Borgia !

Chapitre 19ROSA

Raphaël Sanzio, après l’enlèvement de sa jeune femme, avaitcouru au Ghetto pour prévenir la Maga de ce qui se passait et iln’avait plus retrouvé la mère adoptive de Rosita. Celle-ci avait eneffet disparu.

… Lorsque Raphaël fut parti, emmenant pour toujours laFornarina, la vieille Rosa, retirée dans la chambre de la jeunefille, avait eu une crise de désespoir.

– Seule, maintenant !… seule au monde !… Seuleavec ma vengeance…

Ces mots sans suite lui échappaient avec des sanglots. Mais lecœur de Maga s’était endurci dans les souffrances. Car bientôt,elle parut avoir retrouvé le calme.

Elle rentra dans le taudis où elle avait reçu la visite du pape.Puis, ouvrant le vieux bahut, elle en tira le coffret, entassa dansune ceinture l’or et les pierreries qui se trouvaient dans untiroir.

Quand ce fut fini, elle jeta autour d’elle un dernier regard dedésolation.

Puis elle sortit.

La Maga, ayant franchi les chaînes qui formaient les rues duGhetto, sembla peu à peu reprendre possession de son sang-froid.Dix minutes plus tard, elle se trouvait devant le Palais-Riant.

Elle en fit le tour et, arrivée au point où la constructiontouchait presque les eaux du Tibre, s’arrêta devant une petiteporte qu’elle ouvrit au moyen d’une clef.

La vieille Rosa ne s’en servait pas pour la première fois ;déjà, à différentes reprises, elle avait dû pénétrer dans la maisonde Lucrèce. En effet, ce fut sans hésitation qu’elle franchit unesorte de cour et s’engagea dans un couloir au bout duquel ellemonta un escalier étroit.

Parvenue au deuxième étage, la Maga s’orienta dans le dédale descouloirs avec une sûreté qui prouvait sa parfaite connaissance deleur topographie. Enfin, du bout de l’ongle, elle gratta à uneporte.

Ayant attendu quelques secondes, elle gratta encore, mais, cettefois, d’une manière spéciale, comme d’après un signal convenu. Uneminute plus tard, la porte s’entrouvrit et, dans l’obscurité, unevoix murmura :

– Est-ce vous, signora ?… Sainte Vierge ! Commevotre main est glacée… Asseyez-vous… là… un instant, j’allume unflambeau…

La Maga se laissa conduire par la main, et s’assit sans dire unmot. L’homme qui venait de parler s’empressa, alluma un flambeau àla lueur duquel apparut un petit vieillard à figureméphistophélique et à sourire sardonique, celui-là même entrevu àl’auberge du Beau-Janus, apportant à Ragastens un sac depistoles : l’intendant du Palais-Riant, il signor Giacomo.

– Ce tartan sur vos épaules, signora Rosa, reprit le vieilhomme, ce coussin sous vos pieds… Êtes-vous bien dans cefauteuil ?

L’intendant se tenait debout, dans une attitude de respect etpresque de vénération devant la vieille assise.

– Giacomo, dit la Maga, je veux la voir…

Le vieux tressauta, joignit les mains.

– Que dites-vous, signora ?

– Je dis que je veux voir Lucrèce…

– Signora ! que me demandez-vous là ?

– Une chose toute simple et toute naturelle…

– Mais comment voulez-vous que je la fasse réveiller… queje lui annonce une pareille visite… ?

– Qui te parle de tout cela… Je ne veux pas qu’on laréveille… je veux entrer dans sa chambre, voilà tout…

– Pendant qu’elle dort ?…

– Mais oui !

Le vieillard se tordit les bras.

– Elle se réveillera… elle vous tuera… c’est unetigresse…

– Giacomo, tu parles quand il s’agit d’obéir… Je ne puisplus compter sur toi ?… Ce serait dans l’ordre, ajoutaamèrement la sorcière, on jure obéissance et fidélité, on affirmesur l’évangile qu’on est prêt à mourir au premier appel, et puis onse dérobe…

Giacomo se jeta à genoux. L’expression sardonique de son sourireavait disparu. Une poignante tristesse s’était répandue sur sonvisage maigre, tourmenté, tout ridé.

– Maîtresse, fit-il sourdement, noble maîtresse, je suisprêt encore à mourir pour vous…

– Mais non à me faire entrer dans la chambre de Lucrèce,n’est-ce-pas ? Écoute, Giacomo, un jour que tu arrivasd’Espagne… tu suivais à la piste l’homme que tu avais juré de tuer…est-ce vrai ?…

– J’avais, à Jativa, fit l’intendant, une femme quim’aimait et que j’idolâtrais… Cet homme l’attira dans unguet-apens… Pendant huit jours, fou de désespoir, je la cherchaidans la ville et dans la montagne… Un soir, elle reparut à lamaison… mais si pâle que je n’eus pas la force de l’interroger…Alors… d’une voix ferme, elle me dit l’horrible vérité… l’hommel’avait violée… puis, rassasié, l’avait laissé partir… Quand elleeut fini de parler, ma femme se poignarda sous mes yeux sans que jefisse un geste pour l’en empêcher… Car si elle ne l’eût fait, jel’eusse fait, moi !… Je jurai sur son cadavre de la venger… etje suivis l’homme, le guettant, attendant l’heure… Il vint à Rome…il fut cardinal… puis pape… Il était si puissant qu’à peinepouvais-je concevoir l’espoir de l’atteindre… C’est alors que jevous rencontrai, signora… Malgré vos misérables vêtements, jereconnus en vous la grande dame que, parfois, j’avais aperçue àJativa, dans son carrosse…

– C’est vrai, Giacomo. Tu étais triste : je teconsolai. Tu étais pauvre : je te donnai de l’argent. Tu étaisfaible : je te promis de te secourir, et je crois avoir tenuparole…

– Ah ! signora, certes !… car vous avez sauvé letrésor qui me restait… En arrivant de Jativa, j’avais amené mafille… ma Nina, si belle que, parfois, en la regardant, j’oubliaisque sa mère était morte…

– Achève, Giacomo. Il ne me déplaît pas que tu me prouvesla force de ta mémoire…

– Soit !… Et croyez bien, signora, que ma mémoireseule n’est pas forte… Il y avait déjà des années que j’étais àRome… Sur vos conseils, et sans doute grâce à votre influenceocculte, j’étais entré ici en qualité de deuxième intendant… Survos ordres, je m’appliquai à conquérir la confiance absolue de lasignora Lucrèce, en sorte que je parvins au poste envié de premierintendant de son palais… Un soir – Nina avait alors quatorze ans –vous êtes venu me trouver… Sur vos conseils toujours, j’avais louéune petite maison où ma fille Nina vivait enfermée avec unedomestique, ne sortant qu’au soir… Donc, ce soir-là signora, vousavez sauvé ma dernière affection… Quelqu’un avait vu Nina… Cequelqu’un, c’était César, fils du pape !… Et de même que lepère avait violé ma femme, de même le fils voulait violer maNina !… Mais vous étiez là !… nous nous rendîmes ensembleaux abords de la maison que j’avais louée pour Nina… Cachésderrière une masure, nous guettions les alentours… Je ne comprenaispas… Tout à coup, une douzaine d’hommes arrivèrent, pénétrèrentdans la maison… Ivre de rage et de désespoir, je voulus m’élancer…“– Ma Nina ! ma pauvre Nina ! m’écriai-je.

– Elle est en sûreté… tais-toi !”

» C’était la vérité… Vous aviez su ce qui allait se passer…Et, sans me prévenir, vous aviez fait partir mon enfant… Les hommesrepassèrent devant nous en sacrant. À leur tête, je reconnus César…Dès lors, signora, je vous jurai autant de reconnaissance quej’avais juré de haine aux Borgia…

– Reconnaissance que tu témoignes en refusant…

– Rien, signora ! Je ne vous refuse rien !…Demandez ma vie… elle est à vous… Si je suis épouvanté de ce quevous voulez faire, c’est pour vous, pour vous seule…

– Pour moi ?… Voyons, Giacomo : veux-tu tevenger ?

– Si je le veux !…

Giacomo s’était levé. Sa figure resplendissait de haine.

– Si je le veux ! répéta-t-il. Je ne vis que pourcela… Voyez s’il faut que ma haine soit forte, puisque j’ai pu, desannées, lui faire subir le supplice de la patience !

La Maga le regardait avec une sombre satisfaction.

– Eh bien, Giacomo, reprit-elle alors, ne comprends-tu pasque, moi aussi, j’ai une vengeance à assouvir ? Necomprends-tu pas que ma haine poursuit le même but que toi ?…Comprends donc au moins que l’heure est peut-être venue !…

La sorcière avait prononcé ces mots avec une étrange etsolennelle énergie. Ses traits se tendaient sous l’effort dusentiment redoutable qui les animait, ils reprenaient pour uninstant une sorte de jeunesse.

– Oh ! s’écria Giacomo, il me semble que je vousrevois telle que jadis !…

– C’est la haine qui me rajeunit !

– Oui… Vous êtes presque comme je vous entrevis en Espagne,à Jativa !…

– Heureuse !… Ah ! oui, certes, je le fus !Riche, honorée, orgueil et joie de la grande famille des Vanozzo,recherchée par les plus nobles et les plus puissants seigneurs,belle de mes dix-huit printemps… je ne songeais qu’au bonheur devivre… Mon père et ma mère m’idolâtraient… Mes caprices faisaientla loi dans le somptueux château de Vanozzo. Des hommes jeunes,beaux, se disputaient la faveur de mes sourires… Mais je n’enaimais aucun… Un jour, il vint, lui !… Il passa dans lechâteau comme un météore malfaisant… La famille des Vanozzo,honorée d’abriter sous son toit Rodrigue Borgia, le descendant desrois d’Aragon, le neveu du pape Calixte III, lui offrit unehospitalité comme les Grands d’Espagne savent en offrir auxprinces…

» Dès que je le vis, je compris le sens de l’amour… Ilétait beau, d’une sombre, d’une fatale beauté… ses yeux ardents mebouleversaient… sa parole fougueuse me berçait. Je n’entrevoyaisplus de bonheur que dans la joie de lui appartenir, d’être à luitout entière corps et âme, à jamais. Lorsqu’il partit, il n’eutqu’à me faire un signe… Je le suivis, abandonnant père, mère,maison, famille… je le suivis, heureuse de devenir son esclave… jele suivis sans même savoir pourquoi… uniquement parce qu’il m’avaitdit : Viens !…

La Maga était dans une de ces minutes de crise où les penséesenfouies dans les replis du cerveau s’échappent d’elles-mêmes, oùles secrets qui dormaient au fond du cœur montent jusqu’auxlèvres.

– De ce jour, poursuivit-elle, commença mon martyre…Lorsque je rappelai à Rodrigue qu’il m’avait juré de faireconsacrer notre union, il éclata de rire… Et bientôt, j’acquisl’atroce conviction que l’amour de ses yeux était un mensonge…mensonge l’amour de ses paroles… mensonges tout ce qu’il faisait etdisait… Des années coulèrent, lentes, mornes… Mon père et ma mèreétaient morts de désespoir… J’eus des enfants, j’essayai deraccrocher ma vie à l’amour maternel… Un jour, Rodrigue me dit queje le gênais… Je me jetai à ses genoux, je priai, je pleurai… Lelendemain, Rodrigue avait disparu, me laissant un billet quicontenait cette seule ligne : « Puisque tu ne veux past’en aller, c’est moi qui m’en vais. » Affolée, je meprécipitai dans la chambre des enfants : ils avaientdisparu…

» Comment ne suis-je pas devenue folle ?… Comment nesuis-je pas morte ?… Lorsque je revins à la santé, après sixmois de fièvre, je m’aperçus, avec une épouvante sans nom, quej’aimais encore Rodrigue…

Celle qui avait été Rosa Vanozzo et qui n’était plus que lasorcière du Ghetto ajouta :

– Hélas ! Malheureuse et lâche !… Je l’ai aimé delongues années… Je l’ai aimé de loin… Je le suivis à Rome… Jepassai ma vie à l’épier, à compter ses amours… et peu à peu, jesentais se fortifier dans mon cœur le besoin de la vengeance…Longtemps, l’amour et la haine se sont disputé mon âme… la haine atriomphé…

– Ah ! Comme vous avez dû souffrir !… Mais vosenfants ?

– Mes enfants !… Lorsqu’ils furent devenus grands, jevoulus les voir, leur dire la vérité… César voulut me tuer…François voulut me faire enfermer comme folle… Lucrèce me fit jeterdans la rue…

– Signora… ces souvenirs atroces vous font mal…

– Ils me font du bien, Giacomo… Quand j’ai fouillé ainsiles plaies de mon cœur, quand j’ai versé sur elles le poison quicorrode, il me semble que le mal diminue… et le mal, c’est l’amour…Écoute, je n’ai pas fini… Parmi toutes celles que Rodrigue aaimées, il en est une que j’ai détestée plus que les autres… Il mesembla que, celle-là, Rodrigue l’aimait vraiment… Grâce auxintelligences que j’avais su me créer dans le Vatican, je visenfin, qu’« elle » était enceinte… L’enfant naquit…C’était une petite fille… Il m’est impossible de dire à quel pointje la haïssais et quelle fut ma joie lorsque je constatai que lamère, lâche comme le père était féroce, abandonnait sonenfant !…

– Vous m’épouvantez, signora !…

– La mère, c’était la comtesse Alma… L’enfant fut exposéesur les marches de l’église des Anges… Je m’en saisis ! Jel’emportai… Toutes mes haines vinrent se concentrer sur la tête decette innocente… Je la donnai à une horrible mégère qui la tortura…jusqu’au jour où une révolte gronda soudain dans mes entrailles etoù je m’aperçus que mon cœur saignait des abominables souffrancesde l’enfant… Elle avait dix ans… Toute pantelante de son martyre,je l’emportai chez moi… Et ce fut comme un rayon de soleil quientre dans l’enfer. Je l’appelai Rosita… Elle grandit, sa beautédevint ineffable… et moi, la maudite, moi, la sorcière, j’éprouvaialors des joies si douces, qu’il me semblait parfois que mon cœurallait éclater… j’en arrivais à oublier ma vengeance… Mais Rodriguedevait lui-même se rappeler à mon souvenir… Un homme… un vieillard…s’est pris de passion pour ma Rosita… Et ce vieillard qui aimeRosita, qui veut la violer, sais-tu qui c’est, Giacomo ? C’estle pape, c’est Rodrigue Borgia, le père de mes enfants, l’amant dela comtesse Alma, le père de Rosita…

– L’assassin de ma femme… acheva Giacomo.

La Maga sourit étrangement.

– De même que j’ai sauvé ta fille Nina, dit-elle, je viensde sauver Rosita. Cette nuit même, elle quitte Rome… à cette heure,elle doit être en sûreté… Eh bien, Giacomo, comprends-tu quel’heure est venue de me venger et de te venger aussi ?Comprends-tu que j’aie hésité tant que j’avais près de moi Rositaet que, maintenant, il ne me reste plus rien à faire dans la vie…Sinon de faire souffrir ceux qui m’ont fait souffrir !

– Oui, signora ! Et je vous aiderai de toutes mesforces…

– Bien ! Pour commencer, il faut que Rodrigue sache oùme trouver…

– Vous croyez donc qu’il voudra vous voir ?

– J’en suis sûre !… Il me fera chercher au Ghetto. Nem’y trouvant pas, il voudra savoir ce qu’est devenue la Maga… Techarges-tu de l’en informer ?…

– Ce sera très simple, signora…

– Tu connais le temple de la Sibylle ?…

– À Tivoli… près de la villa du pape ! J’y ai été avecla signora Lucrèce…

– C’est cela… J’ai de fortes raisons de croire que le papevoudra aller y passer quelques jours… C’est l’antre de sesdébauches. Eh bien, c’est là que je vais… À vingt pas du temple dela Sibylle se trouve, au-dessus du précipice, une cavernenaturelle… Je l’ai déjà habitée… C’est dans cette caverne queRodrigue me retrouvera dès qu’il aura besoin de moi… Et bientôt, ilaura ce besoin de me voir… Il faut qu’il le sache.

– Il le saura, signora. Je m’en charge.

– Bien, Giacomo. Tu es un loyal serviteur… Et maintenant,moi la mère de Lucrèce, conduis-moi près d’elle…

– Signora ! Prenez garde !… fit Giacomo entremblant. Si elle se réveille, elle vous tuera !

– Non, Giacomo… elle ne me tuera pas… Avant de dire adieupour toujours à mon passé, et peut-être à la vie, je veux voir mafille… Je le veux, Giacomo…

– Venez, signora ! consentit enfin le vieillard.

Il éteignit le flambeau et prit la main de la Maga. La vieillefrissonna d’une joie terrible. Tous deux sortirent.

Ils longèrent des couloirs obscurs, descendirent des escaliers,franchirent des salles silencieuses et entrèrent enfin dans unétroit cabinet.

– C’est là ! murmura le vieillard à l’oreille de laMaga. Personne n’entre jamais dans ce cabinet. La porte que nousvenons de franchir ne s’ouvre jamais… Lucrèce en a seule la clef…mais j’en ai fait une, sur vos ordres… Là est la chambre à coucher…le lit est en face… Les suivantes de nuit dorment dans la piècevoisine…

– Attends-moi ici ! répondit la Maga, qui déjà ouvraitavec d’infinies précautions une petite porte faisant communiquer lecabinet avec la chambre à coucher.

La mère de Lucrèce, ayant franchi cette porte, la laissaentrouverte et s’arrêta un instant.

Elle fouilla dans son sein et en tira un minuscule flaconqu’elle déboucha lentement, sans trembler…

Elle s’avança vers le lit, glissant plutôt que marchant, sans unbruissement…

– Une goutte… une seule goutte sur ses lèvres… et c’estfini de Lucrèce… l’agonie sera affreuse… demain, les Borgiaporteront le deuil… demain, l’âme du vieux Borgia subira le premiercoup de ma vengeance…

À la lueur de la veilleuse, Lucrèce lui apparut. Elle dormait.Un sourire errait sur ses lèvres…

Un de ses bras pendait hors du lit, tandis que l’autre soutenaitsa tête qu’encadrait le flot de ses cheveux dénoués… Elle étaitainsi souverainement belle.

– Ma fille ! pensa la Maga.

Immobile, elle contempla silencieusement Lucrèce. La jeune femmefit un mouvement, soupira, prononça quelques mots inintelligibleset son sourire se fit plus doux… Lorsque Lucrèce eut reprisl’immobilité du profond sommeil, la vieille, dans un glissement, serapprocha de la tête du lit…

– Elle rêve… pensa-t-elle. Elle rêve, heureuse… car sonsourire est calme… Jadis… là-bas… je venais la nuit dans sachambre… et comme maintenant, je me penchais sur son berceau…Alors, il arrivait parfois qu’elle s’éveillât… Elle me tendait sespetits bras en riant et elle me disait : “Bonsoir petitemère”. Et maintenant, je vais la tuer !…

La sorcière se pencha presque à toucher le visage de Lucrèce.Une étrange hallucination s’empara d’elle. Un miracle s’accomplitdans cette âme ulcérée…

Elle revit Lucrèce… sa fille… toute petite… telle qu’ellel’avait bercée dans ses bras maternels… Rayonnante puissance de lanature mystérieuse et tendre !

Et la pauvre vieille, maintenant, pleurait à chaudes larmes.Machinalement, elle avait rebouché son flacon et l’avait remis danssa ceinture… Et ce ne fut pas une goutte de poison qui tomba surles lèvres de Lucrèce endormie… Ce fut une larme…

Au contact de la goutte chaude et salée, Lucrèce avait eu unesecousse… Une seconde encore, elle lutta contre le sommeil. Puis,brusquement réveillée, elle porta la main à sa lèvre.

– Qui est là ? cria-t-elle épouvantée en sautant dulit.

L’instant d’après les servantes réveillées accoururent avec desflambeaux… Et Lucrèce jeta des ordres furieux.

– Cherchez !… Qu’on fouille partout ! Il y avaitquelqu’un, j’en suis sûre… J’ai senti… là… sur ma bouche… Oh !c’est peut-être un baiser de spectre !…

On chercha partout. On ne trouva rien.

Cependant, Giacomo avait reconduit la Maga jusqu’à la petiteporte par où la sorcière avait pénétré dans le Palais-Riant.

– Êtes-vous satisfaite, signora ? demanda-t-il aumoment où elle allait s’éloigner…

– Non ! répondit la vieille sur un ton étrange… maisj’ai vu ma fille…

Et elle s’enfonça dans la nuit, se dirigeant vers l’une desportes de Rome. Là, elle attendit l’aube.

La porte ouverte, elle sortit de la ville et s’éloigna dans lacampagne, marchant d’un pas résolu.

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