Lettres choisies

47. – À Guitaut

À Livry, 26ème septembre 1679. Mme de Grignan se porte à merveille ; voilà un très beau commencement de lettre, avec tous les détails de votre entrevue contés d’une manière qui me plaît fort. Car j’aime premièrement votre style, et puis j’aime les détails de ce qui touche les gens que j’aime. Je suis donc bien contente jusque-là. Mais cette colique mon pauvre Monsieur, me donne bien de l’inquiétude. Cela vient d’une âcreté de sang qui cause tous ses maux, et quand je pense combien elle se soucie peu de l’apaiser, de le rafraîchir, et qu’elle va trouver l’air de Grignan, je vous assure qu’il s’en faut bien que je ne sois en repos. Vous me remettez un peu par le compliment du père du précepteur, qui fut reçu dans une position si convenable à sa vocation. N’admirez-vous point son opiniâtreté à ne vouloir pas se servir de votre litière ? Quelle raison pouvait-elle avoir ? Avait-elle peur de ne pas sentir tous les cruels cahots de cette route ? Puisqu’elle a tant de soin du petit minet, que ne le mettait-elle auprès d’elle ? Quelle façon, quelle fantaisie musquée ! Tout ce que je dis est inutile, mais je ne puis m’empêcher d’être en colère. Dites le vrai, mon cher Monsieur : vous l’avez trouvée bien changée. Sa délicatesse me fait trembler. Je suis toujours persuadée que si elle voulait avoir de l’application à sa santé, elle rafraîchirait ce sang et ce poumon qui fait toutes nos frayeurs. Vous me demandez ce que je fais. Hélas ! je suis courue dans cette forêt cacher mon ennui. Vous devriez bien m’y venir voir. Nous causerions ensemble deux ou trois jours, et puis vous remonteriez sur l’hippogriffe (car je suppose que vous auriez pris cette voiture plutôt que la litière), et vous retourneriez aux sermons du P.Honoré. Ma fille m’écrit de Chagny, et m’en parle, en passant légèrement sur cette colique, et me parlant presque autant de vous que vous me parlez d’elle. Elle fait mention de Mme de Leuville, de M. de Senets, et s’arrête fort sur l’endroit du cuisinier, qu’elle ne peut digérer. Il faut songer à la consoler sur ce point. Que faites-vous cet hiver ? Serez-vous encore dans votre château ? On dit que vous êtes grosse,Madame ; quand on accouche aux îles on accouche bien à Époisses. J’aime toujours à savoir les desseins de ceux que j’aime.Les miens sont de garder le bon Abbé au coin de son feu tout l’hiver. Vous avez su comme il s’est tiré de la fièvre ; il a présentement un gros rhume qui m’inquiète. Adieu, Monsieur. Je vous remercie de votre grande lettre ; elle marque l’amitié que vous avez, et pour celle de qui vous parlez, et pour celle à qui vous parlez.Écrivez-moi quand vous aurez vu M. de Martinien ; ne parlâtes-vous de rien avec ma fille ? Le bon Abbé vous fait mille et mille compliments tout pleins d’amitié. À Monsieur, Monsieur le comte de Guitaut,chevalier des ordres du Roi, à Semur. Semur-en-Auxois.

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