Lettres choisies

71. – À Madame de Grignan

Aux Rochers, mercredi 1er août1685. Réponse aux 25 et 28 juillet. Je revins de mon grand voyage hier au soir, ma chère belle. Je dis adieu à nos Gouverneurs le lundi à huit heures du matin, les suppliant de m’excuser si je les quittais devant que de les avoir vus pendus, mais qu’ayant dix lieues à faire et eux cinq, je m’ennuierais trop à Dol le reste du jour. Ils entrèrent dans mes raisons, et me dirent adieu avec des tendresses et des remerciements infinis. Je vous avoue que j’ai été ravie d’avoir fait ce petit voyage en leur honneur ; je leur devais bien cette marque d’amitié pour toutes celles que j’en reçois. Nous vous célébrâmes. Ils m’embrassèrent pour vous. Ils prirent part à la joie que j’aurais de vous revoir dans peu de temps. Enfin, ma bonne, rien ne fut oublié. M. de Ficub et était arrivé la veille, de sorte que nous eûmes toute la joie qu’on a de se rencontrer dans les pays étrangers. Il me semblait que j’étais à Dol dans un palais d’Atlante ; tous les noms que je connais tournaient autour de nous sans que nous les vissions :Monsieur le Premier Président, M. de La Trémouille,M. de Lavardin, M. d’ Harouys,M. de Charost. Ils voltigeaient à une lieue ou une heure de nous, mais nous ne pouvions les toucher. Je partis donc le lundi matin, mais mon cher petit Coulanges voulut absolument venir passer huit jours avec nous ici, et mon fils n’a point perdu cette occasion de revenir avec lui, de sorte que les voilà tous deux joliment pour d’ici au8ème de ce mois. Ils iront passer les derniers quinze jours des États, et puis mon fils me revient embrasser, et me prie à genoux de l’attendre, et je pars dans le moment. Cela va, ma bonne, aux premiers, premiers jours de septembre, et pour être à Bâville le 9ème ou le 10ème sans y manquer.Voilà, ma chère bonne, ce que je compte, s’il plaît à Dieu, et je sens avec une tendresse extrême les approches de cette joie sensible. Il n’est plus question, comme vous dites, ma bonne, des supputations que notre amitié nous faisait faire ; c’est un calendrier tout commun qui nous règle présentement. Nous avons encore trouvé ici le cher abbé Charrier, qui vous a vue, qui vous a trouvée belle, comme tout le monde, et toute pleine de sensibilité pour moi. Hélas ! ma bonne, voulez-vous toujours être pénétrée de mon misérable naufrage ? Il faut l’oublier,ma chère bonne, et regarder la suite comme une volonté de Dieu toute marquée, car de songer que d’une écorchure où il ne fallait que de l’huile et du vin, ou rien, on y mette un emplâtre dont tout le monde se loue, et qui devient pour moi du poison parce qu’on ne veut pas le lever, et que de cette sottise soient venus de fil en aiguille tous mes maux, toujours dans l’espérance d’être guérie, et qu’enfin ce ne soit que présentement que je sois guérie, il y a si peu de vraisemblance à cette conduite qu’elle ne doit être regardée que comme un aveuglement répandu pour me donner des chagrins trop bien mérités, et soufferts avec trop d’impatience. Je n’ai point eu, ma bonne, les douleurs, la fièvre et les maux que vous imaginez. Vous ne me trouverez point changée, ma chère bonne.Demandez à mon petit Coulanges ; il vous dira que je suis comme j’étais. Ma jambe s’est fort bien trouvée du voyage ; je n’ai point été fatiguée, ni émue. Je me gouverne comme le veut ma pauvre Charlotte, qui m’est venue voir ce matin. Elle est ravie de m’avoir guérie. N’est-ce pas une chose admirable que je ne l’aie connue que depuis quinze jours ? Tout cela était bien réglé.Elle me fait mettre encore des compresses de vin blanc, et bander ma jambe pour ôter toute crainte de retour, et je me promène sans aucune incommodité. Il est vrai que je vous ai mandé toutes ces mêmes choses, mais il faut bien qu’un jour vienne que je dise vrai,et vous savez bien, ma bonne, que je n’ai jamais cru vous tromper.J’ai la peau d’une délicatesse qui me doit faire craindre les moindres blessures aux jambes. Oh ! parlons d’autre chose, mon enfant. Je suis fâchée que vous n’ayez point été à cette noce puisque vous le pouviez, et pour la fête de Sceaux, je ne sais comme vous pouvez vous en consoler. Nous épuisons Coulanges. Il nous conte mille choses qui nous divertissent. Nous sommes ravis de l’avoir ;il nous a fait rire aux larmes de votre Mme d’ Arbouville dont vous êtes l’originale. Je crois que votre dîner de Sceaux aura été moins agréable par la contrebande que vous y rencontrâtes. Je voudrais bien pouvoir comprendre la délicatesse de conscience qui empêchera la signature de M. de Montausier et de sa fille ; cette opiniâtre aversion est une chose extraordinaire. Il me semble, ma bonne, que vous allez avoir bien des choses à me conter. Si vous voulez m’envoyer une copie de la lettre de M. de Grignan, vous me ferez un grand plaisir ; elle sera pour moi seule. Je suis persuadée qu’elle sera fort bien faite, et qu’elle fera son effet ; j’en conjure le Seigneur. Voilà donc le charme rompu ; vous avez un ami riche qui vous donne des repas. Ménagez bien cette bonne fortune ! Celle de M. de Monmouth n’est plainte de personne. Vous me demandez, ma bonne, si ma plaie s’est rouverte. Non, assurément ; il y a trois mois qu’elle est entièrement fermée et guérie. J’ai voulu encore retourner sur ce triste chapitre pour ne vous pas laisser des erreurs. N’êtes-vous point surprise de la mort de cette grande Raray ? N’était-ce pas la santé même ? Pour moi,je crois que le saisissement d’entendre toujours louer sa sœur et de n’attraper des regards et des douceurs que comme pour l’amour de Dieu l’a mise au tombeau. Le bon Abbé est fâché que vous le croyiez si barbare. Il dit que sa malice ne va pas si loin ; il a été ravi de me revoir. J’ai repassé par Rennes pour voir un moment cette bonne Marbeuf et, en repassant par Vitré, la princesse, de sorte que je m’en vais posséder mon petit Coulanges sans distraction. Je vous ai dit comme mon habit était joli, je vous le mandai de Dol. Je vous assure, ma très chère bonne, que ce petit voyage ne m’a donné que de la joie sans nulle sorte d’incommodité.Je n’aime point que notre pauvre Grignan fonde et diminue. Ne lui faites-vous plus rien ? Est-il possible qu’en dormant et mangeant il ne se remette point ? Je suis touchée de cet état.Pour celui du pauvre Chevalier, je ne m’y accoutume pas.Quoi ? ce visage de jeunesse et de santé ! Quoi ?cet âge qui ne sort qu’à peine de la première jeunesse est compatible avec l’impossibilité de marcher ! On le porte comme Saint-Pavin ! Ma bonne, je baisse la tête, et je regarde la main qui l’afflige. Il n’y a vraiment que cela à faire ; toute autre pensée n’est pas capable de nous apaiser un moment. J’ai senti cette vérité. Mon fils vous fait mille tendres amitiés. Sa perruque est à Dinan ; il ne doute point qu’elle ne soit fort bien. Je voudrais que vous eussiez tout fait payer à M. du Plessis. Il n’importe d’avoir payé le vacher ou non ; c’est que nous avions peur que le fonds manquât. Nous avons reçu toutes ces sommes et nous ne ferons point attendre Gautier. Voilà un de nos fermiers venu ; j’attends l’autre, et tout sera si bien rangé que je n’abuserai plus, ma bonne, ni de votre patience, ni de la mienne. J’aime celle du duc de Bourbon, dans ce grand lit, avec sa petite épousée à dix pas de lui. Il est vrai qu’avec de tels enfants, il ne fallait pas douter que le Sablonnier en passant, sur le minuit, ne leur servît de garde ; Monsieur le Prince et Mme de Langeron étaient inutiles. J’ai pensé plusieurs fois à ce rang au-dessus de votre princesse. Quelle noce ! quelle magnificence quel triomphe ! Sangaride, ce jour est un grand four pour vous, et digne de beaucoup de différentes réflexions. Je vous remercie de tous les baisers donnés et rendus aux Grignan. Jetez-en toujours quelques-uns pour entretenir commerce. Surtout j’en veux un pour moi toute seule sur la joue de Monsieur de Carcassonne ; il me semble qu’il y a longtemps que je n’ai eu de familiarité avec elle. Adieu bonne, adieu chère,adieu très aimable. L’abbé Charrier, en me contant comme vous êtes pour moi, m’a fait vous payer comptant votre tendresse, et le moyen de n’être pas sensible à tant de vraie et solide amitié ?Celle de la princesse de Tarente était aveuglée, comme tout le reste. Ce fut un hasard plaisant qui me fit connaître Charlotte.Elle m’aurait guérie. Il ne fallait pas que je le fusse. Nous causerons un jour de M. de Luynes. Oh ! quelle folie !Mme de Chaulnes le dit avec nous. Si Mme de La Fayette avait voulu, elle vous aurait dit, ou montré une réponse où je lui disais des raisons solides pour demeurer comme je suis. Elle et Mme de Lavardin m’en ont louée. Elle aurait pu m’en faire honneur auprès de vous, dont j’estime infiniment l’estime. Ah ! que je vous approuve d’avoir vu Monsieur le Prince avec Mme de Vins ! Que je suis assurée que vous avez été bien reçue, et qu’il a trouvé votre visite trop courte ! Vous êtes quelquefois trop discrète de la moitié. DE COULANGES J’ai vu le temps que j’écrivais dans vos lettres un mot à madame votre mère, et présentement, c’est dans les siennes que je vous écrirai un mot, un ordinaire encore tout au moins, car je m’en vais être ici huit bons jours à me reposer auprès d’elle de toutes mes fatigues. Elle vous a conté son voyage de Dol, qui a été très heureux, hors qu’elle a versé deux fois dans un étang, et moi avec elle, mais comme je sais parfaitement bien nager, je l’ai tirée d’affaire sans nul accident, et même sans être mouillée ; ainsi de cette chutes ne craignez ni jambe affligée ni rhume quelconque. Il fait parfaitement beau dans les allées des Rochers. Je m’en vais bien les arpenter, mais il sera triste pourtant, après avoir bien fait de l’exercice, de ne pas trouver tout à fait l’ordinaire de M. de Seignelay auquel je suis accoutumé. Vous avez donc été à Sceaux ; vous ne pouvez jamais en être contente avec la compagnie qui y a été faufilée avec vous.Serait-il bien arrivé que vous n’y auriez pas prononcé mon nom ? Adieu, ma belle Comtesse. Permettez-moi de vous embrasser très tendrement et de faire mille compliments à toute la bonne couvée des Grignan.

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