Lettres choisies

44. – À Guitaut

À Paris, ce vendredi 25ème août1679. Hélas ! mon pauvre Monsieur, quelle nouvelle vous allez apprendre, et quelle douleur j’ai à supporter ! M. le cardinal de Retz mourut hier, après sept jours de fièvre continue. Dieu n’a pas voulu qu’on lui donnât du remède de l’Anglais, quoiqu’il le demandât et que l’expérience de notre bon abbé de Coulanges fût toute chaude, et que ce fût même cette Éminence qui nous décidât, pour nous tirer de la cruelle Faculté, en protestant que s’il avait un seul accès de fièvre, il enverrait quérir ce médecin anglais. Sur cela, il tombe malade. Il demande ce remède ; il a la fièvre, il est accablé d’humeurs qui lui causent des faiblesses, il a un hoquet qui marque la bile dans l’estomac. Tout cela est précisément ce qui est propre pour être guéri et consommé par le remède chaud et vineux de cet Anglais. Mme de La Fayette, ma fille et moi, nous crions miséricorde, et nous présentons notre Abbé ressuscité, et Dieu ne veut pas que personne décide. Et chacun, en disant : « Je ne veux me charger de rien », se charge de tout. Et enfin M. Petit, soutenu de M. Belay, l’ont premièrement fait saigner quatre fois en trois jours, et puis deux petits verres de casse, qui l’ont fait mourir dans l’opération, car la casse n’est pas un remède indifférent quand la fièvre est maligne. Quand ce pauvre Cardinal fut à l’agonie, ils consentirent qu’on envoyât quérir l’Anglais ; il vint, et dit qu’il ne savait point ressusciter les morts. Ainsi est péri, devant nos yeux, cet homme si aimable et si illustre que l’on ne pouvait connaître sans l’aimer. Je vous mande tout ceci dans la douleur de mon cœur, par cette confiance qui me fait vous dire plus qu’aux autres, car il ne faut point, s’il vous plaît, que cela retourne. Le funeste succès n’a que trop justifié nos discours, et l’on peut retourner sur cette conduite sans faire beaucoup de bruit. Voilà ce qui me tient uniquement à l’esprit. Ma fille est touchée comme elle le doit. Je n’ose toucher à son départ ; il me semble pourtant que tout me quitte, et que le pis qui me puisse arriver, qui est son absence,va bientôt m’achever d’accabler. Monsieur et Madame, ne vous fais-je pas un peu de pitié ? Ces différentes tristesses m’ont empêchée de sentir assez la convalescence de notre bon Abbé, qui est revenu de la mort. Je dirai à ma fille toutes vos offres. Peut-on douter de vos bontés extrêmes ? Vous êtes tous deux si dignes d’être aimés qu’il ne faudrait pas s’en vanter si l’on avait un sentiment contraire. J’en suis bien éloignée, et l’on ne peut être à vous plus sincèrement que j’y suis. J’aurais cent choses à vous dire. Mais le moyen, quand on a le cœur pressé ? Monsieur, Monsieur le comte de Guitaut,chevalier des ordres du Roi, à Époisses, par Semur-en-Auxois.

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