Lettres choisies

64. – À Madame de Grignan

Aux Rochers, dimanche 5èmenovembre. Réponse au 31 octobre 1684. Non, ma chère bonne, je vous promets de ne me point effrayer de vos maux ; je vous conjure de me les dire toujours comme ils sont. Vous voilà donc obligée à vous guérir de vos remèdes. Cette troisième saignée fut bien cruelle ensuite de la seconde, qui l’était déjà, et vos médecines mal composées, car nos capucins sont ennemis du polychreste. Vous avez été bien mal menée,ma pauvre bonne, de toutes les façons. Je croyais que ce fût Alliot, mais il y a presse à s’en vanter, car M. de Coulanges me mande de Chaulnes, où M. Séron est allé en poste pour Mme de Chaulnes, qui était très mal, que c’était lui qui avait eu l’honneur de vous traiter, qu’il vous avait fait saigner trois fois, et que votre mal était fort pressant et fort violent. C’est à vous à me dire la vérité de tout cela, car je n’y connais plus rien. Vous m’avez fait passer votre mal de gorge pour une chose sans péril, et vos saignées faites après coup fort mal à propos. Enfin, ma bonne, quoi qu’il en soit,consolez-vous, et guérissez-vous avec votre bonne pervenche, bien verte, bien amère, mais bien spécifique à vos maux, et dont vous avez senti de grands effets ; rafraîchissez-en cette poitrine enflammée. Et si, dans cet état qui passera, vous êtes incommodée d’écrire comme il y a bien de l’apparence, prenez sur moi comme sur celle qui vous aime le plus, sans faire tort à personne, et sans façon et sans crainte de m’effrayer, faites-moi écrire par M. du Plessis ; mettez une ligne en haut et une en bas,car il faut voir de votre écriture, et je serai ravie de penser que, toute couchée et tout à votre aise, vous causerez avec moi, et que vous ne serez point contrainte, deux heures durant, dans une posture qui tue la poitrine. Je vous serais trop obligée d’en user ainsi, et le prendrais pour une marque de votre amitié et de votre confiance. Pour votre côté, j’ai envie de vous envoyer ce que j’ai de baume tranquille par notre abbé Charrier. Il craint de le casser, c’est ce qui nous embarrasse, car pour moi, ma bonne, je ne l’ai pris que pour vous. Et si M. de Chaulnes ou M. de Caumartin ou Mme de Pomponne voulaient vous en donner, les capucins le rendraient cet été, aux États, aux deux premiers au double, et je le rendrais à Mme de Pomponne. J’en ai très peu. Ce baume est souverain, mais ce n’est pas pour un rhumatisme ; il en faudrait des quantités infinies. C’est pour en mettre huit gouttes sur une assiette chaude et le faire entrer dans l’endroit de votre côté où vous avez mal, et le frotter doucement jusqu’à ce qu’il soit pénétré à loisir, et puis un linge chaud dessus. Ils en ont vu des miracles. Ils y souffrent autant de gouttes d’essence d’urine mêlées. Voilà ce qui est pour vous, en très petit volume, comme vous voyez. Vous me manderez au plus tôt si vous voulez que j’envoie ma petite bouteille, ou si vous voulez en emprunter. C’est un baume précieux, qui me le serait infiniment s’il vous avait guérie, et que je n’ai pris que pour vous, mais, ma bonne, ne négligez point votre côté. Vous avez écrit une parfaite lettre à ces bons capucins ; nous l’avons lue avec un grand plaisir. Je leur envoie à Rennes, où ils tirent du tombeau la pauvre petite personne. Ils seront ravis et honorés et glorieux de la recevoir, et je vous enverrai soigneusement leur réponse. Pour nos santés, ma bonne, je vous en parlerai sincèrement. La mienne est parfaite. Je me promène quand il fait beau ; j’évite le serein et le brouillard. Mon fils le craint, et me ramène. Ma belle-fille ne sort pas ; elle est dans les remèdes des capucins,c’est-à-dire des breuvages et des bains d’herbes, qui l’ont fort fatiguée sans aucun succès jusqu’ici. Ainsi nous ne sommes point entrain ni en humeur de faire des promenades extravagantes. On en est tenté à Livry, et l’été, quand il fait chaud et qu’on voit une brillante lune, on aime à faire un tour, mais ici nous n’y pensons pas : nous allons entre deux soleils. Le bon Abbé est un peu incommodé de sa plénitude et de ses vents ; ce sont des maux où il est accoutumé. Les capucins lui font prendre tous les matins un peu de poudre d’écrevisse, et assurent qu’il s’en trouvera fort bien. Cela est long, et en attendant il souffre un peu. Pour moi,je n’ai plus de vapeurs. Je crois qu’elles ne venaient que parce que j’en faisais cas ; comme elles savent que je les méprise,elles sont allées effrayer quelques sottes. Voilà, ma bonne, la vraie vérité de l’état où nous sommes. Celui où vous me représentez Mlle d’ Alérac est trop charmant ; c’est une petite pointe de vin qui réveille et réjouit toute une âme. Il ne faut pas s’étonner si elle en a une présentement ! On la sent quelquefois si peu que c’est comme si on n’en avait pas. Je suis persuadée que M. de Polignac en a deux à proportion, parla reconnaissance qui se joint à son amour. Il me paraît que les articles se règlent mieux à Livry que chez M. de Montausier et à Sara ; c’est là que les difficultés se doivent aplanir. Mais ce que je ne comprends pas,c’est la première apparition de M. de Polignac. Que voulait-il dire avec son sérieux, avec sa visite courte et cérémonieuse ? Devait-elle être de cette froideur ? Ne fallait-il point expliquer avec grâce et chaleur cette longue absence, ce long silence ? Et comment, après avoir si mal commencé, peut-on finir si joliment ? Vous me faites de toute cette scène une peinture charmante, dont je vous remercie, car vous savez l’intérêt que j’y prends. Est-il allé à Dunkerque ? et où est cette belle Diane ? Le bon Abbé remercie M. du Plessis de l’honneur qu’il a fait à son canal. Cela lui paraît un coup de partie pour cette pièce d’eau comme une exécution vigoureuse dans les justices qui ne sont pas bien établies ; après cela on n’en doute plus. Aussi, après cette espèce de naufrage, la sécheresse, la bourbe, les grenouilles feront tout ce qui leur plaira ; nous serons toujours un canal où M. du Plessis a pensé se noyer. Nous avons eu ici une Saint-Hubert triste et détestable, mais il ne faut pas juger ici du temps que vous avez là-bas. Vous avez chaud à Livry ; vous êtes en été. La Saint-Hubert aura peut-être été merveilleuse à Fontainebleau, et nous avons des pluies et des brouillards. Nous avons pourtant eu de beaux jours ; il faut prendre le temps comme il vient, car nous ne sommes pas les plus forts. Il me prit hier une folie de craindre le feu à l’hôtel de Carnavalet : c’est peut-être une inspiration. Ma bonne, redoublez vos ordres : qu’on n’aille point à la caveaux fagots, comme on y va toujours, avec une chandelle sans lanterne, et qu’on prenne garde en haut au voisinage du grenier au foin. Vos gens n’y perdraient rien, et nous en serions ruinés.Voilà une jolie fin de lettre, et bien spirituelle, mais elle ne sera peut-être pas inutile. Clairotte et Épine sont sages. Ma bonne, je vous demande en vérité pardon de cette prévoyance, mais quand les jours ont douze heures, et qu’on n’a pas beaucoup d’affaires, on pense à tout. Je suis très fâchée que le rhumatisme du Chevalier ouvre de si bonne heure. Vichy ne lui a pas bien réussi cette année ; je souhaite que nos capucins fassent mieux.Faites-lui mes amitiés, je vous en prie. Je vous crois à Paris, et bien près d’être à Fontainebleau mais, ma bonne, irez-vous en un jour ? Ayez pitié de vous. Songez à ne pas augmenter vos maux ; cela est préférable à tout. Il n’y a nulle affaire et nulle raison qui vous doivent obliger à vous hasarder, ma chère bonne ; c’est bien véritablement ma santé et ma vie que je vous recommande. C’est une étrange amertume à digérer ici que la crainte de vous voir dangereusement malade. Il n’y a pas moyen de soutenir cette pensée jour et nuit. Ayez donc pitié de moi. Hélas ! que pensez-vous que m’ait fait cette mort de Mme de Luynes ? C’est une tristesse dont on ne peut se défendre. Et que faut-il donc pour ne point mourir ? Jeune, belle, reposée, toute tranquille et tout en paix, elle avait payé le tribut de l’humanité l’année passée par une grande maladie, et la voilà morte un an après ; c’est un étrange point de méditation. M. de Chaulnes en est affligé ; dites-lui quelque chose. Mme de Chaulnes a été bien mal. Ils ont tant d’amitié pour moi et pour vous ; ne les négligez pas. Adieu, ma chère bonne. Je ne vous puis dire assez combien je vous aime. Allez-vous sitôt ne plus aimer Mme de Coulanges, après avoir tant bu ensemble à Clichyet à Livry ? La d’ Escars me parle d’une cordelière dans ma chaise de tapisserie. Ma bonne, vous n’avez qu’à ordonner, tout me plaira. J’en attends les deux bras ; cela me divertira.Mme de La Fayette me mande que Mme de Coulanges est charmée de vous et de votre esprit. Le Bien Breton vous salue tendrement. Mon fils et sa femme vous font beaucoup d’amitiés et de compliments. J’écris à mon Marquis, mais il me semble que vous devez être à Fontainebleau. Je l’adresse à la Colm. Pour ma bonne.

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