Lettres choisies

26. – À Madame de Grignan

À Paris, mercredi 29ème mai1675. Comment voulez-vous que je ne pleure pas, ma très chère bonne, en lisant votre lettre ? Il ne m’en faut pas tant pour fondre ! Au nom de Dieu, ma bonne, ne vous amusez point à retourner sur des riens. Si j’en suis quelquefois pénétrée,c’est moi qui ai tort ; je dois être assurée de votre cœur, et je la suis en effet. Cette délicatesse vient de l’extrême et unique attention que j’ai à vous, dont rien ne m’est indifférent. Mais songez aussi que, par cette même sensibilité, un mot, un retour,une amitié, me retourne le cœur et me comble de tendresse ;vous n’avez pas loin à chercher pour trouver cet excès. Je vous conjure donc, ma bonne, de n’être point persuadée que vous ayez manqué à rien. Une de vos réflexions pourrait effacer des crimes, à plus forte raison des choses si légères qu’il n’y a quasi que vous et moi qui soyons capables de les remarquer. Croyez, ma bonne, que je ne puis conserver d’autres sentiments pour vous que ceux d’une tendresse sans égale, d’une inclination parfaite, et d’un goût naturel qui ne finira qu’avec moi. J’ai tâché d’apprendre à Livry ce qu’il faut faire pour détourner ces idées. Toute ma difficulté,c’est qu’il ne s’en présente point à moi qui ne soient sur votre sujet, et que je ne sais où en prendre d’autres ; ainsi Corbinelli est bien empêché. Enfin, ma bonne, il faut espérer que le temps les rendra moins amères. Un peu de dévotion et d’amour de Dieu mettraient ce calme dans mon âme ; ce n’est qu’à cela seul que vous devez céder. Corbinelli m’a été uniquement bon à Livry ; son esprit me plaît, et son dévouement pour moi est si grand que je ne me contraignais sur rien. J’en revins hier, et descendis chez Monsieur le Cardinal, à qui je trouvai tant d’amitié pour vous qu’il me convient par cet endroit plus que les autres,sans compter tous les anciens attachements que j’ai pour lui. Il a mille affaires ; il passe la Pentecôte à Saint-Denis, mais il reviendra ici pour huit ou dix jours encore. On ne parle ici que de sa retraite ; chacun en parle selon son humeur, quoiqu’il n’y doive avoir qu’une opinion qui doit la faire admirer. Mmes de Lavardin, de La Troche et Villars m’accablent de leurs billets et de leurs soins ; je ne suis point encore en état de profiter de leurs bontés. Mme de La Fayette est à Saint-Maur.Mme de Langeron a la tête enflée ; on espère qu’elle mourra. La Reine et Mme de Montespan furent lundi aux Carmélites de la rue du Bouloi plus de deux heures en conférence.Elles en parurent également contentes ; elles étaient venues chacune de leur côté, et s’en retournèrent le soir à leurs châteaux. Je vous écrivis avant-hier. Je vous adressai la lettre à Lyon chez Monsieur le Chamarier. Je serais bien fâchée que cette lettre fût perdue ; il y en avait une, dans le paquet, de notre Cardinal. Voici encore un billet de lui. Votre lettre est très bonne pour pénétrer le cœur et l’âme. Être avec lui et faire quelque chose pour vous, voilà ce qui m’est uniquement bon. Son Éminence a été ce matin chez un de vos présidents, et moi chez l’autre et chez deux autres juges. Ce serait à moi à vous remercier de me donner les moyens de vous être bonne ; cela seul me peut contenter. M. de Coulanges saura votre souvenir. Il est vrai qu’il ne faut pas perdre un jour dans les adieux ; je serais très fâchée d’avoir perdu celui de Fontainebleau. Le moment de la séparation est terrible, mais il est encore pis ici. Je ne perdrai jamais aucun temps de vous voir. Je ne m’en reproche point, et pour me raccommoder avec Fontainebleau,j’irai au-devant de vous, ma bonne. Dieu nous enverra des facilités pour me conserver la vie. Ne soyez point en peine de ma santé ; je la ménage, puisque vous l’aimez. Je me porte très bien ; je sais l’intérêt que vous y prenez. Ne soyez jamais en peine de ceux qui ont le don des larmes. Je prie Dieu que je ne sente jamais de ces douleurs où les yeux ne soulagent point le cœur ; il est vrai qu’il y a des pensées et des paroles qui sont étranges, mais rien n’est dangereux quand on pleure. J’ai mandé de vos nouvelles à vos amis. Je vous remercie, ma chère Comtesse, de votre aimable distinction. M. le maréchal de Créquy a pris Dinant.On dit qu’il y a du désordre à Strasbourg. Les uns veulent laisser passer l’Empereur, les autres veulent tenir leur parole à M. de Turenne. Je n’ai point de nouvelles des guerriers.On m’a dit que le chevalier de Grignan avait la fièvre tierce. Vous en apprendrez des nouvelles par lui-même ; il a écrit. J’embrasse ce triste voyageur et le supplie de se remettre à son humeur naturelle. Un souvenir à Montgobert. Mandez-moi bien de vos nouvelles, et si vous mangez, et comme vous aurez trouvé vos enfants. Du Cardinal de Retz Je ne vous dis point, ma très chère nièce, que je suis touché comme je le dois des marques de bonté que j’ai vues pour moi dans la lettre de madame votre mère ; vous ne doutez assurément pas de ma considération ni de ma reconnaissance. Le Cardinal de Retz.

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