Borgia !

Chapitre 11LE CRUCIFIX DU PAPE

Il était environ dix heures du matin.

Une chaise de poste s’arrêta près de la porte Florentine, nonloin d’un bouquet de chênes où elle se mit à l’ombre. Une femmevêtue de noir en descendit et, pénétrant à pied dans Rome, sedirigea rapidement vers le Vatican. Mais ce ne fut pas du côté dela façade qu’elle se présenta. En arrière, s’étendait un jardind’une étendue considérable et clôturé de murs. Il n’y avait, pourpénétrer dans cette partie du Vatican, qu’une petite porte bassedepuis longtemps hors d’usage.

La femme en noir, le visage couvert d’un voile épais, longea cesmurs, parvint à la petite porte, introduisit en tremblant une clefdans la serrure qui, rouillée par le temps, grinça sous l’effort,résista, et enfin céda.

La visiteuse se trouva dans le jardin. Un instant elle s’arrêta,puis, à pas précipités, elle se dirigea vers un élégant pavillonqui disparaissait à moitié dans un massif de lauriers-rosesgéants.

À l’entrée du pavillon, un vieux domestique revêtu d’une simplelivrée noire, se promenait mélancoliquement. Tout à coup, ilaperçut l’inconnue et jeta cette exclamation de colère.

– Madame, par où êtes-vous entrée ici ? Dehors…vite !

Sans répondre, la femme tira de son sein un petit crucifix d’or,et le tendit au domestique soudain courbé en deux.

– Veuillez faire… parvenir ce crucifix… où vous savez… ditla dame d’une voix étouffée par l’émotion.

Il prit le crucifix, s’effaça pour laisser entrer la visiteusedans le pavillon et s’élança vers le palais.

La dame entra dans une pièce retirée. Et, s’étant assise, elleattendit, l’oreille aux aguets, le cœur battant.

Plus d’une heure s’écoula. Enfin, un bruit de pas fit crier lesable du jardin. Un homme apparut bientôt dans l’encadrement de laporte et jeta sur la visiteuse un regard de curiosité, de méfianceet d’inquiétude tout à la fois.

La dame s’était vivement levée. D’un geste lent, elle découvritson visage…

– La comtesse Alma ! s’exclama l’homme sourdement.

– Autrefois, Rodrigue, vous m’appeliez Honorata !répondit faiblement la femme.

– Madame, reprit l’homme, il n’y a ici ni Rodrigue, niHonorata… je ne vois que la comtesse Alma… une femme ennemie denotre Église… et je ne suis moi-même qu’un pauvre pécheur qui passeles derniers jours de sa vie à demander pardon de ses erreurs auTout-Puissant miséricordieux… Mais asseyez-vous, madame…

La femme obéit, tremblante. Des larmes vinrent poindre à sesyeux. L’homme l’observait de son regard aigu, fouilleur.

– Dix-sept ans ! murmura la dame en jetant les yeuxautour d’elle. Voilà dix-sept ans que, pour la dernière fois, jepénétrai ici… Vous parlez de vos fautes… Mais qui me pardonnera lamienne !…

– Dieu est grand, madame…

Et, la tête baissée, les mains jointes, l’homme attendit, sansposer une question…

– Oui ! reprit la dame, depuis ces temps éloignés, jesouffre, je pleure ; femme parjure, infidèle, j’ai trahi mesdevoirs… une minute d’orgueil et d’ambition m’a jetée dans vosbras… oh ! j’ai été cruellement punie ! L’enfant… cetteenfant que, lâche jusqu’au bout, j’abandonnai au seuil d’uneéglise… que de fois j’ai songé à la pauvre petiteabandonnée !… que de fois aussi je me suis dit que lesmalheurs qui ont frappé notre maison n’étaient qu’un justechâtiment de mon crime !…

– Dieu est juste, madame…

– Est-ce à vous de me dire cela ! s’écria la comtesseAlma dans un élan de révolte… Vous, Rodrigue, qui m’avez conseillél’abandon de l’enfant ! Vous par qui la maison des Alma asouffert comme ont souffert toutes les nobles maisonsd’Italie ! Rodrigue !

– Le pape n’est pas responsable des fautes de l’amant.

– Oui, répondit amèrement la comtesse, oui, Saint-Père… eneffet, vous n’êtes plus Rodrigue, et je ne suis plus Honorata…C’est donc au Saint-Père que je m’adresse… c’est au souverainpontife que va mon humble prière…

– Parlez, ma fille, et s’il est en mon pouvoir de voussoulager, je le ferai…

– Saint-Père, reprit la comtesse d’une voix qu’elles’efforçait en vain d’affermir, s’il ne s’agissait que de moi,j’aurais tôt fait de renoncer à ce monde… Un cloître se refermeraitcomme une porte de tombeau sur ma honte…

– C’est là une belle résolution, fit vivement le pape.

– Mais je n’ai pas le droit de l’exécuter !… S’il nes’agissait que du comte Alma, sa faiblesse morale s’accommoderaitvite de ce que Votre Sainteté pourrait lui offrir en échange de lacitadelle de Monteforte.

– Le comte Alma, interrompit le pape avec la même vivacité,peut être sûr de trouver à Rome, au Vatican même, une splendidesituation quand il lui plaira de quitter son nid d’aigle… Je vousautorise à le lui dire…

– Je n’ai pas besoin de l’en informer, Saint-Père… le comtesait tout ce qu’il gagnerait à se soumettre… Et souvent il ysonge !…

– Eh bien ! Qui l’empêche ? Je lui ouvrirai mesbras !

– Qui l’empêche de rendre Monteforte ? Qui m’empêche,moi, de m’enterrer vivante dans un cloître ? C’est ma fille…C’est Béatrix…

– Une enfant ! Je la doterai magnifiquement. Je lacréerai princesse. Je ferai plus encore pour elle… Je luichercherai un parti qui peut prétendre dès maintenant à la maind’une fille de roi. Et l’homme que je lui destine montera peut-êtrelui-même sur un trône… Ainsi votre fille deviendra reine !Reine, entendez-vous, Honorata !…

– Votre Sainteté vient de m’appeler« Honorata ! »

– Cela m’a échappé !

– Et quel est, reprit la comtesse Alma, ce parti que vousoffririez à Béatrix ?…

Le pape se redressa et, avec une sorte de solennité :

– Il s’appelle César Borgia, duc de Valentinois… enattendant mieux…

– Votre fils ?…

– Lui-même ! Ah ! comtesse, croyez que je vousdonne en ce jour une preuve d’affection singulière entretoutes…

– Vous ne connaissez pas Béatrix !… Le sang que je luiai transmis, c’est du sang des Sforce. Mais alors que j’ai pul’oublier, moi, ce sang coule dans ses veines avec une impétuositéqui m’effraie… Vous croyez sans doute, Saint-Père, que le comteAlma a défendu Monteforte, la seule forteresse qui ait résisté àCésar Borgia, vainqueur des Romagnes. Tout le monde le croit… Ehbien ! ce fut Béatrix qui enflamma la garnison, ce fut ellequi prépara l’échec de votre fils… Et aujourd’hui encore, elle estprête à se battre.

Le pape garda longtemps le silence, tandis que la comtessepleurait à ses pieds. Puis, par une manœuvre dont il avaitl’habitude et l’habileté, il répondit par une question à lasupplication de l’infortunée.

– Ainsi, dit-il, vous refusez ce mariage entre César etBéatrix ?…

La comtesse releva la tête, surprise :

– Je ne le refuse pas… il est impossible… Béatrix a contrevous tous une haine qu’elle a héritée des Sforce…

– Que la volonté du Seigneur s’accomplisse !

– Saint-Père, j’attends votre décision. Quelle réponsevais-je porter à Monteforte ?

– Hélas ! ma fille… Je ne puis rien sur César. Depuislongtemps il a échappé à mon influence. Ses guerres, il les afaites contre mon gré. Je crois que nulle puissance au monde nel’empêchera de marcher sur Monteforte…

La comtesse se releva lentement. Elle jeta un dernier regarddésespéré sur le pape.

– Adieu, Rodrigue ! dit-elle.

– Dieu vous protège, ma fille ! répondit le pape.

Honorata, comtesse Alma, sortit d’un pas chancelant. À peine sefut-elle éloignée, que le pape se redressa.

– Per bacco ! murmura-t-il. Quelspectre ! Voilà une visite à laquelle je ne m’attendaisguère…

Le vieillard eut un sourire aigu. Alors, il poussa une portièreet pénétra dans une pièce voisine. Là, dans la pénombre, un hommeétait assis.

C’était César Borgia, César lui-même, que le pape avait amenéavec lui au moment où on lui avait remis le crucifix d’or de lacomtesse Alma.

– Eh bien, tu as entendu ? demanda le vieuxBorgia.

– Tout !… Par l’enfer… je raserai Monteforte.

– À moins que la guerrière Béatrix…

– Primevère ! fit César en pâlissant.

– Tu as entendu quels bons sentiments elle a pourtoi !

– Je l’en ferai changer ! dit César d’une voixsombre.

– En attendant, après la déconvenue qu’elle est venuechercher ici, nous voici avec une ennemie de plus… Cette comtesseAlma… sur laquelle, au fond, je comptais un peu pour aplanir lesdifficultés et préparer ton mariage, maintenant, loin de nous êtreune alliée, elle va se tourner contre nous…

– Si elle arrive à Monteforte… Quant à sa fille, elle ne laverra peut-être pas tout de suite.

– Que veux-tu dire ?

– Qu’on a vu Béatrix aux environs de Rome.

– Aux environs de Rome ?… s’écria le pape avec unfrémissement. Ah ! ces Sforce sont de terribles jouteurs… Va,César, mon fils… Je vais prier. Fasse le ciel que la mère et lafille ne se rejoignent plus !…

– Je m’en charge ! grommela César.

Il allait s’élancer. Le pape le retint d’un geste.

– À propos, dit-il, la comtesse a oublié ici un petitbijou… Tiens… ce crucifix d’or… Je crois que tu pourrais larejoindre et lui rendre cet emblème sacré auquel, si je ne metrompe, elle doit tenir fort…

César regarda son père attentivement.

– Au surplus, reprit le pape, si ce n’est là son crucifix,c’en est un qui lui ressemble exactement. Il n’y a qu’une toutepetite différence… Tiens, regarde, César… Le Christ n’a pasd’épines, sur le crucifix de la comtesse… tandis que, sur celui-ci,la tête est couronnée de piquants… Vois… Et voici une épine qui estbien pointue, per bacco… elle doit bien piquer…

César arracha le crucifix d’or des mains du pape et s’élançaau-dehors.

La comtesse Alma, s’éloignant rapidement, avait rejoint lachaise de poste qui l’attendait sous le bouquet de chênes, non loinde la porte Florentine. La voiture s’ébranla.

Elle n’avait pas fait cinq cents pas qu’un cavalier accourut àfond de train, la rejoignit et fit signe au postillon de s’arrêter.Celui-ci obéit.

Le cavalier se pencha à la portière et salua gravement. Lacomtesse releva la tête et reconnut cet homme.

– César Borgia ! murmura-t-elle en pâlissant.

– Moi-même, madame… Bien que nos deux maisons soientennemies, j’ai tenu à vous présenter l’hommage de mon respect…Lorsque mon vénéré père a voulu envoyer un serviteur pour vousremettre un objet oublié par vous, je n’ai pas voulu que ceserviteur fût un autre que moi !…

– Un objet oublié ? interrogea la comtesse.

– Ce crucifix… Mon père m’a affirmé que vous regretteriezsans doute sa perte… J’ai voulu vous éviter ce léger chagrin.

La comtesse eut un sourire de tristesse.

– Je vous remercie, monsieur, fit-elle en rougissant.

Elle tendit la main pour recevoir le crucifix d’or que César luiprésentait. Au même instant, elle poussa un léger cri.

Une aspérité du crucifix venait de lui érafler la paume de lamain, mais d’une éraflure si mince qu’elle était à peinevisible.

– Maladroit ! s’écria César. Vous ai-je fait mal,madame ?… Je ne me le pardonnerais pas.

– Ce n’est rien…

– Adieu donc, madame… Voilà ma mission accomplie…Laissez-moi ajouter un seul mot : c’est que, quoi qu’ilarrive, quelles que soient les nécessités de la politique et de laguerre, je conserverai toujours pour vous et les vôtres une ardentesympathie…

Sur ces mots, César tourna bride et disparut dans la directionde Rome. Avant de s’enfoncer dans la ville, il s’arrêta, seretourna, et contempla un instant la voiture qui disparaissait auloin.

– Cette chaise de poste arrivera dans trois jours àMonteforte, murmura-t-il, mais elle n’y ramènera qu’uncadavre !…

Ce n’est pas à Monteforte qu’allait la chaise de poste. Elles’arrêta à cette même Auberge de la Fourche où nous avons vu lechevalier de Ragastens lier connaissance avec César Borgia, etdonner au signor Astorre une consultation sur les modesparisiennes.

La voiture fut remisée. La comtesse Alma s’enferma dans unechambre d’où elle ne sortit qu’à la nuit. Alors, elle monta àcheval et, seule, continua son chemin.

Bientôt elle quitta la route de Florence et, après deux heuresde marche au pas à travers champs, parvint enfin à une sorte degorge resserrée entre des rochers. Au fond de cette gorge sedressait une sorte de villa d’assez modeste apparence.

Au moment où la comtesse parut en vue de cette maison, une ombreblanche surgissant d’entre les rochers couverts de myrtes et delentisques se dressa tout à coup sur le sentier.

– Béatrix ! s’exclama la comtesse dans un élan dejoie.

– Ma mère ! Quelles inquiétudes !… Comme vousrentrez tard !… répondit Primevère en serrant la comtesse dansses bras.

Les deux femmes se hâtèrent d’entrer dans la maison dont unserviteur armé ferma les portes.

– Eh bien, ma mère,… avez-vous réussi ? demandaBéatrix lorsqu’elles furent installées dans une pièce durez-de-chaussée. Avez-vous pu voir les personnages que vousespériez rencontrer ?…

– Ces personnages ne sont pas à Rome ! répondit lacomtesse d’une voix sourde.

– Ah ! ma mère… vous m’en voyez toute joyeuse… Lorsquevous m’avez appris hier votre détermination d’aller faire cesdémarches qui pouvaient aboutir à une sorte de paix entre nous etles Borgia, je n’ai pu me défendre d’un serrement de cœur… Il n’y apas de paix possible en Italie tant que ces monstres verront lejour…

– Rassure-toi, Béatrix, fit amèrement la comtesse, je croisque la guerre est inévitable…

– Courage, mère !… Je suis résolue à lutter jusqu’aubout… Mais, dites-moi, êtes-vous sûre que cette retraite ne serapas découverte, qu’on ne vous a pas suivie ?

– Sûre, mon enfant ! Je me suis d’ailleurs conformée àton plan. La chaise de poste est restée à « l’Auberge de laFourche ».

– Bien, ma mère ! D’ailleurs notre exil va prendrefin… Demain soir, à Rome, c’est la dernière réunion… Etaprès-demain, à l’aube, nous quittons cette retraite où nous sommesensevelies depuis un mois, et nous reprenons le chemin deMonteforte…

– Ah ! Tu as une âme héroïque, Béatrix…

– Il le faut bien, puisque les hommes ont des cœurs defemmes.

La comtesse tressaillit.

– Tu fais allusion à ton père…

– Oui ! À mon père qui n’a pas osé venir ici… Maisqu’avez-vous donc, mère ?… Vous pâlissez…

– Ce n’est rien… J’ai voulu prendre ce verre d’eau et… mamain… n’a pu saisir le verre…

– Buvez, ma mère, fit la jeune fille en présentant le verreà la comtesse.

Celle-ci voulut le saisir, mais ses doigts raidis le lâchèrentbrusquement et le verre se brisa sur le plancher…

– Je ne sais… ce que j’ai… Depuis un instant… ma main estcomme paralysée…

– En effet, mère, cria Primevère effrayée, votre main estblanche comme de la cire… vos doigts se crispent… Mère !Qu’avez-vous ?

– Je sens que mon bras s’engourdit… le froid… jusqu’aucoude… Ma tête tourne… Oh ! je devine !

Cette dernière exclamation, la comtesse la jeta dans un cridéchirant d’angoisse et de terreur. Primevère avait saisi sa mèredans ses bras comme pour la protéger contre un invisibledanger.

– Que faire ? murmurait-elle éperdue.

– Rien, ma fille… répondit la comtesse. Rien. Tous lessoins sont inutiles, car le poison qui coule dans mes veines est unpoison qui ne pardonne pas…

– Le poison ? exclama Primevère épouvantée.

– Le poison des Borgia !…

La jeune fille demeura stupéfaite, atterrée, se demandant si laraison de sa mère ne s’égarait pas… Mais la comtesse reprit d’unevoix déjà haletante :

– Fouille dans mon sein, car mes mains sont mortes.

Primevère se hâta d’obéir.

– Le crucifix !… Prends-le…

– Le voici, mère…

– Montre… Je vois ! Ce n’est pas mon crucifix… Il aété changé… Le poison est là… dans la couronne d’épines… Béatrix…prends garde à cette croix…

– Oh ! Ce n’est pas possible ! bégaya la jeunefille, c’est un rêve atroce.

– C’est une terrible réalité, Béatrix… Écoute-moi, mafille… Je vais mourir. Dans une heure, je ne serai plus… Écoute-moisans m’interrompre… Ce que j’ai à te dire est grave…

Béatrix s’agenouilla, entoura la taille de sa mère de ses bras,posa la tête sur ses genoux et se prit à sangloter doucement.

– Béatrix, reprit la comtesse, tu es jeune fille… mais tuas une âme intrépide et forte. Tu es de celles qui peuvent toutentendre… Il me faut, pour te dire ces choses, un courage que lamort seule peut m’inspirer… la certitude de ne plus te voir… den’avoir pas à rougir devant toi…

– À rougir… Vous… Ma mère ?…

– Béatrix, je suis une femme coupable ! Écoute, unhomme vint… ton père s’éloigna de Monteforte… Que le ciel mepardonne la pensée horrible qui traverse en ce moment moncerveau !… Quoi qu’il en soit, ton père fut absent huit jours…Un soir, je sentis une étrange folie m’envahir… l’homme m’entraîna…je succombai…

Un atroce sanglot déchira la gorge de Primevère. Mais elle nedit pas un mot.

– Cet homme, je le revis… à Rome… dans son palais… Si je tefais cet aveu qui m’écrase, Béatrix, c’est que cette liaison eutune suite qu’il faut que tu saches… Je devins mère… Une petitefille naquit…

En disant ces mots, la comtesse jeta un regard ardent surPrimevère. Mais celle-ci, la tête enfouie dans les genoux de samère, ne montra pas son visage.

– Si je fus une épouse coupable, continua alors lacomtesse, je devins mère criminelle… Cette enfant, sur les conseilsde l’homme, je l’abandonnai ! Je l’exposai au seuil de lapetite église qui est à l’entrée du Ghetto, l’église des Anges…Depuis, tourmentée de remords, je l’ai vainement cherchée… Ce futlà mon vrai crime, Béatrix… Tu m’écoutes, ma fille ?

Primevère fit un signe de la tête.

– C’est ce crime que j’expie aujourd’hui… non par la mort,comme tu pourrais le croire… mais par les regrets qui étreignentmon cœur… Cette enfant, Béatrix… ta sœur… elle est vivante… je lesens… Ce que je n’ai pu faire… Béatrix… ta mère mourante te suppliede le faire… Cherche ! Trouve… Fais que ta sœur ne soit pasmalheureuse en ce monde.

– Je le ferai, ma mère !… dit Béatrix dans unchuchotement. Cette sœur, je la trouverai… je l’aimerai, mamère !…

Et Primevère se relevant approcha du front de sa mère etlonguement, tendrement, y déposa un baiser.

– Ne songez plus au passé, supplia-t-elle.

La moribonde secoua la tête.

– Il faut que je… te dise… le nom !…

– Le nom ?

– Oui… Tu dois connaître le père de l’enfant… de tasœur !… C’est l’homme qui ensanglante l’Italie… c’est celuiqui m’a fait empoisonner par son fils… C’est Borgia… c’est lepape !…

Un cri d’horreur échappa à la jeune fille. Elle saisit la mainde sa mère et la secoua violemment.

– Oh ! répétez… Est-ce possible ?

Mais la comtesse Alma se tenait à jamais immobile et muette.Elle venait d’expirer dans une effrayante secousse… Primevère tombasur les genoux, glacée, désespérée, en proie à la douleur et àl’épouvante…

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer