Lettres choisies

35. – À Madame de Grignan

À Paris, mercredi 27ème octobre1677. Ma bonne, je ne vous ferai plus de questions.Comment ! « En trois mots, les chevaux sont maigres, ma dent branle, le précepteur a les écrouelles. » Cela est épouvantable. On ferait fort bien trois dragons de ces trois réponses, surtout de la seconde. Je ne vous demande point,après cela, si votre montre va bien ; vous me diriez qu’elle est rompue. Pauline répond bien mieux que vous ; il n’y a rien de plus plaisant que la finesse qu’entend cette petite friponne à dire qu’elle sera friponne quelque jour. Ah ! que j’ai de regret de ne point voir cette jolie enfant ! Il me semble que vous m’en consolerez bientôt, et si vous suivez vos projets, vous partez d’aujourd’hui en huit jours, et vous ne recevrez plus que cette lettre à Grignan. M. de Coulanges est parti ce matin par la diligence pour aller à Lyon. Il y sera dans quatre jours ; vous l’y trouverez. Il y porte votre chaufferette ; ayez soin de lui demander. Il vous dira comme nous sommes logés honnêtement. Il n’y avait pas à balancer à prendre le haut pour nous deux, le bas pour M. de Grignan et ses filles. Tout sera fort bien. Je compte qu’elles ont leurs meubles ; ainsi il ne faut qu’une très médiocre tapisserie pour une antichambre. J’en ai pour celle de M. de Grignan ; je ne vous conseille nullement d’en apporter. Il y aura un lit aussi pour votre époux. L’embarras du déménagement a été rude ; je suis ravie que vous trouviez tout paisible et rangé. Je recommande à tous vos Grignan, qui ont tant de soin de votre santé, qui vous ôtent si bien tous les aliments qui ne sont pas dans les règles de votre médecin, et qui vous font un si bon et si joli sabbat pour vous empêcher d’écrire, de vous empêcher de tomber dans le Rhône par la cruelle hardiesse qui vous fait trouver beau de vous exposer aux endroits les plus périlleux ; je les prie d’être des poltrons, et de descendre avec vous. Vous ne voulez pas ? eh bien, Dieu vous bénisse ! Je n’aurai point de repos que vous ne soyez à Lyon. Je voudrais bien que vous y trouvassiez votre justaucorps. C’est une chose fâcheuse que de le perdre, du prix et de la beauté dont il est. J’en parlai encore avant-hier à Monsieur le Coadjuteur ; il parle longtemps et compte qu’il l’a donné à un moine qu’il connaît, et qu’il ne peut pas être perdu, mais cependant vous ne l’avez pas. J’en suis dans un véritable chagrin.J’en avais écrit à Roujoux, la petite Deville au Chamarier.Écrivez-en un mot, avant que d’arriver, à M. Charrier. Enfin on ne sait où s’adresser. Le dessus était : « À Mme de Rochebonne ». Plût à Dieu que mon voyage de Vichy ne m’eût pas empêchée de prendre ce petit soin !J’aurais été peut-être plus heureuse. Je trouve, ma très bonne, que je la serai beaucoup de vous donner ma poule bouillie. La place que vous me demandez à ma table vous est bien parfaitement assurée. Le régime que vos Grignan vous font observer est fait exprès pour mon ordinaire ; je m’entends avec Guisoni pour le retranchement de tous les ragoûts. Venez donc, ma très aimable. On ne vous défend pas d’être reçue avec un cœur plein d’une véritable tendresse ; c’est de ce côté que je vous ferai de grands festins. Je suis fort aise de vous voir disposée comme vous êtes pour Monsieur de Marseille : eh, mon Dieu ! que cela est bien, et qu’il y a de noirceur et d’apparence d’aigreur à conserver longtemps ces sortes de haines ! Elles doivent passer avec les affaires qui les causaient, et point charger son cœur d’une colère nuisible en ce monde-ci et en l’autre. Vous en serez encore plus aimée de Mme de Vins et de M. de Pomponne ; cela les tirera d’un grand embarras. Tout ce qui fâche M. de Grignan, c’est que votre médecin ait eu plus de pouvoir que votre confesseur, car je compte qu’il est toujours homme de bien ; il viendra, ce pauvre homme, dans une saison fâcheuse. J’ai fait des merveilles pour la pluie depuis deux jours ; si je fais aussi bien pour le beau temps, vous ne serez pas à plaindre. Mais le moyen d’avoir du chagrin avec une si bonne et si aimable compagnie ? J’ai regret qu’ils aient brûlé tout ce qu’ils m’écrivaient ; je pense que c’était grand dommage. Le Chevalier est bien plaisant de vouloir empêcher la bise de souffler ; elle est dans la maison avant lui, et l’en chassera plutôt qu’elle n’en sera chassée. Je parlerai d’un précepteur pour le Marquis. Adieu, ma chère bonne. N’apportez point de meubles, vous en trouverez ; ce n’est pas la peine pour le peu qu’il reste à meubler. Quand M. de Grignan sera venu, il vous faudra quelque linge de table. Ma belle, n’apportez point une si effroyable quantité de ballots. Quand je songe à trente-deux que vous emportâtes, cela fait peur. Monsieur le Chancelier est mort de pure vieillesse. J’ai mille bagatelles à vous conter, mais ce sera quand je vous verrai : mon Dieu, quelle joie ! Mille amitiés à tous vos aimables Grignan. Le Bien Bon est tout à vous. Je souhaite fort que l’or potable fasse du bien à la belle Rochebonne.Mme de Sanzei prendrait tous les remèdes les plus difficiles pour être guérie. La fièvre reprend à tous moments à notre pauvre Cardinal. Vous devriez joindre vos prières aux nôtres pour lui faire quitter un air si maudit. Il ne peut pas aller loin avec une fièvre continuelle ; j’en ai le cœur triste. C’est M. Le Tellier qui est chancelier.Je trouve cela fort bien ; il est beau de mourir dans la dignité.

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