Chapitre 66VIE POUR VIE !
La bouche de l’abbé qui s’ouvrait pour appeler les gardes sereferma. Sa pensée très nette à ce moment fut que la dernière heuredu pape était venue.
– Inutile d’appeler, murmura-t-il à l’oreille du vieillard,c’est une inoffensive pauvresse de la côte.
Rosa Vanozzo s’était lentement avancée et s’arrêta devant lepape. Celui-ci ne voyait pas son visage qu’une écharpe noire jetéesur la tête cachait à demi.
– Que voulez-vous ? demanda rudement le pape.
– Parler seule à seul à Rodrigue Borgia, répondit-elle, defaçon que le pape seul l’entendît. Et aussitôt, elleajouta :
– Un crime est dans l’air. Votre vie est menacée. Si vousm’écoutez, vous êtes sauvé. Si vous ne m’écoutez pas, vous êtesperdu… Choisissez… Faites vite !
– Vous dites que vous pourrez me sauver ?balbutia-t-il à voix basse.
– Oui !… Et seule, je le puis !… Renvoyez cethomme !
Le vieux Borgia eut une minute d’affreuse indécision…
– Angelo ! fit-il tout à coup. Retire-toi, monenfant.
– Il suffira, reprit la femme, qu’il soit assez loin pourne pas entendre… Il peut ne pas nous perdre de vue…
– Tu entends, Angelo ? fit joyeusement le vieuxBorgia… Écarte-toi un peu, mais sans quitter la grève, de façon queje continue à te voir.
L’abbé obéit et s’éloigna d’une vingtaine de pas.
– Parlez, bonne femme ! dit alors le pape.
Rosa Vanozzo laissa tomber l’écharpe qui cachait une partie deson visage.
– Me reconnaissez-vous, Maître ? demanda-t-elle.
– La Maga ! s’exclama le pape.
– Vous pouvez me faire saisir, si vous voulez… ditfroidement Rosa ; je vous préviens que vous êtes perdu, si jene suis là pour vous sauver.
De nouveau, la terreur s’empara du vieux Borgia.
– Parle donc ! dit-il avec angoisse.
– Il faut d’abord que vous ayez pleine et entière confianceen moi…
– J’attends que tu me dises qui veut me frapper ici,pourquoi et comment je suis menacé de mort !…
– Cela, fit la Maga, je ne vous le dirai pas. Je ne puisvous le dire…
– Que me veux-tu donc ? gronda le pape avec uneirritation contenue.
– Vous proposer un échange… Deux existences sont menacées…La vôtre et celle d’une malheureuse dont je vais vous parler… Vouspouvez la sauver : si vous la sauvez, je vous sauve !Sinon, je laisse faire !
– Je ne comprends pas !… Celle dont tu parles… quiest-ce ?…
– La comtesse Béatrix, la fille du comte Alma.
– Béatrix ! s’écria le vieillard étonné. Tu dis que jepuis la sauver ?…
– Écoutez, reprit rapidement la Maga… Vous avez tué lamère… vous pouvez, vous devez sauver la fille… Béatrix a étéenlevée… Par Lucrèce !
– Par Lucrèce ?…
– Béatrix enlevée a été entraînée jusque dans ce château oùelle est séquestrée, d’où elle ne sort jamais… Dites un mot,imposez votre volonté à Lucrèce, et Béatrix sera libre.
– Et si je m’y refuse ?…
– Je vous l’ai dit ; je vous propose un échange ;votre existence contre celle de Béatrix… Vie pour vie !…
Le vieux Borgia frémit.
– Je sauverai Béatrix !
– Vous le jurez ?…
– Sur l’Évangile et la croix…
– Alors, dit lentement la Maga, vous êtes sauvé… Si vouscroyez en Dieu, remerciez-le de vous avoir donné le pouvoird’échanger votre vie contre une autre…
Le pape voulut interroger encore l’étrange vieille. Mais déjàcelle-ci s’était reculée et disparaissait dans la nuit. Le papedemeura quelques minutes à la fois étonné et terrifié. Puis ilappela l’abbé Angelo. Celui-ci s’empressa d’accourir.
– Tu avais raison, dit Borgia. C’est une pauvresseinoffensive qui est venue me demander une grâce.
– Et Votre Sainteté la lui a accordée ?…
– Je te l’ai dit, Angelo : c’est une grande joie quede faire grâce et de pardonner. Rentrons !
Et, en toute hâte, ils se dirigèrent vers le château. Au momentoù ils arrivaient devant la porte du château, Lucrèce sortaitentourée de gardes qui portaient des flambeaux.
– Ah ! mon père, s’écria-t-elle, je sortais vouschercher… j’étais si inquiète !…
– Bonne Lucrèce ! Je n’ai jamais mieux apprécié qu’ence moment ton dévouement… Viens, nous avons à causer de chosesgraves.
Le pape rentra dans ses appartements, suivi de Lucrèce. L’abbéAngelo se glissa derrière eux…