Lettres choisies

78. – À Madame de Grignan

Réponse à l’écu de Rostain. À Paris, mercredi 6ème octobre1688. Et comment voulez-vous que je ne pleure pas envoyant tant de soins, tant d’amitié, des billets si tendres ?Je ne suis pas à l’épreuve de toute la tendresse que me donne une conduite si charmante. Nous ne cessons point de vous aimer et de vous admirer ; Monsieur le Chevalier et moi nous nous cherchons si naturellement que vous ne devez pas douter, ma chère bonne, que cette petite chambre ne soit ma demeure ordinaire, mais vous nous y manquez toujours, et d’une manière fort sensible. Vos portraits, qui sont autour de nous, ne nous consolent pas. Il nous faut notre chère Comtesse, que nous ne trouvons plus, et sur cela,les yeux rougissent ; tout est perdu. L’honneur même d’être servie présentement la première, en prenant du café, m’afflige au lieu de me consoler, tant mon cœur est peu sensible aux grandeurs de ce monde. Nous mangeons ensemble ; nous sommes dans une parfaite intelligence, et il est vrai que plus on connaît Monsieur le Chevalier sur ce ton là, plus on l’aime et on l’estime. Il me paraît que mon commerce ne lui déplaît pas. Enfin c’est ma destinée que cette petite chambre ; il n’y en a point où vous puissiez être plus parfaitement aimée et estimée, pour ne pas dire honorée. Monsieur le Chevalier a eu la goutte terrible aux deux mains. Vous verrez aujourd’hui qu’il est en état d’écrire.J’ai fait dire vos neuvaines ; c’est toujours votre dévotion,j’espère, et je ne doute nullement qu’elles ne vous conservent votre enfant, dont nous vous envoyons une fort jolie lettre. J’ai vu mes amies, qui sont en vérité les vôtres. Je les en aime mieux ; sans cela, je ne serais point à mon aise avec elles.Mme de Lavardin est toujours entêtée de votre vrai mérite, et du peu de cas que vous faites de votre beauté, qui est l’écueil de toutes les femmes. Je me porte bien, ma très aimable.Mon sommeil n’est pas encore tout à fait bien, mais si vous nous aimez, conservez-vous, dormez, mangez, ne vous épuisez point, ne vous creusez point ; c’est assez de votre absence, nous ne pouvons soutenir la crainte de votre santé. Priez toujours Monsieur le Chevalier de me dire les choses que vous ne voulez pas écrire deux fois. Mme de Coulanges est toute glorieuse du petit billet que vous lui avez écrit. Songez à M. d’ Avaux. J’ai fait vos compliments en attendant, et tout ce que vous désirez est ponctuellement exécuté. Adieu, ma chère bonne. Je ne sais plus que vous dire de ma tendresse pour vous. Tout est dit, tout est senti,et tout est cru ; j’en suis assurée. Parlez-moi de vous sans cesse ; tout m’est cher et considérable. J’embrasse M. de Grignan et notre prélat. Aimez-vous bien tous trois. Bonjour à Martillac. J’ai fait vos adieux à Mme de Chaulnes. Pour Madame la comtesse de Grignan.

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