Borgia !

Chapitre 69SUPRÊMES RÉSOLUTIONS

Grâce à l’un de ces judas que la fille de Borgia avait imaginéde placer un peu partout, Giacomo avait aussi entendu ce qui venaitde se dire entre le pape et Lucrèce. Peu après Angelo, il se mit enroute à son tour.

Il était environ minuit lorsque l’abbé arriva à la cabane dupêcheur. Bientôt, il était en présence de Rosa Vanozzo. Elle netémoigna aucune surprise de le voir à pareille heure. Elle supposaqu’il allait chercher à savoir ce qu’elle avait dit au vieux Borgiasur la grève.

– L’heure est venue d’agir, dit-il brusquement. Quandvoulez-vous que ce soit ?…

– Il faut attendre deux jours, répondit la Maga. Je ne suispas prête.

– Vous voulez voir si le vieux Borgia relâche la jeunecomtesse Alma, comme il vous l’a juré ?

– Comment savez-vous cela ? demanda-t-elle.

– Le vieillard s’est joué de vous. Béatrix ne sera pas miseen liberté. Elle subira le supplice auquel elle est condamnée. Vousaurez laissé passer l’occasion. Il sera trop tard.

L’abbé Angelo raconta alors point par point la scène entreBorgia et sa fille. Quand l’abbé eut fini son récit, elle garda uneminute le silence.

– Ce sera pour demain ! fit enfin la Maga.

– Quelle heure ?

– Au soir.

– Quand voulez-vous entrer au château ?

– Dès cette nuit. Pouvez-vous me cacher toute la journée dedemain ?

– Facilement. Venez avec moi.

– Non. Je serai à la porte du château dans deux heures.J’ai des préparatifs à terminer.

– J’y serai aussi. Je vous introduirai.

– Bien. Allez, maintenant. Laissez-moi seule. L’abbé Angelose retira.

Rosa était demeurée tout étourdie. Ainsi, Rodrigue lui avaitréservé une dernière trahison ! Silencieusement, elle passadans le compartiment de cave où se trouvait Ragastens. Spadacapelui fit signe de ne pas faire de bruit et lui montra le chevalierendormi.

La Maga fit un geste comme pour toucher Ragastens. Mais aumoment où elle allait réveiller le chevalier, elle entendit qu’onentrait dans sa chambre. C’était Giacomo qui arrivait.

Ne voyant personne dans la pièce réservée à Rosa, l’intendantentra dans celle que le pêcheur avait destinée à Ragastens. Ilaperçut la Maga.

– Des choses graves…

– Je sais ! dit la Maga. L’abbé est venu tout medire.

– Il faut prévenir le chevalier…

Spadacape, sans perdre de temps, alla toucher au bras le jeunehomme endormi.

– Monsieur, lui dit-il, notre voisine… Elle veut vousparler.

– Un malheur est arrivé ! s’écria Ragastens.

– Le malheur n’est pas arrivé, dit la Maga. Rassurez-vous,rien n’est peut-être perdu encore…

– Dites-moi tout par le détail, demanda-t-il d’une voix oùun étranger n’eût pas surpris un tremblement.

Brièvement, clairement, avec la netteté d’une sentence, la Magarésuma l’entrevue qu’elle avait eue avec Borgia, puis les nouvellesapportées par l’abbé Angelo, confirmées par Giacomo – poussés tousdeux par des motifs bien différents !

Ragastens releva la tête, au moment où la Maga partait pour lechâteau, afin d’en finir avec sa vengeance.

– Merci, madame, dit-il avec une singulière douceur.

Ragastens, sans un mot, se laissa aller dans les bras de lavieille. Puis celle-ci s’arracha à son étreinte, lentement, sans seretourner, monta l’escalier et s’enfonça dans la nuit. Ragastens,alors, se tourna vers Giacomo.

– Demain, dit-il, je tenterai de forcer la porte duchâteau. Quelle heure est la plus favorable ?…

– Écoutez, dit le petit vieillard, les choses ne peuvent sepasser ainsi… Vous présenter à la porte du château ?… Vousserez tué avant de l’avoir franchie…

– Avez-vous autre chose à me proposer ? fit Ragastensd’une voix morne.

– Peut-être !… Je ne sais pas encore !… Convenonsd’une heure pour demain…

– Tout est subordonné à l’heure à laquelle arrivera César.Il faut que j’entre avant lui, voilà tout !

– Voilà tout ! s’écria Giacomo… César arrivera versminuit… Voulez-vous dix heures ?…

– Dix heures, soit !

– Au lieu de vous présenter à la porte du château,trouvez-vous sur les rochers de la côte, à l’endroit où le fosséest interrompu et où le mur surplombe directement le roc… Si vousne voyez rien… c’est que je n’aurai rien pu faire et alors, agissezselon votre inspiration… À demain… dix heures !

Giacomo s’élança à son tour vers l’escalier et disparut. Demeuréseul, Ragastens murmura :

– Un jour encore !…

Tout à coup il aperçut Spadacape qui fourbissait activementépées et poignards. Alors, il songea à renvoyer le digne serviteur.Il chercha un moyen de l’éloigner…

– Que fais-tu là ? demanda-t-il.

– Vous voyez, monsieur, je fourbis nos armes pourdemain. N’est-ce pas demain jour de bataille ?

– À quoi bon te donner ce mal ?…

– Monsieur, répondit Spadacape, puisque nousmourons demain, je veux que nous mourions proprement. Ce sera madernière coquetterie.

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