Lettres choisies

67. – À Madame de Grignan

Aux Rochers, mercredi 14ème février1685. Je n’ai point reçu de vos lettres cet ordinaire, ma chère bonne, et quoique je sache que vous êtes à Versailles, que je croie et que j’espère que vous vous portez bien,que je sois assurée que vous ne m’avez point oubliée, et que ce désordre vienne d’un laquais et d’une paresse, je n’ai pas laissé d’être toute triste et toute décontenancée, car le moyen, ma bonne,de se passer de cette chère consolation ? Je ne vous dis point assez à quel point vos lettres me plaisent, et à quel point elles sont aimables, naturelles et tendres ; je me retiens toujours sur cela par la crainte de vous ennuyer. Je relisais tantôt votre dernière lettre ; je songeais avec quelle amitié vous touchez cet endroit de la légère espérance de me revoir au printemps, et comme après avoir trouvé les mois si longs, cela se trouverait proche présentement, car voilà tous les préparatifs du printemps.Ma bonne, j’ai été sensiblement touchée de vos sentiments, et des miens qui ne sont pas moins tendres, et de l’impossibilité qui s’est si durement présentée à mes yeux ; ma chère Comtesse, il faut passer ces endroits, et mettre tout entre les mains de la Providence, et regarder ce qu’elle va faire dans vos affaires et dans votre famille. Mon fils et sa femme sont à Rennes de lundi ; ils y ont quelques affaires, et je trouve cette petite femme si malade, si accablée de vapeurs, des fièvres et des frissons de vapeur à tous moments, des maux de tête enragés, que je leur ai conseillé de s’approcher des capucins ; ils viendront peut-être de Vannes, où ils sont, ou bien ils écriront. Ce sont eux qui ont mis le feu à la maison par leurs remèdes violents. Mon fils achève avec l’essence de Jacob deux ou trois fois le jour. Il faut que tout cela fasse un grand effet. Il vaut mieux être dans une ville qu’en pleine campagne. Je suis donc ici très seule ; j’ai pourtant pris, pour voir une créature, cette petite jolie femme dont M. de Grignan fut amoureux tout un soir. Elle lit quand je travaille ; elle se promène avec moi, car vous saurez, ma bonne, et vous devez me croire, que Dieu, qui mêle toujours les maux et les biens, a consolé ma solitude d’une très véritable guérison. Si on pouvait mettre le mot d’aimable avec celui d’emplâtre, je dirais que celui que vous m’avez envoyé mérite cet assemblage. Il attire ce qui reste, et guérit en même temps. Ma plaie disparaît tous les jours : Montpezat, pezat, zat,at, t, voilà ma plaie. Il me semble que ce dernier, que vous m’avez envoyé, est meilleur. Enfin cela est fait. Si je n’en avais point fait du poison, par l’avis des sottes gens de ce pays, il y a longtemps que celui que j’ai depuis trois mois m’aurait guérie.Dieu ne l’a pas voulu. J’en ressemble mieux à M. de Pomponne, car c’est après trois mois. On veut que je marche, parce que je n’ai nulle sorte de fluxion, et que cela redonne des esprits et fait agir l’aimable onguent ;remerciez-en Mme de Pomponne. Jusqu’ici la foi avait couru au-devant de la vérité, et je prenais pour elle mon espérance, mais, ma bonne, tout finit, et Dieu a voulu que ç’ait été par vous. Mon fils s’en plaignait l’autre jour, car ç’a été lui qui, au contraire, m’a fait tous mes maux, mais Dieu sait avec quelle volonté ! Il partit lundi follement, en disant adieu à cette petite plaie, disant qu’il ne la reverrait plus, et qu’après avoir vécu si longtemps ensemble cette séparation ne laissait pas d’être sensible. Je n’oublierai pas aussi à vous remercier mille fois de toute l’émotion, de tout le soin, de tout le chagrin que votre amitié vous a fait sentir dans cette occasion. Quand on est accoutumée à votre manière d’aimer, les autres font rire. Je suis fort digne, ma bonne, de tous ces trésors par la manière aussi dont je les sais sentir, et par la parfaite tendresse que j’ai pour vous et pour tout ce qui vous touche à dix lieues à la ronde. Parlez-moi un peu de votre santé, mais bien véritablement, et de vos affaires.N’avons-nous plus d’amants ? Il nous revient beaucoup de temps et de papier, puisque nous ne parlerons plus de cette pauvre jambe. La Marbeuf est transportée d’une lettre que vous lui avez écrite ; elle m’adore si fort que j’en suis honteuse. Elle veut vous envoyer deux poulardes avec mes quatre. Je l’en gronde ; elle le veut. Vous en donnerez à M. du Plessis, et vous direz à Corbinelli d’en venir manger avec vous,comme vous avez déjà fait, car que ne faites-vous point d’obligeant et d’honnête ? Ma bonne, je finis. J’attends vendredi vos deux lettres à la fois, et je suis sûre de vous aimer de tout mon cœur. La princesse vient de partir d’ici. Dès que mon fils, qui est encore mal avec elle, a été à Rennes, elle est courue ici d’une bonne amitié. Le Bien Bon vous est tout acquis, et moi à votre époux et à ce qui est avec vous.

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