Borgia !

Chapitre 67DÉSESPOIR

Rosa Vanozzo, en annonçant à Ragastens la probable venue deCésar Borgia, lui avait porté un coup terrible. Le chevalierdemeura tout d’abord comme frappé de stupeur. Il devinait le genrede vengeance que s’était réservé Lucrèce.

Il fut tiré de sa léthargie par le pêcheur qui, le touchant aubras, le pria de le suivre. Ragastens obéit machinalement.

La cabane se composait de deux uniques pièces.

La première – celle où Ragastens et Spadacape avaient fait leurentrée – servait à la fois de cuisine, de chambre à coucher et desalle à manger. La deuxième pièce servait de débarras et étaitencombrée de fagots pour faire du feu, de filets suspendus auxsolives du plafond.

Le pêcheur écarta les fagots entassés, et mit à nu une trappeque recouvraient des débris de toile à voile. La trappe ouverte, ildescendit un escalier et se trouva alors dans une cave de médiocresproportions. Cette cave, eu égard à la pauvreté de la cabane, étaitmeublée avec un luxe relatif. Il y avait là trois lits, une table,une armoire contenant des provisions. Il était évident que cettecave avait dû servir et devait encore servir de retraite. Àqui ?… Ragastens ne se le demandait même pas. Il remercia sonhôte qui se contenta de lui dire :

– Ici, vous êtes en sûreté… N’en sortez que la nuit.

Ragastens se jeta tout habillé sur l’un des trois lits pendantque Spadacape s’accommodait du lit voisin.

Une heure plus tard, il sauta à bas de son lit et fit unmouvement comme pour appeler Spadacape. Mais le fidèle écuyers’était endormi. Il n’était pas amoureux, lui !

Ragastens le regarda d’un œil d’envie. Puis, sans le réveiller,il remonta au rez-de-chaussée de la cabane. Il y retrouva lepêcheur qui s’occupait de réparer le filet avec lequel il allaitpartir à la pêche au point du jour.

Ragastens sortit et se dirigea rapidement vers le château. Lanuit était noire. Il ne connaissait pas le pays, et pourtant, ilmarchait sans hésitation, guidé par l’instinct qui lui avait faitabandonner la route pour prendre par la grève.

Ragastens escalada les rochers et examina avidement la demeurequi abritait à la fois Lucrèce et Primevère. Un fossé plein d’eaufaisait le tour du château. Il suivit ce fossé…

Il lui fallut une heure pour se retrouver au même point. Ilavait contourné le mur, et passé devant la grande porte. De toutesparts, le château était inaccessible.

Ragastens s’assit sur une pierre et laissa tomber sa tête dansses mains. Il se sentit perdu. Peu à peu, la nuit se fit moinsnoire. Alors, Ragastens put mesurer le redoutable ennemi auquel ils’attaquait. Le malheureux s’enfuit vers la cabane où il arrivaépuisé…

Pendant cette journée, la Maga demeura invisible. Vers dixheures du soir, Ragastens reprit le chemin du château, accompagnécette fois de Spadacape. Ils rôdèrent toute la nuit autour duchâteau. Lorsqu’ils regagnèrent, au soleil levant, la cabane dupêcheur, Ragastens était étrangement calme. Sa résolution étaitprise. Le plan de Ragastens était très simple, et il l’exposa àSpadacape. La physionomie de Ragastens l’épouvanta.

– Monsieur, commença-t-il, tout n’est pas fini, quediable !… Vous vous êtes tiré de pas autrement dangereux…Croyez-moi, le désespoir ne vous vaut rien…

– Où prends-tu que je sois désespéré ?…

– Je le vois bien à votre figure, monsieur.

– Tu te trompes, je réfléchissais à un plan d’attaque, etje viens d’en trouver un. Je vais te l’exposer… Voici ce que j’airésolu : ce soir, nous nous présenterons à la porte duchâteau, comme des cavaliers envoyés de Rome par César. Nous avonsune commission très importante à remettre à Lucrèce… On nous ouvre…nous entrons…

– Si on nous laisse entrer !…

– Tais-toi ! Nous entrons, te dis-je !…

– Bon ! Et une fois dedans ?…

– De deux choses l’une : ou on nous conduit à Lucrèce,et alors, le reste me regarde. Ou on ne veut pas nous conduire àelle et alors, écoute bien : tu tombes sur ceux qui nousentourent ; tu les maintiens ; tu te fais tuer surplace ; cinq minutes me suffiront ; cinq minutes,Spadacape, tu entends bien !…

– Monsieur, s’il ne faut que me faire tuer, vous pouvezcompter que vous réussirez. On ne meurt qu’une fois !… Je suisdonc votre homme pour ce soir.

Et, en lui-même, l’ancien bandit se dit :

« C’est fini ! Nous sommes perdus tous lesdeux. »

Cette deuxième journée fut aussi lugubre que la première.Ragastens la passa sur son lit, la tête au mur, se demandantparfois s’il ne valait pas mieux en finir tout de suite. Le soirvenu, Ragastens ne parla plus de son projet : il s’étaitaccordé un jour encore pour trouver un plan plus praticable.

Le lendemain, comme Ragastens avait fini par s’endormir d’unsommeil fiévreux, il fut soudain réveillé par un bruit de voix. Ilreconnut aussitôt l’une des deux voix : c’était celle de laMaga. Il écouta un instant et ne tarda pas à reconnaître l’autrevoix : c’était celle de Giacomo.

– Tu vas rentrer au château, disait la Maga ; tut’arrangeras pour que je puisse y entrer moi-même.

– Vous avez bien réfléchi, signora ?

– Pas un mot, Giacomo !… Ce qui doit s’accomplirs’accomplira. Tu dis que César va s’embarquer ?

– Demain matin… Il sera ici demain dans la soirée ou versle milieu de la nuit.

Ragastens sauta à bas de son lit. L’instant d’après, hagard,terrible à voir, il entrait dans la chambre de la Maga etsaisissait Giacomo par le bras :

– Que dites-vous ? César Borgia vient ici ?

– Monsieur de Ragastens !… s’écria Giacomo.

– César vient ici ! dit la Maga. Giacomo a vu lepatron de la goélette qui doit l’amener.

Ragastens se laissa tomber sur un escabeau. Il était à bout deforces. Soudain, il se leva.

– Où allez-vous ? demanda la Maga.

– Au château ! répondit Ragastens. Et je tue tout cequi vient devant moi, jusqu’à ce que je sois tué !…

– Attendez ! s’écria-t-elle. Laisse-moi, Giacomo.Laissez-moi aussi, chevalier… Dans une heure, venez me retrouver.Dans une heure, je vous dirai si vous devez aller au château vousfaire tuer…

Ragastens et Giacomo sortirent. Cette heure, le chevalier lapassa debout devant la porte de la Maga.

La Maga, une fois seule, avait quitté l’escabeau de bois où elleétait assise, et s’était accroupie à terre, le menton sur lesgenoux, dans cette attitude que des années d’habitude avaient finipar lui imposer.

– Il a sauvé Rosita, mais est-ce une raisonsuffisante ?…

Lorsque, d’une voix brisée, elle appela Ragastens, celui-ci futépouvanté de la pâleur qui couvrait le visage de Rosa. Elle luiapparut, semblable à un spectre.

– Demeurez en paix, dit-elle ; je vais, pour vous,tenter l’impossible. Si quelque chose au monde peut sauver Béatrix,c’est la démarche que je vais faire ce soir… Ne m’interrogezpas…

Le soir, Rosa se mit en route pour le château. Elle projetaitd’y entrer, grâce à l’abbé Angelo qui la mettrait en présence deRodrigue. Le hasard l’avait bien servie et l’entrevue qu’ellevoulait avoir s’était passée sur la grève.

Elle prit aussitôt le chemin de la cabane. Deux cents pas plusloin, elle trouva Giacomo qui l’attendait là.

– Tu vas rentrer au château, lui dit-elle. Tu t’arrangeraspour faire savoir à Rodrigue que son fils va arriver à Caprera.

– Il le saura dans une heure, signora. Est-cetout ?…

– C’est tout pour le moment. Tous les soirs, tiens-moi aucourant de ce qui se passe dans le château…

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