Lettres choisies

36. – À Guitaut

À Paris, lundi 15ème novembre1677. Comment vous portez-vous, Monsieur et Madame,de votre voyage ? Vous avez eu un assez beau temps. Pour moi,j’ai une colique néphrétique et bilieuse (rien que cela), qui m’a duré depuis le mardi, lendemain de votre départ, jusqu’à vendredi.Ces jours sont longs à passer, et si je voulais vous dire que depuis que vous êtes partis, les jours m’ont duré des siècles, il y aurait un air assez poétique dans cette exagération, et ce serait pourtant une vérité. Je fus saignée le mercredi à dix heures du soir, et parce que je suis très difficile, on m’en tira quatre palettes, afin de n’y pas revenir une seconde fois. Enfin à force de remèdes, de ce que l’on appelle remèdes, dont on compterait aussi tôt le nombre que celui des sables de la mer, je me suis trouvée guérie le vendredi. Le samedi, on me purge, afin de ne manquer à rien, le dimanche, je vais à la messe, avec une pâleur honnête, qui faisait voir à mes amis que j’avais été digne de leurs soins, et aujourd’hui, je garde ma chambre et fais l’ entendue dans mon hôtel de Carnaval et, que vous ne reconnaîtriez pas depuis qu’il est rangé. J’y attends la belle Grignan dans cinq ou six jours. Elle prend la rivière ; ainsi vous ne la prendrez point. Je n’eusse pas été de cet avis si j’eusse été du conseil tenu à Lyon, car outre que les chemins de Bourgogne sont encore fort beaux, la circonstance de trouver Époisses sur mon chemin,avec le maître et la maîtresse, et tout le petit peuple, et la Très Bonne, m’aurait entièrement déterminée. Je vous manderai le second tome du voyage des Grignan, et cependant je vous supplie d’être mon correspondant avec Gauthier, et de vouloir bien faire comprendre à La Maison que vous prenez un grand intérêt à votre petite servante. Il fait encore des folies sur nos réparations, et à force de vouloir soutenir mon vieux château, il me fera tomber dans la misère de n’avoir pas de quoi souper cet hiver. Je laisse à M. d’ Hacqueville le soin des nouvelles de l’Europe, et je prends celui de vous aimer, de vous honorer, et d’être toute ma vie dans tous vos intérêts. Bonjour, la Beauté. Me regarderait-elle, si je lui baisais une  main ? Le bon Abbé vous est entièrement acquis et vous prie de compter sur lui. M. Rabutin Chantal

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