Borgia !

Chapitre 71LA COUPE D’OR ET LA COUPE D’ARGENT

La nuit précédente, quand la Maga arriva devant la porte duchâteau, une ombre sortit d’un fourré et s’approcha d’elle. C’étaitl’abbé Angelo. Il jeta sur elle un vaste manteau, et luidit :

– Venez. La signora Lucrèce veut vous parler…

Rosa Vanozzo avait suivi l’abbé. Celui-ci manifestait uneagitation fébrile. Il fit entrer Rosa dans une chambre faiblementéclairée, où il la laissa seule. Quelques minutes plus tard,Lucrèce apparut.

– Vous êtes prête ? demanda-t-elle.

– Je suis prête…

– Quand voulez-vous agir ?…

– Il faut d’abord que je le voie… que je luiparle… Ne craignez rien : je sais le moyen de me faireaccueillir, sans rien compromettre.

– Vous ne pouvez le voir que demain.

– Ce sera donc pour demain soir… Mais il faut que je puisseentrer d’abord chez lui, sans qu’il le sache.

– Facile : il descend tous les matins au jardin. Vousprofiterez de ce moment.

– Donc, à demain matin. D’ici là, laissez-moi.

Lucrèce, pensive, fit quelques pas pour se retirer. Tout à coup,elle revint sur Rosa :

– Quel motif avez-vous de le tuer ?…

Rosa Vanozzo leva la tête. Son étrange regard épouvanta Lucrèce.Rosa répondit :

– Et vous ?

Lucrèce s’en alla sans oser répondre, ni poser une autrequestion.

Elle ne se coucha pas de la nuit et attendit le jour avecimpatience. Le jour vint… la matinée s’avança : mais le papene descendit pas au jardin.

Ce matin-là, le vieux Borgia prépara son départ. Vers quatreheures, il donna ses ordres pour qu’il pût s’embarquer dès qu’il levoudrait. À huit heures, après le coucher du soleil, le pape dit àAngelo :

– Je veux une dernière fois me promener parmi ces fleursque j’aimais.

Silencieuse et patiente Rosa avait passé cette journée dans lachambre où Lucrèce l’avait laissée. Elle n’avait pas touché aurepas que sa fille elle-même lui avait apporté. Le soir, un peuaprès huit heures, Lucrèce ouvrit la porte brusquement et lui fitsigne, trop agitée pour parler. Rosa la suivit. Quelques instantsaprès, toutes deux étaient dans la chambre du pape.

– Vous êtes décidée à lui parler ? demandaLucrèce.

– Il le faut !

– Vous répondez de tout ?

– J’en réponds ! Soyez tranquille : votrepère va mourir… Il doit avoir l’habitude de boireavant de s’endormir ?

– Oui !… Un vin fortifiant… enfermé là…

Lucrèce désignait du doigt un petit meuble. Lui seul avait laclef du petit meuble. Ou du moins il le croyait.

– Vous pouvez ouvrir, n’est-ce pas ? dit Rosa.

Lucrèce tira rapidement une petite clef de son vêtement etouvrit le meuble.

– Vite ! gronda-t-elle.

Mais Rosa ne se hâtait pas. Elle examinait l’intérieur dumeuble. Il y avait, outre des vivres, une douzaine de flacons d’unvin spécial dont le vieillard buvait tous les soirs un doigt, avantde se coucher. Sur une étagère, deux coupes, dont l’une en or,l’autre en argent. Le pape se servait indifféremment de l’une ou del’autre. Rosa Vanozzo saisit la coupe d’argent.

– Hâtez-vous ! reprit Lucrèce.

La vieille haussa les épaules. Puis elle fouilla dans son seinet en sortit un petit carré de parchemin rougeâtre.

– Voici le poison, dit-elle. C’est un poison qui nepardonne pas. Je ne lui connais pas de contrepoison.

Lucrèce hochait la tête.

– En frottant le bord de la coupe avec ce parchemin,continua la Maga, on dépose sur l’argent une impalpable poussière…Rien au monde ne peut le sauver…

Rosa se tut. Elle demeura une minute pensive. Puis elle tendit àLucrèce la coupe d’argent et le carré de parchemin rougeâtre.Lucrèce se recula, horrifiée…

– Vous voulez que ce soit moi ? balbutia-t-elle.

– Allons ! Avez-vous peur, Lucrèce ?…

– Silence, malheureuse !…

– Prenez donc cette coupe d’argent, si vous voulez qu’on nenous entende pas ! Bon !… Le poison, maintenant !…Bon !… Frottez, maintenant !…

À mesure que parlait Rosa Vanozzo, Lucrèce, comme en uncauchemar, obéissait… Soudain, Rosa reprit la coupe d’argent.

– C’est assez ! dit-elle. Allez-vous-en !… Lereste me regarde… Lucrèce sortit. Rosa Vanozzo, demeurée seule,remit la coupe d’argent à la place où elle l’avait prise. Puis elledérangea un peu la coupe d’or. Enfin elle poussa la porte du petitmeuble sans la fermer tout à fait. Cela fait, elle se dirigea versun cabinet attenant à la chambre, s’y assit et attendit… Soudain,elle se dressa : on parlait, dans la chambre de RodrigueBorgia. Elle écouta…

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