Borgia !

Chapitre 37SOLITUDE DE RAGASTENS

Après le départ de Ragastens, il y avait eu dans la caverne dela Maga une longue attente pleine d’anxiété.

Ragastens ne revenait pas !

Le soir vint et tous trois attendaient, rassemblés dans unsilence profond. La nuit se fit. L’inquiétude de Machiavelgrandissait de minute en minute. Ragastens était-il pris ?Quel événement l’empêchait de revenir ?

Quant à Raphaël, il ne vivait plus.

– Allons ! dit-il d’un ton bref.

– Attendons encore !…

– Je ne peux plus.

Machiavel comprit que Sanzio était à bout de forces.

– Allons ! dit-il… Mais procédons avec prudence etméthode, passons par le Panier fleuri. Peut-êtreaurons-nous des nouvelles.

– Tout ce que tu voudras, mais allons !… N’est-ce pasMaga ?

– Oui, dit tristement la Maga.

Tous trois se mirent en route. Une demi-heure plus tard, ilsarrivaient à l’auberge du Panier fleuri.

– Spadacape ! fit Machiavel en montrant unhomme qui, dans la cour de l’auberge, semblait attendre.

Il le rejoignit vivement. Et bientôt Spadacape l’eut mis aucourant de tout ce que lui avait dit Ragastens.

– Mais où est maintenant le chevalier ?

– Il rôde certainement dans Tivoli, et je me ferais fort dele trouver rapidement. Quoi qu’il arrive, j’ai tout préparé selonses instructions.

– Spadacape, dit Machiavel soucieux, il faut absolument letrouver, lui dire que nous sommes ici, que nous mouronsd’inquiétude…

Spadacape se mit aussitôt en campagne. On a vu quel avait été lerésultat de ses recherches. Il faisait nuit noire quand Spadacaperéapparut.

– Le chevalier ? interrogea fiévreusementMachiavel.

– Il vous attend sur la place de l’Église… Vite, messieurs,aidez-moi !…

Spadacape s’était précipité vers la voiture et commença à engarnir les roues avec du foin. Sanzio et Machiavel comprirent… Ilsse mirent à la besogne avec une hâte fébrile.

– Ragastens a besoin de la voiture, murmura Machiavel.C’est que tout est prêt…

Un indicible espoir leur était revenu… En quelques minutes, lesroues de la voiture, les sabots des chevaux se trouvèrentenveloppés… On fit monter la Maga dans la voiture.

– En route ! commanda Raphaël.

La voiture sortit de l’auberge, conduite en main par Spadacape.Machiavel et Sanzio s’étaient précipités en avant. Ils atteignirentla petite place de l’Église.

– Personne ! fit Machiavel.

– Entrons ! répondit Sanzio.

Ils dégainèrent, et ce fut le poignard à la main qu’ilspoussèrent la porte de l’église où ils entrèrent de front. L’égliseparaissait déserte…

En quelques pas, ils gagnèrent la nef qu’éclairaient lescierges. Machiavel saisit la main de Sanzio et lui montra, dans lecercle de la lumière jaunâtre des cierges, le groupe fantastique,la vision de ce rêve que formait Ragastens se colletant avec lecercueil… Raphaël bondit en avant et, au moment où Ragastens, saterrible besogne achevée, se penchait pour saisir Rosita, lui mitla main sur l’épaule…

Ragastens releva la tête avec un rugissement de lion à qui onveut arracher sa proie et, laissant tomber la jeune fille, saisitson poignard… Mais il reconnut Raphaël et un sourire d’orgueil etde joie illumina sa mâle figure.

– Pardieu, cher ami ! fit-il, vous arrivez àtemps !… Prenez-la !… Au fait, c’est vous qui êtesl’époux !…

Raphaël avait eu d’abord un regard d’extase pour Rosita. Auxderniers mots de Ragastens, il se recula d’un pas et se découvrit,puis, trop ému pour pouvoir parler, il lui désigna la jeunefille.

Ragastens comprit la pensée généreuse de l’artiste. Sanzio luilaissait l’honneur d’emporter sa femme et d’achever ce qu’il avaitcommencé seul !…

Alors, Ragastens se baissa, saisit la jeune fille, la soulevadans ses deux bras et l’emporta jusqu’à la voiture où il la déposasur les genoux de la Maga…

Raphaël voulait parler, dire sa joie, sa reconnaissance… Il yeut entre les deux hommes une de ces étreintes qui cimentent àjamais les fortes amitiés. Puis, Ragastens donna sesordres :

– Spadacape, mon cheval et le tien !

Spadacape s’élança.

– Machiavel, sur le siège, continua le chevalier. Voussavez conduire, je suppose ?

– Oui, général ! fit Machiavel en souriant.

Quant à Raphaël, il était déjà dans la voiture, penché sur levisage de Rosita, attendant l’effet de la potion que la Maga venaitde faire absorber à la jeune fille…

Spadacape reparut, Ragastens se mit légèrement en selle. Lavoiture s’ébranla, traversa Tivoli au pas, puis se lança augalop.

Il y eut une heure de course folle dans la nuit, en pleinemontagne. On évita de rejoindre directement la route de Florence.Ragastens et Spadacape galopaient aux deux côtés de la voiture.

Au bout d’une heure, Raphaël cria d’arrêter. Machiavel obéit etsauta à bas de son siège. Alors, Sanzio descendit de la voiture.Ragastens mit pied à terre.

Raphaël tendit ses deux bras vers la voiture… Rosita apparut,toute blanche encore, adorable de son effarement et de sa grâce,les yeux troublés comme si elle eût encore douté si ce qu’ellevoyait était un songe…

– Rosita, lui dit Raphaël avec une intense émotion, voiciM. le chevalier de Ragastens et voici Machiavel, ces deuxchers amis dont je te parlais tout à l’heure… dont je t’ai dit ledévouement…

– Soyez bénis, vous qui me rendez à mon Raphaël, dit-elleavec un sourire d’une infinie douceur, en tendant ses deux mains.Par vous, je suis heureuse… jamais je n’oublierai mes deuxfrères…

– En ce cas, dit Ragastens gravement, je demande l’accoladeà laquelle ce titre précieux me donne droit !…

Rosita tendit ses joues. Le chevalier l’embrassa, faisant devains efforts pour cacher son émotion.

– Soyez heureuse, petite sœur ! dit-il doucement.

Puis ce fut le tour de Machiavel. Et il y eut parmi cespersonnages rassemblés sous le beau ciel étoilé, dans la nuitqu’embaumaient les lavandes de la montagne, une minute de bonheurcomplet comme il y en a si peu, hélas, dans la vie deshommes !

Lorsque Rosita et Raphaël remontèrent dans la voiture, ilspoussèrent un cri : la Maga avait disparu !

– Hélas ! murmura Sanzio, sa résolution a étéinébranlable. Les larmes de Rosita elles-mêmes n’ont pu la retenir…Déjà, à Rome, nous avions vainement essayé de l’entraîner avecnous… Pauvre mère Rosa !…

Rosita pleurait silencieusement.

– Allons ! fit Machiavel, il faut partir !…

– Partons ! répondit Sanzio avec un soupir.

La voiture s’ébranla de nouveau. Alors, la Maga sortit du fourréoù elle s’était glissée. Ses yeux demeurèrent fixés sur la voiturequi s’éloignait. Et de ces yeux coulaient deux grosses larmes…

Enfin, elle se retourna et se mit à marcher d’un bon pas dans ladirection de Tivoli… Et, cette fois, ce n’était plus une émotionattendrie qui brillait dans son regard flamboyant d’une farouche etindomptable volonté…

 

Au point du jour, la voiture ayant fait un immense détour,rejoignit la route de Florence. Ragastens fit alors signe àMachiavel d’arrêter.

– Mes amis, dit-il, nous allons nous séparer. La route estlibre… Vous, piquez droit sur Florence ; moi, j’ai encorequelque chose à faire dans ce pays…

– Nous séparer ? s’écrièrent Machiavel et Sanzio.

Et ils entreprirent de dissuader le chevalier. Mais leursprières, leurs raisonnements, les instances de Rosita, tout vint sebriser contre la résolution de Ragastens.

Force fut à Sanzio et à Machiavel de se résigner. Ce fut avecune violente émotion qu’ils se firent leurs adieux. Il y eut forcepromesses cent fois répétées. Et les fugitifs ne se décidèrent toutà fait que lorsque Ragastens eut juré de pousser jusqu’à Florenceavant peu.

La voiture, conduite par Machiavel, se remit en route. Rosita etRaphaël, penchés à la portière, échangèrent encore des signauxd’affection avec le chevalier, demeuré au milieu du chemin… Puis,soudain, il y eut un coude de la route. Ragastens, subitement, sevit seul.

Alors, il se tourna vers Spadacape.

– Spadacape, lui dit-il, je ne veux pas te prendre entraître. Je te préviens que la campagne que je vais commencer serafertile en mauvais coups à recevoir…

– Avec vous, monsieur le chevalier, je ne crains rien…Mais, monsieur, vous allez donc vous battre ?…

– Oui, Spadacape. Ça te va ?

– Ça me va, monsieur. Seulement, voulez-vous me permettreune question ?…

– Je te permets la question…

– Jusqu’ici, vous n’avez fait que vous batailler contre unefoule de gens, contre des sbires, contre des seigneurs puissantscomme César, contre des papes même !… Contre qui, cette fois,allez-vous donc vous battre ?

– Contre une armée ! répondit simplementRagastens.

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