Borgia !

Chapitre 72LE BON GÉNIE D’ALEXANDRE VI

C’était, en effet, le pape, qui, sa promenade terminée, rentraitdans sa chambre. Le vieillard était de fort belle humeur. Sesterreurs s’étaient entièrement dissipées. Toute sa pensée setendait vers l’heure prochaine de son retour à Rome. Débarrassé deRagastens, il reprendrait la marche normale de ses conquêtes.

C’est à ces choses qu’il songeait tout en se préparant à semettre au lit. Le valet de chambre ayant achevé sa besogne, levieillard causa quelques minutes encore avec Angelo, puis lerenvoya. Demeuré seul, il ferma sa porte à double tour et inspectasoigneusement la serrure, comme il faisait tous les soirs.Lorsqu’il se retourna, il vit Rosa Vanozzo debout au milieu de sachambre.

Le saisissement fut tel qu’il n’eut pas la force de jeter uncri. Il parvint à balbutier :

– Que viens-tu faire ici ?

– Vous sauver, maître ! répondit Rosa.

– Me sauver ! s’écria le pape. Mais d’abord, commentes-tu ici ?…

– Je suis entrée tout à l’heure dans le château sousprétexte d’offrir un choix de bijoux à la signora Lucrèce. J’ai suque vous étiez au jardin. J’en ai profité pour me glisser dans cecabinet et y attendre votre retour.

Le pape frémit. Un assassin eût pu faire ce que venaitd’exécuter la Maga.

– Mais pourquoi n’as-tu pas demandé à me voir aujardin ?

– Parce que, peut-être, c’eût été donner l’éveil àl’assassin.

– À l’assassin… il est donc dans ce château ? fit lepape dans un cri de terreur.

La Maga haussa les épaules.

– Serais-je ici, dit-elle, si le danger n’avait pas étéproche ?

– Je vais appeler ! dit-il. Je vais faire fouillerpartout.

Il se dirigea vers la porte. La Maga l’arrêta d’un geste.

– N’appelez pas, c’est la mort qui viendrait !…

Il se rapprocha d’elle, vivement.

– Que veux-tu dire ?…

– J’ai voulu vous sauver encore cette fois, dit-elle, parceque je veux absolument sauver la fille du comte Alma… Vous m’avezjuré de la faire rendre à la liberté… Vous seul, ici, avezl’autorité nécessaire pour cela…

La Maga, soudainement, prit le vieux Borgia par la main et leconduisit devant le petit meuble qui renfermait les deuxcoupes.

– Ouvert ! s’exclama le pape. Qui a ouvert ?

– L’abbé Angelo.

– Lui !… J’aurais dû m’en douter… Ah ! leserpent !… Il a empoisonné mon vin, n’est-ce pas ?…

La Maga secoua la tête.

– Regardez les coupes, maître.

– On a touché à la coupe d’or ! s’écria levieux Borgia en tremblant. Je remarque toujours la place exacte oùje mets ces deux coupes… la coupe d’argent n’a pas été touchée… lacoupe d’or a été dérangée…

– Il a empoisonné la coupe d’or dans l’espoir que vous vousen serviriez ce soir ou demain…

Le pape grelottait. Ses dents s’entrechoquaient.

Fébrilement, le vieillard saisit un flacon et le posa sur unetable. À côté du flacon, il posa les deux coupes. Puis il se tournavers la Maga. Il riait d’un rire féroce.

– Tu vas voir ! Cache-toi là, dans le cabinet, etregarde bien. Rosa Vanozzo se dirigea vers le cabinet. Pendant cetemps, le pape frappait à coups redoublés sur son timbre. Puis ilouvrit la porte.

– Qu’on m’envoie mon lecteur ! ordonna-t-il au valetaccouru.

Quelques instants plus tard, Angelo apparut.

– Angelo, mon enfant, je t’ai appelé pour que tu boives unpeu de ce vin avec moi.

– Saint-Père !… bégaya l’abbé frappé de vertige.

– Eh bien, qu’as-tu donc ? ricana le pape. Tiens, jeveux te faire honneur. À toi la coupe d’or !… À moi la modestecoupe d’argent…

– Grâce ! râla le prêtre en tombant sur sesgenoux.

Le vieux Borgia leva très haut sa coupe, puis, lentement, commes’il eût savouré le bon vin qu’elle contenait, il vida la couped’argent.

– Bois, maintenant !

Angelo prit la coupe d’or et, fermant les yeux, la vida… Le papeeut un éclat de rire infernal. Il saisit la main de l’abbé.

– Eh bien, Angelo ! gronda-t-il. As-tu bien réussi toncrime ! Es-tu satisfait d’avoir voulu empoisonner tonbienfaiteur ?… Meurs misérable !…

– Ce jeune homme ne mourra pas !

La voix qui, soudain, prononça ces paroles fit se retourner lepape. Il vit Roza Vanozzo.

– Que dis-tu, sorcière d’enfer ?…

– Je dis, répondit Rosa, je dis que ce prêtre ne mourrapas ! Je dis que c’est toi, Rodrigue, qui vas mourir !…Je dis que la coupe d’or est inoffensive et que toi, Borgia, tu asbu dans la coupe d’argent, dans la coupe empoisonnée !…

Un double hurlement retentit. Le hurlement de joie délirante del’abbé qui se rua sur la porte, l’ouvrit et s’enfuit entitubant ; le hurlement de désespoir, s’exhalant de la gorgedu pape Alexandre VI.

À ce moment, des craquements, des pétillements se firententendre… Des clameurs lointaines éclatèrent… Une âcre fumée, desflammes : le château de Lucrèce flambait.

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