Lettres choisies

63. – À Madame de Grignan

Aux Rochers, mercredi 41 octobre 1684. Je m’attendais bien, ma bonne, que vous iriez bientôt à Gif ; ce voyage était tout naturel. J’espère bien que vous m’en direz des nouvelles, et de l’effet de cette retraite pour le mariage et l’opiniâtreté de M. de Montausier à demander des choses inouïes. Tout ce qui se passe à l’hôtel de Carnavalet est mon affaire, plus ou moins selon que vous y prenez intérêt. Vous me parlez si tendrement de la peine que vous fait toujours mon absence qu’encore que j’en sois fort touchée, j’aime mieux sentir cette douleur que de ne point savoir la suite de votre amitié et de votre tristesse. La mienne n’est point du tout dissipée par la diversité des objets. Je subsiste de mon propre fonds et de la petite famille. Mon fils doit à mon arrivée de lui avoir écarté beaucoup de mauvaise compagnie, dont il était accablé ; j’en suis ravie, car je ne suis point docile,comme vous savez, à de certaines impertinences, et comme je ne suis pas assez heureuse pour rêver comme vous, je m’impatiente et je dis des rudesses. Dieu merci, nous sommes en repos. Je lis ; du moins j’ai dessein de commencer un livre que Mme de Vins m’a mis dans la tête, qui est La Réformation d’Angleterre.J’écris et je reçois des lettres. Je suis quasi tous les jours occupée de vous. Je reçois vos lettres le lundi ; jusqu’au mercredi, j’y réponds. Le vendredi j’en reçois encore ;jusqu’au dimanche, j’y réponds. Cela m’empêche de tant sentir la distance d’un ordinaire à l’autre. Je me promène extrêmement, et parce qu’il fait le plus parfait temps du monde et parce que je sens par avance l’horreur des jours qui viendront. Ainsi je profite avec avarice de ceux que Dieu me donne. N’irez-vous point à Livry, ma bonne ? Le Chevalier ne sera-t-il point bien aise d’aller s’y reposer après ses eaux ? Le Coadjuteur est guéri. Tout vous y convie. Je vous défie de n’y point penser à moi. Je me porte très bien, ma chère bonne, mais vous, ne me ferez-vous point le plaisir de me dire sincèrement comme vous êtes et si ce côté que je crains tant ne vous fait point souffrir ? Je vous demande cette vérité. Si vous aviez besoin d’un petit deuil, je vous en fournirais un :M. de Montmoron mourut il y a quatre jours, chez lui,d’une violente apoplexie, en six heures. C’est une belle âme devant Dieu ; cependant il ne faut pas juger. J’ai vu la princesse, qui parle de vous, qui comprend ma douleur, qui vous aime, qui m’aime, et qui prend tous les jours douze tasses de thé. Elle le fait infuser comme nous, et remet encore dans la tasse plus de la moitié d’eau bouillante ; elle pensa me faire vomir. Cela, dit-elle, la guérit de tous ses maux. Elle m’assura que Monsieur le Landgrave en prenait quarante tasses tous les matins. « Mais, madame, ce n’est peut-être que trente. – Non, c’est quarante. Il était mourant ; cela le ressuscite à vue d’œil. » Enfin, il faut avaler tout cela. Je lui dis que je me réjouissais de la santé de l’Europe, la voyant sans deuil. Elle me répondit qu’elle se portait bien, comme je pouvais le voir par son habit, mais qu’elle craignait d’être bientôt obligée de prendre le deuil pour sa sœur l’Électrice. Enfin je sais parfaitement les affaires d’Allemagne.Elle est bonne et très aimable parmi tout cela. Voilà une lettre pour M. de Pomponne. Ma bonne, que je suis aise qu’il ait cette abbaye ! Que cela est donné agréablement, lorsqu’il est en Normandie, ne songeant à rien ! Non ti l’ invidio, no, ma piango ilmio. c’est-à-dire, ma chère bonne, n’y aura-t-il que vous qui n’obtiendrez rien ? Croyez-vous, ma bonne, que vos affaires ne tiennent pas une grande place dans mon cœur ?Je crois que j’y médite plus tristement que vous, mais, ma chère bonne, profitez de votre courage, qui vous fait tout soutenir, et continuez de m’aimer si vous voulez rendre ma vie heureuse, car les peines que me donne cette amitié sont douces, tout amères qu’elles sont. Mille baisemains à tous les Grignan qui sont auprès de vous,et à cette belle princesse. J’écris à mon Marquis. Mon fils est encore à Rennes ; sa femme me prie de vous assurer, etc.Envoyez la lettre à M. de Pomponne.

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