Lettres choisies

33. – À Madame de Grignan

À Paris, ce vendredi 17ème juillet1676. Enfin c’en est fait, la Brinvilliers est en l’air. Son pauvre petit corps a été jeté, après l’exécution, dans un fort grand feu, et les cendres au vent, de sorte que nous la respirerons, et par la communication des petits esprits, il nous prendra quelque humeur empoisonnante dont nous serons tous étonnés.Elle fut jugée dès hier. Ce matin, on lui a lu son arrêt, qui était de faire amende honorable à Notre-Dame et d’avoir la tête coupée,son corps brûlé, les cendres au vent. On l’a présentée à la question ; elle a dit qu’il n’en était pas besoin, et qu’elle dirait tout. En effet, jusqu’à cinq heures du soir elle a conté sa vie, encore plus épouvantable qu’on ne le pensait. Elle a empoisonné dix fois de suite son père (elle ne pouvait en venir à bout), ses frères et plusieurs autres. Et toujours l’amour et les confidences mêlés partout. Elle n’a rien dit contre Pennautier.Après cette confession, on n’a pas laissé de lui donner la question dès le matin, ordinaire et extraordinaire ; elle n’en a pas dit davantage. Elle a demandé à parler à Monsieur le Procureur général ; elle a été une heure avec lui. On ne sait point encore le sujet de cette conversation. À six heures on l’a menée,nue en chemise et la corde au cou, à Notre-Dame faire l’amende honorable. Et puis on l’a remise dans le même tombereau, où je l’ai vue, jetée à reculons sur de la paille, avec une cornette basse et sa chemise, un docteur auprès d’elle, le bourreau de l’autre côté.En vérité, cela m’a fait frémir. Ceux qui ont vu l’exécution disent qu’elle a monté sur l’échafaud avec bien du courage. Pour moi,j’étais sur le pont Notre-Dame avec la bonne d’ Escars ; jamais il ne s’est vu tant de monde, ni Paris si ému ni si attentif. Et demandez-moi ce qu’on a vu, car pour moi je n’ai vu qu’une cornette, mais enfin ce jour était consacré à cette tragédie. J’en saurai demain davantage, et cela vous reviendra. On dit que le siège de Maestricht est commencé, et celui de Philisbourg continué ; cela est triste pour les spectateurs. Notre petite amie m’a bien fait rire ce matin ; elle dit que Mme de Rochefort, dans le plus fort de sa douleur, a conservé une tendresse extrême pour Mme de Montespan, et m’a contrefait ses sanglots, au travers desquels elle lui disait qu’elle l’avait aimée toute sa vie d’une inclination toute particulière. Êtes-vous assez méchante pour trouver cela aussi plaisant que moi ? Voici encore une autre sottise (mais je neveux pas que M. de Grignan la lise). Le Petit Bon, qui n’a pas l’esprit d’inventer la moindre chose, a conté naïvement qu’étant couché l’autre jour familièrement avec la Souricière, elle lui avait dit, après deux ou trois heures de conversation : « Petit Bon, j’ai quelque chose sur le cœur contre vous. – Et quoi, madame ? Vous n’êtes point dévot à la Vierge ; ah ! vous n’êtes point dévot à la Vierge : cela me fait une peine étrange. » Je souhaite que vous soyez plus sage que moi, et que cette sottise ne vous frappe pas comme elle m’a frappée. On dit que Louvigny a trouvé sa chère épouse écrivant une lettre qui ne lui a pas plu ; le bruit a été grand. D’ Hacqueville est occupé à tout raccommoder. Vous croyez bien que ce n’est pas de lui que je sais cette petite affaire, mais elle n’en est pas moins vraie, ma chère bonne. J’ai bien envie de savoir comme vous aurez logé toute votre compagnie. Ces appartements dérangés et sentant la peinture me donnent du chagrin. Je vous conjure, ma très chère, de vous confirmer toujours dans le dessein de me donner, par votre voyage, la marque de votre amitié que j’en désire et que vous me devez un peu, et dans le temps que j’ai marqué. Ma santé est toujours de même. J’embrasse M. de Grignan.

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