous deux vous aviez quelque envie de me revoir. Bonjour, ma petite Dague. Adieu, ma chère bonne. J’embrasse le Comte et le conjure d’entrer dans mes intérêts et dans les sentiments de ma tendresse. Je baise les pichons et vous, ma très belle et très chère.

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