Lettres choisies

76. – À Madame de Grignan

À Bourbon, samedi 27ème septembre1687. Réponse au 24ème. Il y a des heures où l’on peut écrire, ma chère bonne ; celle-ci en est une. J’ai reçu votre lettre avec cette joie et cette émotion que vous connaissez, car il est certain que vous m’aimez trop. Il y a ici une petite fille qui se veut mêler d’aimer sa maman, mais elle est cent pas derrière vous,quoiqu’elle fasse et dise fort joliment ; c’est Mme de Nangis. À ce propos, vous m’avez dit un mot dans votre autre lettre qui me fait sentir ce que fait Mlle d’ Alérac ; j’en ai compris l’horreur. Nous en parlerons, ma bonne, mais en attendant, il me semble que c’est Mlle de Grignan qui doit guérir cet endroit. Nous nous réjouissons de la santé du Roi et de M. le duc de Bourgogne.Monsieur le Chevalier me fait une peine et une pitié que je ne puis pas vous représenter. Il y a ici des gens estropiés et à demi morts qui cherchent du secours dans la chaleur bouillante de ces puits(les uns sont contents, les autres non), une infinité de restes ou de menaces d’apoplexies ; c’est ce qui tue. J’ai envoyé quérir des eaux à Vichy, comme M. Fagon fit pour sa femme, et bien d’autres tous les jours. Elles sont réchauffées d’une manière qui me plaît, et du même goût et quasi de la même force qu’à Vichy ; elles font leur effet, et je l’ai senti ce matin avec plaisir. J’en prendrai huit jours, comme le veut Alliot, et ne serai point douchée, comme le veut M. Amyot ; le voilà qui vous en dit ses raisons. Quand vous aurez lu tout ce grimoire,vous n’en verrez pas davantage ; envoyez-le, si vous voulez, à M. Alliot. Cependant j’irai mon train ; je retomberai dans les eaux de Bourbon samedi, et prendrai des bains délicieux,et un peu avant que l’heure finisse, il prétend me mettre un peu d’eau chaude, qui fera la sueur sans violence que nous voulons. Je crois qu’il est difficile de contester un homme sur son pallier qui a tous les jours des expériences ; répondez seulement un mot de confiance et d’honnêteté, et ne vous mettez en peine de rien du tout. Ma très chère bonne, ôtez tout cela de votre esprit. Vous me reverrez dans peu de jours en parfaite santé. Je n’ai pas eu la moindre incommodité depuis que je suis partie. Je remercie Dieu de la vôtre ; je le prie de vous conserver, et M. de Grignan, que j’embrasse tendrement, et qu’il donne une dose de patience au-delà de l’ordinaire à ce pauvre Chevalier. Il est bien nécessaire que vous en trouviez aussi, ma pauvre bonne, pour soutenir tout ce qui vous arrive,sans aucun secours, après tant de justes espérances. Si on osait penser ici, on serait accablé de cette pensée ; mais on les rejette, et on est comme un automate. Notre charrette mal graissée reçoit et fait des visites. Nous allons par les rues, mais nous nous gardons bien d’avoir une âme ; cela nous importunerait trop pendant nos remèdes. Nous les retrouverons à Paris. J’embrasse la chère Martillac. J’ai bien soupiré de ne point aller à Vichy et de ne point voir M. Ferrand, mais il était impossible, et je ne sais même comme j’aurais pu faire avec mon équipage, car les chemins sont devenus étranges de Moulins à Vichy ; c’est vers Varennes. Elle saura bien ce que je veux dire. Dieu fait tout pour le mieux. Nous attendons pourtant M. de Sainte-Maure et M. Mansart. La plupart prennent la litière. Vous entretenez si bien tout le commerce de mes amies que je n’ai qu’à vous prier de continuer et d’aimer aussi le bon Corbinelli comme je l’aime. Je lui souhaite ce bonheur comme ce que j’imagine de meilleur pour lui. Adieu, aimable et chère fille. Je vous assure que vous m’aimez trop. Voilà Mme la duchesse de Chaulnes qui entre, qui me gronde sans savoir bonnement pourquoi et qui embrasse la belle Comtesse. Tout Bourbon écrit présentement ; demain matin tout Bourbon fait autre chose. C’est un couvent. Hélas !du serein, bon Dieu ! où le pourrions-nous prendre ? Il faudrait qu’il y eût de l’air. Point de sauces, point de ragoûts.J’espère bien jeter un peu cet hiver le froc aux orties dans notre jolie auberge.

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