Borgia !

Chapitre 46LE CAMP DE CÉSAR

Aussitôt après l’entrevue de Tivoli, César Borgia tout bardéd’acier, entouré de sa garde suisse – un régiment de solides etpesants fantassins que César avait choisis un à un – escorté d’unevingtaine de seigneurs qui composaient son état-major, avait alorsdonné le signal du départ.

À travers les défilés des montagnes, les troupes formaient unimmense serpent qui ondulait, hérissé de fer. C’étaient, en tête,les deux régiments de Piémontais, barbus, trapus, les yeux féroces,chantant des chansons de mort, en entrechoquant leurs courteslances et leurs glaives à deux tranchants.

Puis venaient les canons et les bombardes que traînaient desmules incessamment fouettées par d’agiles Calabrais. Le long despièces d’artillerie marchaient en bon ordre les servants – desAllemands aux statures gigantesques, aux larges barbes enéventail.

Immédiatement après, venaient les hallebardiers, sortes deTitans que César avait recrutés dans les Flandres. Ces hommesallaient gravement, insoucieux des proches batailles, sachant àpeine pour qui ils se battaient. Ils étaient suivis par le régimentdes arquebusiers romains, soldats massifs.

Alors s’avançait le régiment des Suisses, lourds et indifférentschantant un ranz d’une voix monotone. Au milieu d’eux, César àcheval. Puis d’autres régiments encore ; enfin, la cavalerietoute luisante d’acier.

Des caissons, des chariots chargés de tentes et de provisionsfermaient la marche, escortés par des escadrons de cavalerie légère– des Romains encore, montés sur de petits chevaux, n’ayant pourtoute arme qu’un estramaçon, et pour défense un léger bouclier.

César était sombre. Une flamme brillait dans son regard. Sesnarines, largement, aspiraient les âcres senteurs que dégageaitcette foule en marche. Il se retrouvait dans son élément.

Mais, malgré la physique allégresse de marcher à la bataille,malgré l’orgueil qui lui venait par bouffées lorsque, du haut dequelque sommet, il embrassait d’un coup d’œil le rude spectacle deson armée, malgré la certitude inébranlable dans son esprit d’unevictoire qui allait le faire roi, César était sombre.

Deux noms revenaient sans cesse à son esprit : Ragastens etPrimevère.

Derrière lui, ses courtisans ordinaires causaient joyeusement dela campagne qui s’ouvrait. César entendait leurs propos, et,parfois, les approuvait d’un mot bref. Toujours l’entretienrevenait sur le pillage qui, déjà, se réglait méthodiquement.

Parfois aussi, César rejoignait Lucrèce. Celle-ci commodémentinstallée dans une vaste berline, entourée d’une gardeparticulière, passait le temps à lire ou à rêver.

Près de la portière de la berline, cheminait le moine Garconio,encore pâle de sa blessure, et Lucrèce s’entretenait souvent aveclui, de façon que personne ne les entendît. L’entretien de Lucrèceet du moine s’arrêtait net toutes les fois que César s’approchaitde sa sœur.

L’armée s’avança ainsi par étapes régulières. Un soir, aprèsplusieurs jours de marche lente, elle s’arrêta dans une vasteplaine et dressa ses tentes en bon ordre, puis creusa aussitôt desfossés autour du camp. Au bout de la plaine s’ouvraient, parmi lesrochers, les défilés qui conduisaient à Monteforte.

Le lendemain soir, César voulut aller voir sa sœur et se renditdans la tente magnifique qu’elle s’était fait installer. MaisLucrèce n’était pas dans sa tente. Elle ne reparut pas de la nuit.Le lendemain, César dut se rendre à l’évidence : Lucrèce avaitdisparu.

– Elle aura pris peur et aura voulu s’en retourner àTivoli, pensa-t-il.

Et il fit demander dom Garconio pour l’interroger. Mais onchercha inutilement le moine, également disparu.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer