Lettres choisies

52. – À Madame de Grignan

À Paris, vendredi 8ème décembre1679. C’est une chose rude, ma bonne, que d’être fort loin des personnes que l’on aime beaucoup ; il est impossible, quelque résolution que l’on fasse, de n’être pas un peu alarmée des désordres de la poste. Je n’eus point de vos lettres avant-hier ; pour dimanche, je ne m’en étonne pas, car j’avais eu le courrier. J’envoyai chez MM. de Grignan ; ils n’en avaient point non plus. J’y allai le lendemain, qui était hier ; enfin il vint une lettre du 28 novembre, de Monsieur l’Archevêque, qui nous persuada qu’au moins vous n’étiez pas plus malade qu’à l’ordinaire. Je passai à la poste pour savoir des nouvelles d’Aix, car les courriers de ces messieurs vont mieux que les nôtres, mais je sus, par Mme Rouillé, que son mari, du 29,ne lui parlait point de vous, mais bien de la disgrâce de M. de Pomponne, que M. de Grignan lui venait d’apprendre. J’attends donc vos lettres de dimanche ; je crois que j’en aurai deux. Je n’ai jamais mis en doute que vous ne m’ayez écrit, à moins que d’être bien malade. Cette seule pensée, sans aucun fondement, fait un fort grand mal. C’est une suite de votre délicate santé, car quand vous vous portiez bien, je supportais sans horreur les extravagances de la poste. Car voyez quelle folie d’apporter d’Aix le paquet de Madame l’intendante, et laisser le vôtre ! Beaulieu a reçu une lettre de Lyon,d’Autrement, du 30ème ; il y est seul et va s’embarquer. Cette pauvre Mme d’ Oppède est demeurée par les chemins, son fils malade à Cosne, et sa fille à Roanne. Tout est semé de son train. Quel embarras ! Je la plains. Elle donnait de l’argent à dépenser à ses gens. Ainsi les dix écus que nous pensions inutiles à ce garçon lui auront été bons. Il est un peu rude sur la dépense. Il ne parlait pas de moins que d’un écu par jour par les chemins ; nous nous moquâmes de lui. Nous croyons que si vous lui donnez vingt-cinq ou trente sols, à cause de sa maladie qui le rend délicat, c’est le bout du monde. Nous vous compterons sa garde, ses bouillons ; mais depuis notre retour de Livry, qu’il était pêle-mêle avec nos gens, assurément vous n’en entendrez pas parler. Vous ne payez que trop bien vos hôtes ;je travaille à voir clair à ce que je vous dois de reste. Nous ferons repartir Saint-Laurens le plus tôt que nous pourrons. Nous saurons demain le jour, au retour de l’abbé de Grignan qui a fait encore un second voyage à Saint-Germain (de ces voyages qui me donnent tant de peine !). En vérité, vous êtes trop heureux de les avoir tous pour résidents à la cour de France. Ils désapprouvent bien votre affaire de Toulon ; ils disent que si on voulait se brouiller à feu et à sang avec le gouverneur, il ne faudrait pas autre chose. Nous espérons que celle des blés sera plus praticable. Je vous écrivis mercredi une très longue lettre. Si on vous la perd, vous ne comprendrez rien à celle-ci.Par exemple, on verra la jeune princesse de Guéméné aujourd’hui en parade à l’hôtel de Guéméné ; vous ne sauriez ce que je veux dire. Mais supposant que vous savez le mariage de Mlle de Vauvineux, je vous dirai qu’afin qu’il ne manque rien à son triomphe, elle y recevra ses visites quatre jours de suite. J’irai demain avec Mme de Coulanges, car je fais toujours ce qui s’appelle visites avec elle ou sa sœur. Nous fûmes hier, Monsieur le Comte, chez vos amies Leuville et d’ Effiat ; elles reçoivent les compliments de la réconciliation et de la gouvernance. Cette d’ Effiat était enrhumée : on ne la voyait point, mais c’était tout de même ; la jeune Leuville faisait les honneurs. Je leur fis vos compliments par avance, et les vôtres aussi, ma très chère. On est bien étonné que Mme d’ Effiat soit gouvernante de quelque chose. Tout est fort bien. La maréchale de Clérambault aura son paquet à Poitiers, où elle avait reçu l’ordre de venir au Palais-Royal. Voilà le monde. Ne vous ai-je pas mandé les prospérités de Mme de Grancey, et comme elle revient accablée de présents ? Elle eût embrasé l’Espagne si, comme on disait, elle y avait passé l’hiver. Elle a mandé que l’âme prenante de Mme de Fiennes avait passé heureusement dans son corps, et qu’elle prenait à toutes mains. On attend, à la cour, le courrier de Bavière avec impatience ; on compte les moments. Cela me fait souvenir de l’autre, qui a comblé la mesure des mauvais offices qu’on rendait à notre pauvre ami. Sans cette dernière chose, il se fût encore remis dans les arçons, mais Dieu ne voulait pas que cela fût autrement. Je vous ai mandé comme j’avais envoyé tous les gros paquets à Pomponne avec celui de Mme de Vins. On renvoya à Saint-Germain ce qu’il fallait y envoyer. J’ai quelque impatience de savoir comme se porte et comporte la pauvre petite d’ Adhémar. Je m’en vais lui écrire tout résolument ; depuis que je me mets à différer, il n’y a plus de fin. Ma chère bonne, que vous dirai-je encore ? Il me semble qu’il n’y a point de nouvelles. On saura les officiers de Madame la Dauphine quand ce courrier sera revenu.J’ai bien envie de savoir comme vous aurez soutenu ce tourbillon d’Aix. Il est horrible ; je m’en souviens. C’était une de mes raisons de craindre pour votre santé. Toutes ces allées et venues sont des affaires pour vous présentement, qui n’en étaient pas autrefois. Le chevalier de Buous est ici. Il me dit tant que vous vous portez parfaitement bien, que vous êtes plus belle que jamais, que vous êtes si gaie – c’est trop,monsieur le chevalier. Un peu moins d’exagération, plus de vraisemblance, plus de détail, plus d’attention m’aurait fait plus de bien. Il y a des yeux qui voient tout, et ceux qui ne voient rien m’impatientent. J’ai dit mille fois que l’on se porte toujours à merveille pour ceux qui ne s’en soucient guère. Saint-Laurens me parle encore de l’excès de votre santé. Eh, mon Dieu ! une petite lettre de Montgobert, qui regarde et qui connaît, me fait plus de plaisir que toutes ces grandes perfections. Mme de Coulanges causa l’autre jour une heure avec Fagon chez Mme de Maintenon. Ils parlèrent de vous. Il dit que votre grand régime devait être dans les aliments, que c’était un remède que la nourriture, que c’était le seul qui le soutînt, que cela adoucissait le sang, réparait les dissipations, rafraîchissait la poitrine, redonnait des forces, et que, quand on croit n’avoir pas digéré après huit ou neuf heures,on se trompait, que c’étaient des vents qui prenaient la place, et que si l’on mettait un potage ou quelque chose de chaud sur ce que l’on croit son dîner, on ne le sentirait plus, et l’on s’en porterait bien mieux, que c’était une de vos grandes erreurs.Mme de Coulanges écouta et retint tout ce discours, et voulut vous le mander ; je m’en suis chargée, et vous conjure,ma très bonne, d’y faire quelque réflexion, et d’essayer s’il dit vrai, et de mettre la conduite de votre santé devant tout ce que vous appelez des devoirs. Croyez que c’est votre seule et importante affaire. Si la pauvre Mme de La Fayette n’en usait ainsi, elle serait morte il y a longtemps. Et c’est par ces pensées, que Dieu lui donne, qu’elle soutient sa triste vie, car,en vérité, elle est accablée de mille maux différents. Je reçois dans ce moment, ma très chère, votre paquet du 29 par un chemin détourné ; voilà tout le commencement de ma lettre entièrement ridicule et inutile. Voilà donc ce cher paquet, le voilà. Vous avez très bien fait, ma bonne,de le déguiser et de le dépayser un peu. Je ne suis point du tout surprise de votre surprise ni de votre douleur ; j’en ai senti, et j’en sens encore tous les jours. Vous m’en parlerez longtemps avant que je vous trouve trop pleine de cette nouvelle ; elle ne sera pas sitôt oubliée de beaucoup de gens,car pour le torrent, il va comme votre Durance quand elle est endiablée, mais elle n’entraîne pas tout avec elle. Vos réflexions sont si tendres, si justes, si sages et si bonnes qu’elles mériteraient d’être admirées de quelqu’un qui valût mieux que moi. Vous avez raison, la dernière faute n’a point fait tout le mal, mais elle a fait résoudre ce qui ne l’était pas encore. Un certain homme avait donné de grands coups depuis un an,espérant tout réunir, mais on bat les buissons et les autres prennent les oiseaux, de sorte que l’affliction n’a pas été médiocre et a troublé entièrement la joie intérieure de la fête.M’entendez-vous bien ? car vous n’aurez votre courrier de dix ans. Il vaut autant mourir. C’est donc un mat qui a été donné,lorsqu’on croyait avoir le plus beau jeu du monde et rassembler toutes ses pièces ensemble. Il est donc vrai que c’est la dernière goutte d’eau qui a fait répandre le verre ; ce qui nous fait chasser notre portier, quand il ne nous donne pas un billet que nous attendons avec impatience, a fait tomber du haut de la tour,et on s’est bien servi de l’occasion. Personne ne croit que le nom y ait eu part ; peut-être aussi qu’il y a entré pour sa vade.Un homme me disait l’autre jour : « C’est un crime que sa signature. » Et je dis : « Oui, c’est un crime pour eux de signer et de ne signer pas. » Je n’ai rien entendu de cet écrit insolent dont vous me parlez. Je crois qu’on ne se défie point de la discrétion de ceux qui savent les secrets ; rien n’est égal à leur sagesse, à leur vertu, à leur résignation, à leur courage. Je crois que, dans la solitude où ils sont encore pour quelques jours, il communiquera toutes ses perfections à toute sa famille. J’y ai fait tenir votre paquet à la belle-sœur en envoyant les paquets, comme je vous l’ai mandé ; je m’en vais encore y envoyer ceux que je viens de recevoir. On me fit de là des réponses si tendres que je ne pus les soutenir sans une extrême tendresse. Adieu, ma chère bonne. Embrassez la petite d’ Adhémar. La pauvre enfant ! ayez-en pitié ; je ne puis encore lui écrire. Je baise et j’embrasse tout ce qui vous entoure.Vous êtes trop bonne de me rassurer sur la douleur que me donne mon inutilité pour votre service ; quelque tour que j’essaie d’y donner, j’en suis humiliée. Mais, ma bonne, vous ne laisserez pas de m’aimer ; vous m’en assurez, et je le crois. Je penserais comme vous, si j’étais à votre place ; cette manière de juger est fort sûre. Je suis tout à vous ; je ne puis vous rien dire de si vrai. Vendredi, à 7 heures du soir, 8èmedécembre. Après avoir envoyé mon paquet à la poste, j’en reçois un de Mme de Vins pour vous. Mais comme elle me prie de ne l’envoyer que par le courrier, je le ferai, et vais le mettre dans mon cabinet ; j’y joindrai encore les réponses qu’elle fera à vos lettres, que j’enverrai demain. Et quoiqu’il soit fâcheux de laisser vieillir des lettres, il le vaut mieux que de hasarder de faire du mal à ses amis. Mandez-moi des nouvelles de la santé de Monsieur le Coadjuteur. Je vous embrasse, ma très chère. Provence, Lambesc. Madame, madame la comtesse de Grignan. À Lambesc.

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