Lettres choisies

75. – À Madame de Grignan

À Bourbon, lundi 22ème septembre1687. Nous arrivâmes hier au soir ici, ma bonne, de Nevers, d’où je vous avais écrit. Il est vrai que nous vînmes hier en un jour, comme on nous l’avait promis. Mais quel jour !quelles dix lieues ! Nous marchâmes depuis la pointe du jour jusqu’à la nuit fermée sans arrêter que deux heures juste pour dîner. Une pluie continuelle, des chemins endiablés, toujours à pied de peur de verser dans des ornières effroyables, ce sont quatorze lieues toutes des plus longues. Et ce jour ensuite de cinq délicieux, éclairés du soleil, et d’un pays, et des chemins faits exprès. Je crois être dans un autre climat, un pays bas et couvert comme la Bretagne, enfin sombre forêt où le soleil ne luit que rarement. Nous y fûmes reçues par cette Mme Ferret de Bretagne. Nous sommes logées où étaient Mme de Montespan, Mme d’ Uzès,Mme de Louvois. Nous avons bien dormi. Nous avons vu les puits bouillants. Nous avons été à la messe aux Capucins. Nous avons reçu les compliments de Mme de Fourcy, de Mme de Nangis, de Mlle d’Armentières. Mais nous avons un médecin qui me plaît ; c’est Amyot, qui connaît et estime Alliot, qui est adorateur de notre bonhomme Jacob. Il a été six mois avec lui à l’hôtel de Sully pendant que M. de Sully se mourait. Mme de Verneuil m’avait fort priée de le prendre, je l’avais oublié. Parlez-en, ma bonne,si vous voulez, à Mme de Sully et à M. de Coulanges ; c’est son intime : il traitait Mme de Louvois. C’est un homme ennemi,raisonnablement, de la saignée, qui approuve les capucins, qui m’assure que tous mes petits maux viennent de la rate, et que les eaux de Bourbon y sont spécifiques. Il aime fort Vichy, mais il est persuadé que celles-ci me feront pour le moins autant de bien. Pour la douche, il me la fera donner si délicatement qu’il ne veut point du tout me la donner. Il dit qu’il ferait convenir M. Alliot que le remède est trop violent, et plutôt capable d’alarmer les  nerfs que de les guérir, qu’en purgeant les humeurs et recevant les sueurs que les eaux et les bains chauds me donneront, il prétend suffire à tout. Il parle de bon sens, et me conduira avec une attention extrême, et vous mandera ses raisons et vous rendra compte de tout. Parlez-en à Rodon. C’est un homme qui va s’établir à Paris, qui n’a pas envie d’y porter des reproches de ce pays-ci.Le mal de Mme de Chaulnes n’est pas à négliger ; ces eaux y sont bonnes. Mme de Nangis a de ces sortes de coliques jusqu’à s’en évanouir. Nous sommes logées commodément, et l’une près de l’autre, mais on peut dire en gros de ce lieu : Qu’il n’eut jamais du ciel un regard amoureux. La Providence m’y a conduite par la main en tournant les volontés, et faisant des liaisons comme elle a fait.Je vous consulte toujours intérieurement, et il me semble que vous me dites : « Oui, ma bonne, c’est ainsi qu’il faut faire ; vous ne sauriez vous conduire autrement. » Ah, mon Dieu ! que je suis lasse de parler de moi ! mais vous le voulez. Dieu merci, je m’en vais parler de vous. Je reçois votre lettre du jeudi 18ème.Je vois, ma chère bonne, que vous allez à Versailles. Je vois le sujet qui arrête M. de Grignan, et dans quelle conjoncture. Vous croyez bien que je ne suis pas assez ridiculement occupée de moi-même pour ne pas penser quasi continuellement à vous et à tout ce qui a rapport à vous ; c’est une pensée habituelle, et vous auriez peine à me trouver un moment sans ce fonds qui est dans mon cœur, mais comme il y a beaucoup à penser,je pense beaucoup aussi, mais par malheur bien inutilement, et comme il n’est pas à propos d’écrire ce qu’on pense, je ne vous en dirai rien, ma bonne. Je voudrais bien savoir comme se portent M. de Grignan, Monsieur le Chevalier, et comme vous êtes vous-même. Je suis effrayée de la fièvre. Je crois que le quinquina ôtera bientôt celle du Roi ; nous en prions Dieu. Je vous remercie de votre sel végétal, je m’en servirai. Vous êtes trop bonne et trop appliquée à votre pauvre maman. Elles ne sont point accoutumées, les mamans, à ces aimables douceurs. Je doute aussi que jamais on ait aimé sa fille de la manière dont je vous aime.Quoi qu’il en soit, vous me rendez trop heureuse, et je dois bien souffrir tous les malheurs qui sont attachés à ces sortes de tendresses si sensibles. Mme la duchesse de Chaulnes a des soins de moi dont vous seriez surprise. Elle vous fait mille amitiés et vous nomme à tout moment. La belle Comtesse se trouve naturellement dans ce qu’elle me dit, soit en promettant, en espérant, en menaçant ; enfin ce nom est toujours avec nous.M. de Chaulnes m’écrit vos chagrins sur les nuages qui vous paraissaient le lendemain de notre départ ; il a besoin lui-même que le temps s’éclaircisse. S’il faisait fort beau et que Monsieur le Chevalier, toujours trop obligeant, voulût donner un cheval à M. du Plessis pour aller un moment à Livry voir comme se fait une réparation qui doit être faite, il me semble, ma bonne,que cela serait assez bien, à moins que vous n’y alliez bientôt vous-même. Adieu, chère bonne. Je vous recommande toutes  mes pauvres petites affaires. Je suis inquiète des fièvres que je crains que vous ne preniez à Versailles ; on mande ici que tout en est plein. Dieu vous conserve, ma chère bonne !J’embrasse le Marquis ; un souvenir à M. et à Mme de Coulanges. S’ils ont envie de savoir de mes nouvelles, ils n’ignorent pas où il faut en demander. Je sais que Mme de Coulanges va s’établir à Brévannes. Quel plaisir d’être à la campagne ! j’en aurai grand besoin au sortir d’ici. M. Jacques est ici tout transporté de l’amour de Grignan ; sa fille est encore à Paris logée chez lui. Je vous en donne avis et en lave mes mains. Envoyez, ma bonne,ces petits billets à la poste de Bretagne. Bonjour, cher Corbinelli. Mon petit train est à vos pieds. N’est-il pas trop plaisant ? je vous jure que nous sommes ravies de le tenir.

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