Borgia !

Chapitre 73STATUE VIVANTE SUR STATUE DE BRONZE

Un peu après neuf heures du soir, Spadacape avait arrachéRagastens à sa douloureuse rêverie. Le chevalier prit, sans sehâter, le chemin du château. La tentative était insensée : ille savait.

Il mit une heure à franchir la distance assez courte quiséparait le château du hameau des pêcheurs. Arrivé sur le rocher oùGiacomo lui avait dit de se trouver au pied de la haute muraille,il secoua la tête.

– Rien ! dit-il. Ce vieillard n’aura pu rien faire…Allons… c’est du côté de la porte que doit se livrer notre derniercombat… Spadacape… mon ami… il est encore temps de te retirer…

– Vous me faites injure, monsieur, dit Spadacape. J’espèrebien mourir en même temps que vous ! Mais attendons uninstant… qui sait ?…

– Soit, attendons encore un instant…

À ce moment, un bruit mat retentit sourdement derrière eux,Spadacape se retourna…

Il jeta une exclamation de joie ; saisissant le chevalierpar le bras, il lui fit faire volte-face et lui montra quelquechose qui pendait du haut du mur…

– Une corde ! rugit le chevalier…

Déjà Spadacape avait bondi vers la corde dont l’extrémitéattachée à une grosse pierre venait de heurter le roc. Ragastenss’approcha et, sans plus prononcer un mot, se mit à monter à laforce des poignets… Deux minutes plus tard, il était sur le sommetde la muraille.

Il vit que la muraille surplombait un massif d’arbustes :les jardins du château finissaient là… Au fond, se dressait lasombre masse du château lui-même, avec quelques fenêtres éclairées.À ses pieds, Ragastens entrevit une ombre…

– Vite ! Hâtez-vous !

Ces paroles montèrent jusqu’à Ragastens ; il reconnut lavoix de Giacomo. Spadacape, à ce moment, apparaissait au haut dumur.

– Descendez monsieur, pendant que je retiens la corde…Ragastens s’accrocha à la corde et descendit en quelques secondesen se laissant glisser, pendant que Spadacape, suspendu dans levide, de l’autre côté du mur, faisait contrepoids !… Puis,Spadacape se mit debout sur le mur et sauta.

– Vite ! répéta fébrilement Giacomo. Il esttemps !…

Il s’élança en courant, sans suivre les allées, coupant en lignedroite par les plates-bandes. La course dura cinq minutes : lejardin était vaste et profond. Tout à coup, Giacomo s’arrêta. Ilsétaient au pied du château, contre le piédestal d’une statue debronze. Giacomo leva les yeux… Une lumière brillait faiblement àune fenêtre. Le vieillard leva le bras vers cette lumière.

– C’est là ! dit-il.

– Comment y arriver ?

– Écoutez bien ! César Borgia vient d’arriver.(Ragastens ne proféra pas un cri, n’esquissa pas un geste.) Il estavec sa sœur… Inutile d’essayer de monter là-haut par les escaliersdu château… Impossible ! Voici la fenêtre… il faut entrer parlà !… Quand vous sortirez de la chambre, là-haut… prenez lecouloir à gauche… descendez le premier escalier rencontré… vousaboutirez à la cour d’honneur… Quant aux gardes de la porte… ilsseront occupés… La grande porte sera libre… Allez… Adieu !…Hâtez-vous… Dans dix minutes, vous ne pourriez plus redescendre…Adieu !…

Giacomo s’élança et disparut. Dans le couloir qu’il venait designaler, il ouvrit une porte… elle donnait sur une vaste sallebasse encombrée de fagots secs…

Il alluma une torche…

Dès que Giacomo eut cessé de parler, Ragastens, froidement,avait, d’un rapide regard, jugé de la situation.

La fenêtre signalée était au premier étage. Mais ce premierétage avait une hauteur de près de vingt-cinq coudées. Ragastensavait jugé la situation d’un coup d’œil. Il saisit la main deSpadacape.

– Quand je serai là-haut, dans la chambre, dit-il, cours teposter près de la grande porte… Dès que tu me verras apparaître,rue-toi sur la porte, tue, poignarde, assomme, mais il faut que laporte soit ouverte…

– Elle le sera !…

– Embrasse-moi !…

Les deux hommes s’étreignirent… Alors Ragastens montra la statuede bronze à Spadacape.

– Monte ! dit-il.

Spadacape s’élança, sauta sur le piédestal et commença àescalader la statue. Ragastens le suivit de près…

– Je suis aux bras ! dit Spadacape.

– Plus haut ! répondit Ragastens.

– Me voici sur l’épaule !…

– Mets-toi debout sur la tête !…

Spadacape obéit sans hésitation. Sur la tête de la statuegéante, il se tenait debout, raide, les bras collés au corps… Toutà coup, Ragastens fut debout sur l’épaule de la statue…

– Tiens-toi !

– Je me tiens !…

Alors commença une ascension fantastique… cela dura moins d’unedemi-minute…

– Ta main !

Spadacape couda son poignet, tout en gardant le bras au corps,Ragastens mit le pied dans sa main… D’un effort lent, ininterrompu,sans secousse, il se hissa… L’instant d’après Ragastens avait lesdeux pieds sur les épaules de Spadacape… Il leva les deux bras…L’extrémité de ses doigts toucha le rebord de la fenêtre…

Spadacape sentit sur sa tête un pied…, tout le poids du corps deRagastens, puis, tout à coup, plus rien !… Comment ildescendit de sa vertigineuse position ?… Comment il seretrouva en bas, courant vers la porte signalée par Giacomo ?…Il lui eût été impossible de le dire… Seulement, une fois sur lesol, ayant levé les yeux vers la fenêtre, il vit Ragastens qui,accroché au rebord, se hissait, d’un effort surhumain !…

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer