Lettres choisies

34. – À Madame de Grignan

À Paris, mercredi 16ème juin1677. Cette lettre vous trouvera donc à Grignan, ma très bonne et très parfaitement chère. Eh, mon Dieu ! comment vous portez-vous ? M. de Grignan et Montgobert ont-ils tout l’honneur quels espéraient de cette conduite ? Je vous ai suivie partout, ma bonne ; votre cœur n’a-t-il point vu le mien pendant toute la route ? J’attends encore de vos nouvelles de Chalon et de Lyon. Je viens de recevoir le petit billet du grand M. des Issarts. Il vous a vue et regardée ; vous lui avez parlé, vous l’avez assuré que vous êtes mieux. Je voudrais que vous sussiez comme il me paraît heureux, et ce que je ne donnerais point déjà pour avoir cette joie. Il faut penser, ma bonne, à se guérir l’esprit et le corps ; et que vous vous résolviez, si vous voulez ne plus mourir, dans votre pays et au milieu de nous, à ne plus voir les choses que comme elles sont, ne les point augmenter et ne les point grossir dans votre imagination, ne point trouver que je suis malade quand je me porte bien, ne point retourner sur un passé qui est passé, ni voir un avenir, qui ne sera point. Si vous ne prenez cette résolution, on vous fera un régime et une nécessité de ne me jamais voir. Je ne sais si ce remède serait bon pour vos inquiétudes ; pour moi, je vous assure qu’il serait indubitable pour finir ma vie. Faites sur cela vos réflexions.Quand j’ai été en peine de vous, je n’en avais que trop de sujet ; plût à Dieu que ce n’eût été qu’une vision ! Le trouble de tous vos amis et le changement de votre visage ne confirmaient que trop mes craintes et mes frayeurs. Tâchez donc de guérir votre corps et votre esprit, ma chère enfant. C’est à vous à travailler à tout ce qui peut faire votre retour aussi agréablement que votre départ a été triste et douloureux. Car pour moi, qu’ai-je à faire ? À me bien porter ? je me porte très bien. À songer à ma santé ? j’y pense pour l’amour de vous. À ne me point inquiéter de vous ? c’est de quoi je ne vous réponds pas, ma bonne, quand vous serez en l’état où je vous ai vue. Je vous parle sincèrement : travaillez là-dessus. Et quand on me vient dire présentement : « Vous voyez comme elle se porte, et vous-même, vous êtes en repos ; vous voilà fort bien toutes deux. » Oui, fort bien, voilà un régime admirable ! Tellement que, pour nous bien porter, il faut être à deux cent mille lieues l’une de l’autre ! Et l’on me dit cela avec un air tranquille ! Voilà justement ce qui m’échauffe le sang et qui me fait sauter aux nues. Ma chère bonne,au nom de Dieu, rétablissons notre réputation par un autre voyage,où nous soyons plus raisonnables, c’est-à-dire vous, et où l’on ne nous dise plus : « Vous vous tuez l’une l’autre. »Je suis si rebattue de ces discours que je n’en puis plus ; il y a d’autres manières de me tuer qui seraient bien meilleures. Je vous envoie ce que m’écrit Corbinelli de la vie de notre Cardinal et de ses dignes occupations. M. de Grignan sera bien aise de voir cette conduite. Vous aurez trouvé de mes lettres à Lyon, ma bonne. J’ai vu le Coadjuteur ; je ne le trouve changé en rien du tout. Nous parlâmes fort de vous. Il me conta la folie de vos bains, et comme vous craignez d’engraisser. La punition de Dieu est visible sur vous ; après six enfants, que pouviez-vous craindre ? Il ne faut plus rire de Mme de Bagnols après une telle vision. J’ai été à Saint-Maur avec Mme de Saint-Géran et d’ Hacqueville. Vous fûtes célébrée ; Mme de La Fayette vous fait mille amitiés. Dites un mot à La Troche sur ce qu’elle vous écrivit dans ma lettre. J’espère que vous aurez écrit un mot au Cardinal, dont le soin et l’inquiétude n’est pas médiocre. Monsieur de Grignan, je crois que vous m’aurez répondu. Comment notre poitrine se porte-t-elle ? Le sang court-il toujours trop vite dans notre cœur ? Avons-nous de la chaleur ? Sommes-nous oppressée ? Le ton de notre voix est-il étouffé ? Dormons-nous ? Mangeons-nous ?N’amaigrissons-nous point ? Je vous assure qu’en vous disant tout ceci, je vous ai parlé de mon unique affaire. J’en ai de petites, misérables, qui m’arrêtent encore pour quelques jours.Après cela, je baise les mains à la princesse et à la Marbeuf ; je m’en vais à Livry. J’en meurs d’envie. J’étais un peu échauffée ; les fraises m’ont entièrement rafraîchie et purgée. Si elles vous étaient aussi bonnes, il ne faudrait pas y balancer. Vous êtes bien aise de voir les petits garçons et Pauline. Parlez-moi d’eux et de la santé de Montgobert, qui m’est très chère. Monsieur et Madame sont à une de leurs terres,et iront à l’autre ; tout leur train est avec eux. Le Roi ira les voir, mais je crois qu’il aura son train aussi. La dureté ne s’est point démentie ; trouvera-t-on encore des dupes sur la surface de la terre ? On attend les nouvelles d’une bataille à sept lieues de Commercy. M. de Lorraine voudrait bien la gagner au milieu de son pays, à la vue de ses villes.M. de Créquy voudrait bien ne la pas perdre, par la raison qu’une et une sont deux. Elles sont à deux lieues l’une de l’autre, non pas la rivière entre-deux, car M. de Lorraine l’a passée. Je ne hais pas l’attente de cette nouvelle ; le plus proche parent que j’y ai, c’est Boufflers. Adieu, ma très chère bonne petite bonne.Profitez de vos réflexions et des miennes ; aimez-moi, et ne me cachez point un si précieux trésor. Ne craignez point que la tendresse que j’ai pour vous me fasse du mal ; c’est ma vie.Croyez aussi, ma bonne, que je suis très parfaitement contente de la vôtre. Demandez à M. d’ Hacqueville, nous en parlions hier.Il trouva que j’étais persuadée de ce que je dois l’être. Le Bien Bon vous salue. Le Baron est toujours par voie et par chemin. Pour ma bonne et très chère.

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