Lettres choisies

32. – À Madame de Grignan

À Vichy, ce jeudi 41 juin 1676. Enfin, ma bonne, j’ai achevé aujourd’hui ma douche et ma série ; je crois qu’en huit jours il est sorti de mon pauvre corps plus de vingt pintes d’eau. Je suis persuadée que rien ne me peut faire plus de bien ; je me crois à couvert des rhumatismes pour le reste de ma vie. La douche et la sueur sont assurément des états pénibles, mais il y a une certaine demi-heure où l’un se trouve à sec et fraîchement et où l’on boit de l’eau de poulet fraîche : je ne mets point ce temps au rang des plaisirs médiocres ; c’est un endroit délicieux. Mon médecin m’empêchait de mourir d’ennui. Il me divertissait à lui parler de vous ; il en est digne. Il s’en est allé aujourd’hui ; il reviendra, car il aime la bonne compagnie, et depuis Mme de Noailles, il ne s’était pas trouvé à telle fête. Je m’en vais prendre demain une légère médecine, et puis boire huit jours, et puis c’est fait. Mes genoux sont comme guéris.Mes mains ne veulent pas encore se fermer, mais pour cette lessive que l’on voulait faire de moi une bonne fois, elle sera dans la perfection. Nous avons ici une Mme de La Baroire qui bredouille d’une apoplexie ; elle fait pitié. Mais quand on la voit laide, point jeune, habillée du bel air, avec des petits bonnets à double carillon, et qu’on songe de plus qu’après vingt-deux ans de veuvage, elle s’est amourachée de M. de La Baroire qui en aimait une autre à la vue du public, à qui elle a donné tout son bien, et qui n’a jamais couché qu’un quart d’heure avec elle pour fixer les donations, et qui l’a chassée de chez lui outrageusement (voici une grande période), mais quand on songe à tout cela, on a extrêmement envie de lui cracher au nez. On dit que Mme de Péquigny vient aussi ;c’est la Sibylle Cumée. Elle cherche à se guérir de soixante et seize ans, dont elle est fort incommodée ; ceci devient les Petites-Maisons. Je mis hier moi-même une rose dans la fontaine bouillante. Elle y fut longtemps saucée et ressaucée ; je l’ en tirai comme dessus sa tige. J’en mis une autre dans une poêlonnée d’eau chaude ; elle y fut en bouillie en un moment. Cette expérience, dont j’avais ouï parler, me fit plaisir. Il est certain que les eaux ici sont miraculeuses. Je veux vous envoyer, par un petit prêtre qui s’en va à Aix, un petit livre que tout le monde a lu et qui m’a divertie ; c’est l’Histoire des Vizirs. Vous y verrez les guerres de Hongrie et de Candie et vous y verrez, en la personne du grand vizir, que vous avez tant entendu louer et qui règne encore présentement, un homme si parfait que je ne vois aucun chrétien qui le surpasse. Dieu bénisse chrétienté ! Vous y verrez des détails de la valeur du roi de Pologne qu’on ne sait point, et qui sont dignes d’admiration. Ma chère bonne, j’attends de vos lettres présentement avec impatience, et je cause en attendant. Ne craignez jamais que j’en puisse être incommodée ; il n’y a nul danger d’écrire le soir. Voilà votre lettre du 31 de mai, ma très chère et très parfaitement aimable. Il y a des endroits qui me font rire aux larmes ; celui où vous ne pouvez pas trouver un mot pour M. de La Fayette est admirable. Je trouve que vous avez tant de raison que je ne comprends pas par quelle fantaisie je vous demandais cette inutilité. Je crois que c’était dans le transport de la reconnaissance de ce bon vin qui sent le fût ; vous étiez toujours sur vos pieds pour lui dire supposé, et un autre mot encore que je ne retrouve plus. Pour notre pichon, ma bonne, si vous aviez vu ce que vous m’en écrivez, vous auriez cru tout comme moi.Je suis transportée de joie que sa taille puisse être un jour à la Grignan. Vous me le représentez fort joli, fort aimable ;cette timidité vous faisait peur mal à propos. Vous vous divertissez de son éducation, et c’est un bonheur pour toute sa vie ; vous prenez le chemin d’en faire un honnête homme. Vous voyez comme vous aviez bien fait de lui donner des chausses ;ils sont filles, tant qu’ils ont une robe. Dieu sait comme M. de La Garde vous donne de bons conseils là-dessus ! Vous avez toujours retenu ce que disait Saint-Hérem ; c’est le plus joli capitaine qu’on puisse voir.Je suis tout affligée de son départ. Vous ne comprenez point mes mains, ma bonne.Présentement, j’en fais une partie de ce que je veux, mais je ne les puis fermer qu’autant qu’il faut pour tenir ma plume ; le dedans ne fait aucun semblant de se vouloir désenfler. Que dites-vous des restes agréables d’un rhumatisme ? Monsieur le Cardinal me mandait l’autre jour que les médecins avaient nommé son mal de tête un rhumatisme de membranes. Quel diantre de nom !à ce nom de rhumatisme, je pensai pleurer. Je vous trouve fort bien pour cet été dans votre château. M. de La Garde doit être compté pour beaucoup ; je pense que vous en faites fort bien votre profit. Vous êtes bien heureuse d’avoir de bons officiers. Et afin, ma bonne, que vous vous désespériez tout juste autant qu’il le faut et point plus, je vous dirai qu’il faut trois jours pour aller d’ici à Lyon, et cinq cruels à venir de Grignan à Lyon ; ce sont huit par des chaleurs extrêmes, et huit le retour, quoique moindre. Je crois que j’ai fait sagement de vous empêcher cette fatigue, et à moi la douleur de vous voir pour vous dire adieu presque en même temps : Pour vous voir un moment, j’ai passé par Essonnes ; C’est justement ce que vous eussiez fait. Mais quand vous voudrez me voir tout de bon et un peu plus tranquillement, vous passerez effectivement par Essonnes. Pour moi, je vivrais tristement si je n’espérais une autre année d’aller à Grignan ; c’est une de mes envies de me trouver encore une fois en ma vie dans ce château avec tous les pichons et tous les Grignan du monde ; il n’y en a jamais trop. J’ai un souvenir tendre du séjour que j’y ai fait, qui promet un second voyage dès que je le pourrai. J’ai ri, en vérité, ma bonne, mais c’est malgré moi, de la nouvelle du combat naval que notre bon d’ Hacqueville vous a mandée. Il faut avouer que cela est plaisant,et le soin qu’il prenait aussi de m’apprendre des nouvelles de Rennes, mais vous chercherez qui en rira avec vous, car vous savez bien le vœu que j’ai fait, depuis qu’il m’envoya une lettre de Davonneau qui me redonna la vie. Que dites-vous du maréchal de Lorges que voilà capitaine des gardes ? ces deux frères deviennent jumeaux, etMlle de Frémont est, en vérité, bien mariée, et M. de Lorges aussi. Je m’en réjouis pour le Chevalier. Je crois que plus son ami s’avancera, et plus il sera en état de le servir. Mme de Coulanges me mande qu’on lui a mandé que Mme de Brissac est guérie, et qu’elle ne rend point les eaux de Vichy ; voilà bien notre petite amie. Vous la trouverez bien au-dessus des servitudes où vous l’avez vue autrefois ; elle n’aime plus qu’autant qu’on l’aime, et cette mesure est bonne, surtout avec les dames de la cour. Vous avez fait transir le bon Abbé de lui parler de ne pas reprendre à Paris votre petit appartement.Hélas ! ma bonne, je ne l’aime et ne le conserve que dans cette vue ; au nom de Dieu, ne me parlez point d’être hors de chez moi. J’adore le bon Abbé de tout ce qu’il me mande là-dessus,et de l’envie qu’il a de me voir recevoir une si chère et si aimable compagnie ; si sa lettre n’était pleine de mille petites affaires de Bourgogne et de Bretagne, je vous l’enverrais. Ma bonne, je vous embrasse mille fois avec une tendresse qui vous doit plaire, puisque vous m’aimez ; vous ne sauriez l’imaginer aussi grande qu’elle est. Faites bien des amitiés à M. de La Garde et à M. de Grignan, et mes compliments de noces à La Garde. Baisez les pichons pour moi. J’aime la gaillardise de Pauline. Et ce petit,veut-il vivre absolument contre l’avis d’Hippocrate et de Galien ? Il me semble que ce doit être un homme tout extraordinaire. L’inhumanité que vous donnez à vos enfants est la plus commode chose du monde ; voilà, Dieu merci, la petite qui ne songe plus ni à père, ni à mère. Hélas ! ma belle, elle n’a pas pris cette heureuse qualité chez vous. Vous m’aimez trop, et je vous trouve trop occupée de moi et de ma santé ; vous n’en avez que trop souffert. Quoi ! Rippert renonce la réponse de Gourville. Sachez qu’il m’a écrit bien honnêtement pour prier Gourville, comme intendant des affaires du prince de Conti, de lui donner le chaperon de Bagnols pour l’année 1678. Voilà ce que Gourville m’a répondu, et puis il se trouve que ce n’est plus lui.Je ne m’en soucie en vérité guère, puisqu’il le prend par là, je ne dis pas de Rippert au moins, mais de son chaperon. Le maître des courriers de Lyon s’appelle Séjournant, à ce que m’a dit la Bagnols, il s’appelle encore Roujoux, et fait fort bien tenir nos lettres.

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