Lettres choisies

69. – À Madame de Grignan

Aux Rochers, mercredi 13ème juin1685. Réponse au 9. Per tornar dunque al nostroproposito, je vous dirai, ma bonne, que vous me traitez mal de croire que je puisse avoir regret au port du livre du carrousel.Jamais un paquet ne fut reçu et payé plus agréablement ; nous en avons fait nos délices depuis que nous l’avons. Je suis assurée qu’à Paris je ne l’aurais lu qu’en courant et superficiellement. Je me souviens de ce pays-là ; tout y est pressé, poussé. Une pensée, une affaire, une occupation pousse ce qui est de vantelle. Ce sont des vagues ; la comparaison du fleuve est juste. Nous sommes ici dans un lac ; nous nous sommes reposés dans ce carrousel. Nous avons raisonné sur les devises. Répondez à nos questions. Celle d’un chien qui ronge un os, faute de mieux, nous trouble tout à fait. Nous serons cause que vous lirez ce livre ! Je trouve bien plaisant la petite course dont les deux jambons de M. de Luxembourg font le prix.Le Bien Bon s’est écrié sur cet endroit, et regrette de n’être pas un des paladins. M. le duc de Bourbon était-il bien joli ? De bonne foi, comment paraissait-il ?Approche-t-il de la taille du Marquis ? Ah ! j’ai bien peur que non. Je m’y suis affectionnée ; je suis triste de tant de grandeurs et tant de disgrâce du côté de la taille. On dit qu’il y aura encore une belle fête à la noce, et des chevaliers plus choisis. Je dirai à Mme de La Fayette ce que vous me dites du sien ; elle en sera ravie. Elle se plaint tendrement de ne vous voir plus, et dit que vous êtes partout belle comme un ange, et toujours cette beauté ; je ne fais jamais retourner ce que vous m’écrivez que de cette manière, et jamais pour rien gâter. Mme de La Troche me mande que Mme de Moreuil entra mercredi dans le carrosse de Madamela Dauphine, et que l’on croit que c’est pour être dame d’honneur de Madame la Duchesse, parce que le Roi a dit qu’il voulait que celle qui la serait y entrât par elle-même, et tout le monde juge que, sans cela, rien ne pressait de lui accorder ce qu’elle demandait depuis si longtemps. Je souhaite qu’elle ait cette place ; vous savez que je lui ai donné ma voix il y a longtemps. Pour des vapeurs, ma très aimable bonne, je voulus, ce me semble, en avoir l’autre jour. Je pris huit gouttes d’essence d’urine et, contre son ordinaire, elle m’empêcha de dormir toute la nuit, mais j’ai été bien aise de reprendre de l’estime pour elle. Je n’en ai pas eu besoin depuis. En vérité, je serais ingrate si je me plaignais. Elles n’ont pas voulu m’accabler pendant que j’étais occupée à ma jambe ; c’eût été un procédé peu généreux. Pour cette jambe, voici le fait : il n’y a plus aucune plaie, il y a longtemps, mais l’endroit était demeuré si dur, et tant de sérosités y avaient été rencognées par des eaux froides que nos chers pères l’ont voulu traiter à loisir, sans me contraindre, et en me jouant, avec ces herbes, que l’on retire deux fois le jour toutes mouillées. On les enterre, et à mesure qu’elles pourrissent, riez-en si vous voulez, cet endroit sue et s’amollit,et ainsi, par une douce et insensible transpiration, avec des lessives d’herbes fines et de la cendre, je guéris la jambe du monde la plus maltraitée par le passé, et je ne crois pas qu’il y ait rien de plus aimable pour moi qu’une sorte de traitement qui est sûr, et qui n’est ni contraignant ni dégoûtant, et qui me donne tous les jours le plaisir de me voir guérir sans onguents, sans garder un moment la chambre. C’est dommage que vous n’alliez conter cela à des chirurgiens ; ils pâmeraient de rire, mais moi, je me moque d’eux. Vous voulez savoir où j’ai été aujourd’hui ? J’ai été à la place Madame ; j’ai fait deux tours de mail avec les joueurs. Ah ! mon cher Comte,je songe toujours à vous, et quelle grâce vous avez à pousser cette boule. Je voudrais que vous eussiez à Grignan une aussi belle allée. J’irai tantôt au bout de la grande allée voir Pilois qui lui fait un beau degré de gazon pour descendre à la porte qui va dans le grand chemin. Ma bonne, vous voilà instruite de reste, vous ne direz pas que je vous cache des vérités, que je ne fais que mentir. Vous en savez autant que moi. Oui, nos capucins sont fidèles à leurs trois vœux. Leur voyage d’Égypte, où l’on voit tant de femmes comme Ève,les en ont dégoûtés pour le reste de leurs jours. Enfin leurs plus grands ennemis ne touchent pas à leurs mœurs, et c’est leur éloge,étant haïs comme ils le sont. Ils ont remis sur pied une de ces deux femmes qui étaient mortes. Parlons de M. de Chaulnes. Il m’a écrit que les États sont à Dinan, et qu’il les fait commencer le premier jour d’août pour avoir le temps de m’enlever au commencement de septembre, et puis mille folies de vous, qu’il vous a réduite au point qu’il désirait, que vous êtes coquette avec lui,et que bientôt… Enfin il est d’une gaillardise qui me ravit, car en vérité, j’aime ces bons Gouverneurs. La femme me dit encore mille petits secrets. Je ne comprends point comme on peut les haïr, et les envier, et les tourmenter ; je suis fort aise que vous vous trouviez insensiblement dans leurs intérêts. Si les États eussent été à Saint-Brieuc, c’eût été un dégoût épouvantable. Il faut voir qui sera le commissaire ; ils ont encore ce choix à essuyer. Si vous êtes dans leur confiance, ils ont bien des choses à vous dire, car rien n’est égal à l’agitation qu’ils ont eue depuis quelque temps. Pour M. Bruan, le Bien Bon dit que ce n’est point un homme à recevoir une pistole pour une conférence ; d’en donner deux, ce serait trop. Il faut savoir de M. Le Cour, qui l’a souvent consulté, et de M. de La Trousse, qui ne le paiera qu’à la fin de son bâtiment. A-t-il fait un devis ? On donne plus ou moins selon la peine. Il est difficile de dire précisément d’ici ce qu’il lui faut. Pour moi, je vous conseille de nous attendre ; ce n’est pas un homme qu’on paie jour à jour. Pour votre chambre, ma bonne,je comprends qu’elle est fort bien avec tout ce que vous me mandez.Si la sagesse ne faisait point fermer les yeux sur tout ce qui convient à la magnificence des autres et à la qualité, on ne se laisserait pas tomber en pauvreté. Je sais le plaisir d’orner une chambre ; j’y aurais succombé, sans le scrupule que j’ai toujours fait d’avoir des choses qui ne sont pas nécessaires quand on n’a pas les nécessaires. J’ai préféré de payer des dettes, et je crois que la conscience oblige, non seulement à cette préférence, mais à la justice de n’en pas faire de nouvelles. Ainsi je blâme,maternellement et en bonne amitié, l’envie qu’a M. de Grignan de vous donner un autre miroir.Contentez-vous, ma chère bonne, de celui que vous avez. Il convient à votre chambre, qui est encore bien imparfaite. Il est à vous par bien des titres, et tout mon regret, c’est de ne vous en avoir donné que la glace. J’aurais été bien aise, il y a longtemps, de le faire ajuster comme vous avez fait. Jouissez donc, ma bonne, de votre dépense sans en faire une plus grande, qui serait superflue et contre les bonnes mœurs dont nous faisons profession. Je voudrais que Corbinelli ne vous eût point dit un mot du Doge, que je présente à Monsieur le Chevalier. AU CHEVALIER DE GRIGNAN On lui demanda ce qu’il trouvait de rare et d’extraordinaire à la cour et à Paris. Il répondit que c’était lui.Monsieur, vous m’en voulez d’ailleurs, ou vous êtes malade, si vous ne trouvez cela juste et plaisant. Mais hélas ! oui, mon pauvre Monsieur, vous êtes malade. Je serais fort bien avec vous si vous saviez combien je suis touchée de la tristesse de votre état.J’en vois toutes les conséquences, et j’en suis triste à loisir,car ici toutes les pensées ont leur étendue ; elles ne sont ni détournées ni effacées. Concevez donc une bonne fois ce que je sens sur votre sujet. Vous irez à Livry. Vous y marcherez au moins ; ne me parlez point d’être porté dans une chaise. Un menin est bien étonné d’être si accablé au lieu de briller au carrousel. Ô Providence ! Ma bonne, voyez un peu comme s’habillent les hommes pour l’été. Je vous prierai de m’envoyer d’une étoffe jolie pour votre frère, qui vous conjure de le mettre du bel air, sans dépense, savoir comme on porte les manches, choisir aussi une garniture, et envoyer le tout pour recevoir nos Gouverneurs. Mon fils a un très bon tailleur ici. M. du Plessis vous donnera de l’argent du bon Abbé pour les rubans, car avec un petit billet que j’écrirai à Gautier, à qui je ne dois rien, il attendra mon retour.Je vous prie aussi de consulter Mme de Chaulnes pour l’habit d’été qu’il me faut pour l’aller voir à Rennes, car pour les États, ma chère bonne, je vous en remercie. Je reviendrai ici commencer à faire mes paquets pour me préparer à la grande fête de vous revoir et de vous embrasser mille fois.Mme de Chaulnes en sera bien d’accord. J’ai un habit de taffetas brun piqué, avec des campanes d’argent aux manches un peur élevées, et au bas de la jupe, mais je crois que ce n’est plus la mode, et il ne se faut pas jouer à être ridicule à Rennes où tout est magnifique. Je serai ravie d’être habillée dans votre goût,ayant toujours pourtant l’économie et la modestie devant les yeux.Je ne veux point de Toupris. Rien que la bonne Mme Dio ;elle a ma mesure. Vous saurez mieux que moi quand il faudra cet habit, car vous verrez le départ des Chaulnes, et je courrai à Rennes pour les voir. En vérité, je serais ingrate si je ne les aimais. Tous les ingrats qu’ils ont faits en ce pays me font horreur, et je ne voudrais pas leur ressembler. On nous mande (ceci est fuor diproposito, mais ma plume le veut) que les minimes de votre Provence ont dédié une thèse au Roi où ils le comparent à Dieu,mais d’une manière où l’on voit clairement que Dieu n’est que la copie. On l’a montrée à Monsieur de Meaux, qui l’a montrée au Roi disant que Sa Majesté ne doit pas la souffrir. Il a été de cet avis. On l’a renvoyée en Sorbonne pour juger ; elle a dit qu’il la fallait supprimer. Trop est trop. Je n’eusse jamais soupçonné des minimes d’en venir à cette extrémité. J’aime à vous mander des nouvelles de Versailles et de Paris, ignorante. Vous conservez une approbation romanesque pour les princes de Conti. Pour moi, qui ne l’ai plus, je les blâme de quitter un tel beau-père, de ne pas se fier à lui pour leur faire voir assez de guerre. Eh, mon Dieu ! ils n’ont qu’à prendre patience et jouir de la belle place où Dieu les a mis. Personne ne doute de leur courage. À quel propos faire les aventuriers et les chevaux échappés ? Leurs cousins de Condé n’ont pas manqué d’occasions de se signaler ; ils n’en manqueraient pas aussi.Et con questo je finis, ma très aimable et très chère bonne, toute pleine de tendresse pour vous, dévorant par avance le mois de septembre où nous touchons, car vous voyez comme tout cela va. Quand M. du Plessis se sera bien promené dans notre parc,il vous le donnera ; il l’a reçu, et vous lui ferez comprendre et à Mlle d’ Alérac nos grandes allées droites tout de travers. Le Bien Cher vous aime comme il a toujours fait ; il lui prend des furies d’envie de voir Pauline qui me font rire. Votre frère, votre belle-sœur, que ne vous disent-ils point ? Ils vous assurent que le Tranquille ne se sert que de sa boîte pour guérir efficacement. Je ne crois pas qu’il vienne ici. Ils sont trop occupés à Rennes. Ils me disent de continuer toujours, en me jouant et en marchant, leurs aimables remèdes.J’embrasse mille fois encore ma chère bonne. Pour ma chère Comtesse.

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