Lettres choisies

74. – À Bussy-Rabutin

À Paris, ce mardi 2ème septembre1687. Je viens de recevoir vos lettres de Cressia,mon cher cousin, qui m’ont donné quelque consolation, car je suis accablée de tristesse. J’ai vu mourir depuis dix jours mon cher oncle ; vous savez ce qu’il était pour sa chère nièce. Il n’y a point de bien qu’il ne m’ait fait, soit en me donnant son bien tout entier, soit en conservant et en rétablissant celui de mes enfants. Il m’a tirée de l’abîme où j’étais à la mort de M. de Sévigné. Il a gagné des procès, il a remis toutes mes terres en bon état, il a payé nos dettes, il a fait la terre où demeure mon fils la plus jolie et la plus agréable du monde, il a marié mes enfants. En un mot, c’est à ses soins continuels que je dois la paix et le repos de ma vie. Vous comprenez bien que de si sensibles obligations, et une si longue habitude, fait souffrir une cruelle peine quand il est question de se séparer pour jamais. La perte qu’on fait des vieilles gens n’empêche pas qu’elle ne soit sensible quand on a de grandes raisons de les aimer et qu’on les a toujours vus. Mon cher oncle avait quatre-vingts ans ; il était accablé de la pesanteur de cet âge. Il était infirme, et triste de son état ; la vie n’était plus qu’un fardeau pour lui. Qu’eût-on donc voulu lui souhaiter ? une continuation de souffrances ? Ce sont ces réflexions qui ont aidé à me faire prendre patience. Sa maladie a été d’un homme de trente ans :une fièvre continue, une fluxion sur la poitrine. En sept jours, il a fini sa longue et honorable vie avec des sentiments de piété, de pénitence et d’amour de Dieu, qui nous font espérer sa miséricorde pour lui. Voilà, mon cousin, ce qui m’a occupée et affligée depuis quinze jours. Je suis pénétrée de douleur et de reconnaissance. Nos cœurs ne sont pas ingrats, car je me souviens de tout ce que la reconnaissance et l’amitié vous fit penser et écrire sur le mérite et sur les qualités de M. de Saint-Aignan. Nous sommes bien loin d’oublier ceux à qui nous sommes obligés. J’ai trouvé votre rondeau fort joli. Tout ce que vous touchez est toujours d’un agrément qui ne se peut comparer à nul autre, quand même votre cœur n’est pas de la partie, car je comprends que la galanterie est demeurée dans votre esprit sans que les charmes de l’aimable Toulongeon fassent une grande impression sur votre cœur. Je ne doute pas des beaux titres que vous avez trouvés dans les archives de la maison de Coligny. Il y a bien des réflexions à faire sur les restes de ces grands personnages, dont les biens sont passés en d’autres mains. L’origine de la nôtre est tout à fait belle, et dans le goût de ceux qui s’y connaissent. Vous savez toutes les merveilles qu’on a faites sur les Turcs. Notre cousin de Vienne n’y était-il pas des plus avant ? Je suis quelquefois en colère de ne l’entendre jamais nommer ; n’est-il pas général de bataille ? Je voudrais que votre grand garçon eût été à cette campagne contre les Turcs où tous nos Français ont acquis tant d’honneur. Adieu, mon cher cousin. Si vous venez ici,nous causerons à l’infini. Je me repens de tout ce que je vous ai dit pour vous détourner de faire ce voyage ; j’étais de méchante humeur de votre fortune qui n’est pas heureuse. Oubliez mes sots raisonnements, je vous prie, et venez avec toute la confiance que vous doivent donner vos longs services et la grande justice de vos raisons. J’embrasse ma nièce. Je la plains des maux qu’elle a eus et je l’exhorte, autant qu’il est en moi, à se bien porter, car après le salut, je mets la santé au premier rang, et je prie Dieu qu’il vous conserve tous deux. Il me semble que c’est souhaiter en même temps que vous m’aimiez de longues années, car je m’imagine que nous ne nous aviserons jamais de mettre à nos amitiés d’autres bornes que celles de nos vies. DE CORBINELLI Il est vrai, Monsieur, que je vous ai parlé de la cour comme si vous ne la connaissiez pas, mais je vous en ai parlé comme on fait aux plus vieux courtisans quand ils en ont été dehors seulement huit jours ; c’est un Protée qui change de face à tous moments. J’ai ouï dire à un officier de la cour des plus assidus que, quand il a été deux jours à Paris, il tâte le pavé quand il retourne à Versailles, comme s’il ne connaissait plus le maître ni ses ministres. On y change de maximes tous les huit jours pour le moins. Prenez donc tout ce que je vous ai mandé sur ce pied-là, et comptez qu’il n’y a rien de fixe en ce pays-là que la grandeur du Roi, sa magnanimité, sa bonté, et sa piété. J’entendis un sermon aux Jésuites le jour de la Saint-Louis dont je vous conterai le détail et les plus beaux endroits, et vous en serez surpris. C’est un père de l’Oratoire,nommé La Roche, dont le cœur est de roche contre les fausses vertus. Adieu, Monsieur. Trouvez bon que j’assure ici Madame la Marquise de mes très humbles respects et que je la fasse souvenir de mon attachement pour sa personne et pour son mérite. Le madrigal de Monsieur le Prince nous a paru comme à vous, et la mort du vieux La Tournelle trop ferme. Comme vous dites, en ces rencontres un peu d’aide fait grand bien.

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