Lettres choisies

84. – À Madame de Grignan

Aux Rochers, mercredi 12ème juillet1690. Réponse au 1er juillet. Ce fut un grand jour, ma chère bonne, pour M. de Luxembourg. Quelle belle victoire pleine, entière,glorieuse, et qui ne pouvait être placée plus à propos ! Je suis assurée qu’encore que vous n’ayez point été en peine de notre Marquis – qui, je crois, n’était pas du détachement que M. de Boufflers y envoya – vous n’aurez pas laissé d’être extraordinairement émue. Pour moi, je l’étais, à ne savoir à qui j’en avais, car je compris bien que notre enfant ou n’y était pas ou n’était pas du nombre des malheureux, mais je ne saurais que vous dire. Une si grande chose, alors qu’on l’espère le moins ! Voir tant de personnes affligées ! Songer que la guerre n’est pas encore passée ! Tout cela fait un composé qui fait circuler le sang plus vite qu’à l’ordinaire. J’ai senti vivement la belle et brillante action du chevalier de Pomponne ; elle vous viendra de tous côtés. Après le Marquis, il n’y a personne où je prisse tant d’intérêt, à cause de M. de Pomponne, que j’aime, comme vous savez. Vraiment les larmes me vinrent bien aux yeux, en apprenant ce que le Roi lui dit sur ce sujet.Mme de Vins, qui sait mes sentiments, m’a écrit une lettre dont je lui serai toute ma vie obligée. Je lui devais une réponse, mais sachant comme je suis sur ce nom, elle m’écrit d’une manière si aimable que je ne puis assez l’en remercier. Sa lettre ne sent point du tout le fagot d’épines, je vous en assure ; elle sent l’amitié, et n’a point été reçue aussi par un fagot d’épines. Dites-lui, ma bonne, combien j’en suis contente et reconnaissante. C’est une aimable amie, et digne de vous. J’ai Mme de Soye court à la tête. La voilà sans garçons, avec deux gendres. Ne me faites point parler.C’est une belle chose que de ne chercher que le bien, et se défaire bien vite de ses filles. Voilà des coqs d’Inde avec les plumes du paon. Demandez à Monsieur le Chevalier ce que c’est que Tilloloy : c’est une maison royale ! Ah ! que cela siéra bien à ces messieurs ! Me voilà en colère. On dit que Mlle de Cauvisson épousera son oncle, à cause des substitutions. Je n’ai rien à dire encore sur ce sujet, sinon de ne pas comprendre que Mme de Cauvisson ne se casse pas la tête contre les murailles, en me souvenant comme elle est sur les choses les plus communes de la vie. Je ne sais, ma bonne, si vous ne vous moquerez point de moi, de vous envoyer des détails que notre Troche m’écrit et qu’elle prend en très bon lieu. Il y a des gens qui les méprisent ; pour moi, comme je les aime fort, je hasarde de vous plaire ou de vous ennuyer. Mais non, car vous n’aurez qu’à les jeter s’ils vous ennuient. La mort de Villarceaux vous fera pitié,et la consolation de Mme de Polignac à sa compagne vous fera rire, et vous reconnaîtrez aisément cette vivacité qui se veut divertir un petit brin pendant qu’elle est jeune.Vous verrez ce qu’a dit Sa Majesté. On sait les grandes choses et l’on ignore les petites. En voilà à choisir. Ce que vous me mandez de ces galères qui sont devenues des Sirènes, c’est-à-dire des Chimères, comme dans Virgile, m’a fait plaisir. Je vous envoie le petit Bigorre, pour le plaisir des heureux augures. Vous y verrez toutes ces vues qui commencent à se démêler, et il m’entraîne à espérer que Rome, Savoie et la mer se termineront selon nos désirs. Cette Savoie me tient bien au cœur, par rapport à vous et à votre époux. Ma très chère bonne, je crois que votre enfanta besoin de ce qu’il vous demande ; la difficulté, c’est de lui pouvoir donner. Votre état est une mer où je m’abîme, et qui me fait peur pour votre santé. Quand j’y compare mes affaires réduites au petit pied, je crois regarder par un microscope, et je me crois riche et ne songe plus à moi. Vous me soulagez bien l’esprit en me disant vos pensées pour Pauline, en cas que vous alliez à Paris. Ce sont précisément celles que j’avais, et je n’osais vous les dire ;je voulais que les vôtres parussent les premières. Toutes vos raisons sont admirables, ma bonne. C’étaient celles qui m’étaient venues ; n’en changez point. Aimez cette petite créature ; rendez-la digne de votre tendresse. Vous en serez toujours la maîtresse ; elle ne sera point difficile à gouverner. J’ajoute à toutes vos raisons la liberté que vous aurez encore de me la donner de certains jours que vous n’en aurez point affaire. Elle ne sera point en mauvaise compagnie, et je ne vous serai peut-être pas tout à fait inutile pour faire que jamais vous ne puissiez vous repentir de l’avoir amenée. Je ne sais si je me brouillerai avec elle par ce conseil que je vous donne.Voilà une affaire vidée ; il n’est plus question que d’aller à Paris. Ce sera, ma bonne, selon que votre requête civile sera jugée. Nous sommes d’accord de nos faits sur cet article ;nous n’avons plus rien à dire. Mme de La Fayette me mande que je n’ai qu’à songer à graisser mes bottes, que, passé le mois de septembre, elle ne me donne pas un moment. Sur cela je mange des pois chauds dans ma réponse, comme disait M. de La Rochefoucauld, et je n’en ferai pas moins tout ce que je vous ai dit ma chère bonne, mais il faut se taire jusqu’à ce qu’il soit temps de parler. J’approuve et j’honore les bouts-rimés des auteurs d’Aix, mais ce sont des sonnets, c’est un opéra pour moi.Ces rimes me font peur. Je ne suis point animée par vos ouvrages à tous, ni par Rochecourbière et M. Gaillard, que j’aime. Ainsi je pense que j’en demeurerai à la simple approbation, quand ce ne serait que pour faire voir à Pauline qu’il y a des choses où mon esprit ne prend pas. Vous parlez, tout comme bien des gens, des succès de nos armées navales et des combats navaux :c’est quasi toujours le vent qui les décide ; autant en emporte le vent ! Je vous ai dit que depuis la bataille d’ Actium, jamais aucune affaire n’avait été décidée par cette manière de combattre, mais ce fut une belle décision que celle-là.Notre flotte est dans la Manche. Nous attendons ce que Dieu nous garde de ce côté-là. Toutes ces galères, qui ont fait partir M. de Grignan, sont devenues à rien. Il fallait que M. de Janson chaussât mieux ses lunettes. Adieu, ma chère et mon aimable bonne. Je vous aime, je vous embrasse, je vous souhaite de la force, du courage,de la santé, pour soutenir votre vie. Je pense à vous mille et mille fois, mais toujours inutilement ; c’est ce qui m’afflige. N’êtes-vous point trop bonne d’avoir écrit à Mlle de Méri ? Mon Dieu ! je lui ai écrit aussi. Que deviendra tout cela ? Elle fera de grands cris, et vous trouvera trop généreuse, comme vous l’êtes en effet, et moi bien vilaine, bien crasseuse, bien infâme ; enfin, ma mignonne, nous verrons sa réponse. Nous parlerons de vos quittances à la première vue. Vous êtes estimable en tout et par tout. DE CHARLES DE SEVIGNE Vous me demandez mon avis, ma petite sœur. Le voici : il faut des autels pour ma divinité, mais il ne faut point envoyer ma divinité au service des autels pendant que vous serez à Paris. Toutes vos raisons pour la mener avec vous sont décisives, et les autres ne me paraissent pas mériter que vous y fassiez seulement attention. Je suis bien assuré que vous ne me voudrez point de mal de décider comme je fais, et si je suis mal avec vous, je m’en prendrai à d’autres choses qu’à cette décision. Vos entrailles auront été bien émues en entendant parler de tant de morts, et en apprenant que l’armée de M. de Boufflers avait joint celle de M. de Luxembourg. Cependant notre Marquis n’était point au combat, et j’en suis ravi ; il me semble qu’il était funeste aux jeunes gens de conséquence, et je serais bien fâché de vous voir figurer avec Mme de Soye court et Mme de Cauvisson. Je laisse ici deux dames qui sont moins affligées que celles-là, mais qui m’assurent qu’elles le sont. Je n’oserais vous en dire la raison, car, ma foi, elle n’en vaut pas la peine. Je vous dirais bien, moi, pourquoi je suis triste de mon côté, et vous le comprendriez plus aisément. Adieu, ma petite sœur.Je salue tout ce qui est autour de vous, et continue toujours d’adorer la déesse Pauline. Il s’en va, l’infidèle ! J’ai vu, ma bonne, que j’étais comme vous : je me moquais de Copenhague et des gazettes, mais la campagne, et l’intérêt qu’on prend aux affaires générales, fait changer d’avis. Je les lis toutes avec empressement, et vous aime de même. Mille amitiés sincères à vos chers consolateurs. N’écrivez-vous pas à Mme de Meckelbourg et à M. de Pomponne, et M. de Grignan au Roi ? Nous trouvons les deux sonnets fort jolis, et si beaux que nous en serions effrayés. Nous donnons à M. de Grignan le plus parfait, qui commence par : La base veut monter au rang de la corniche, et finit par : Juste ciel ! Suscription : Pour ma chère Comtesse.

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