Borgia !

Chapitre 5LES CAPRICES DE LUCRÈCE

Lucrèce Borgia rentra dans la salle du festin et s’aperçutqu’elle était vide.

– Les lâches, murmura-t-elle, ils ont fui… l’ivresse del’épouvante a remplacé dans leurs veines l’ivresse de la volupté…Ah ! il n’y a pas d’hommes !… Mon père en fut un… maisc’est un vieillard… Pourquoi la nature m’a-t-elle donné ce sexe, àmoi… à moi qui me sens d’appétit à dévorer un monde…

Elle se renversa sur une pile de coussins, et s’étira.

Une ombre se dressa près d’elle tout à coup. Elle tournanégligemment la tête.

– C’est vous, mon frère ? dit-elle en tendant la mainà César.

Il venait de rentrer, et qui l’eût vu en ce moment n’eût jamaispu supposer que cet homme venait d’assassiner son frère. Ilmontrait un visage enjoué à sa sœur qui, de son côté, le regardaiten souriant. C’était quelque chose d’effroyable que le doublesourire de ce couple monstrueux.

– Méchant ! fit Lucrèce, pourquoi avez-vous faitdu mal à ce pauvre François ?… Vous étiez doncjaloux ?…

– Ma foi, oui, Lucrèce… Il me déplaît que, devant mes amis,en quelque lieu que ce soit, en quelque circonstance qui seprésente, je ne sois pas le premier…

Lucrèce hocha la tête et demeura pensive.

– Au fait, reprit-elle soudain, mais tu hérites, mon César…Cette mort t’enrichit, toi déjà si riche… etl’« accident » te fait duc de Gandie…

– C’est vrai, petite sœur… mais tu auras ta part. Je teréserve un million de ducats d’or sur la succession… es-tucontente ?…

– Mais oui, répondit Lucrèce avec un bâillement. J’avaisjustement envie de bâtir un temple…

– Un temple ? s’écria César étonné.

– Oui… un temple à Vénus… Je veux rétablir son culte dansRome… Je veux que le temple s’élève entre Saint-Pierre et leVatican… Et, tandis que notre père dira sa messe, au prochain jourde Pâques, en son temple chrétien, je veux, moi, dire la mienne enmon église païenne, et nous verrons qui des deux aura le plus defidèles.

– Lucrèce, s’écria César, tu es vraiment une femmeadmirable. Ton idée est sublime.

– Moins que ton idée de t’emparer de l’Italie et d’en faireun seul royaume dont tu serais le roi, le maître absolu, monCésar…

– À nous deux, Lucrèce, lorsque j’aurai réalisé mon plan, ànous deux, nous dominerons le monde et nous le transformerons…

À ce moment, un bruit de clameurs s’éleva près d’eux. Ilsprêtèrent l’oreille. Le bruit venait des appartements dupalais.

Lucrèce jeta un manteau de soie sur ses épaules et, précédée deCésar, s’élança dans le vestibule aux statues, puis ouvrit la portede bronze. Le frère et la sœur s’arrêtèrent sur le seuil.

Une trentaine de domestiques hurlant, vociférant,tourbillonnant, se bousculant, se culbutant, entouraient ouessayaient d’entourer un homme, un étranger qui tenait tête à toutela meute enragée.

– Quel est l’insolent ?… s’écria Lucrèce.

Elle allait s’élancer. César la saisit par le poignet et laretint.

– Eh ! s’écria-t-il, c’est mon petit Français… Je luiavais donné rendez-vous ici, à minuit… Par le diable ! Quelgaillard ! Quels coups ! Pan ! à droite !Pan ! à gauche ! En voici deux à terre… et deux autresqui crachent leurs dents !

César, enthousiasmé, battit des mains, frénétiquement !L’homme qui s’escrimait contre la meute des valets, à la grandeadmiration de César et à la grande satisfaction de Lucrèce, étaiten effet le chevalier de Ragastens. Comme minuit sonnait, ils’était élancé de l’auberge du Beau-Janus.

– Oh ! l’abominable vision ! songeait-il tout encourant. Cet homme dans le Tibre !… Ce malheureux qu’on vientd’assassiner… oh ! ces deux mains crispées sur la dalle… cecorps qui disparaît dans les eaux noires… Et ces parolesmystérieuses… On veut enlever Primevère !… Et celui qui veutl’enlever, c’est précisément l’assassin ! Mais qui est cetassassin ?… Où le trouver ?… Comment prévenir le comteAlma ?… Il faut que je raconte ces étranges événements àl’illustre capitaine qui m’attend… Lui seul, à Rome, est assezpuissant pour démêler la vérité, et prévenir peut-être de nouveauxmeurtres !…

En monologuant ainsi le chevalier atteignit rapidement le palaisde Lucrèce. Il voulut pénétrer sous la colonnade que nous avonsdécrite. Mais les deux gardes équestres se jetèrent au-devant delui.

– Au large ! ordonnèrent-ils.

– Eh ! l’ami, fit Ragastens, doucement, quediable ! On m’attend en ce palais…

– Au large ! répondit le garde.

– Vous êtes bien entêté, mon cher !… Je vous dis queje suis attendu… par monseigneur César Borgia, s’il vousplaît !… Place donc !…

Non seulement le cavalier n’obéit pas à cette injonction, maisencore une douzaine de valets, attirés par le bruit, accoururent etse ruèrent sur le chevalier.

– Oh ! oh ! s’écria Ragastens, il paraît que lavaletaille est enragée en ce beau pays… Morbleu !… Est-cequ’ils oseraient porter la main sur moi ! Arrière,valets !

De fait, l’air du chevalier devint si terrible que lesdomestiques reculèrent, effarés. Mais le garde, lui, fonça sur lejeune homme. Ragastens comprit que sa victoire serait de courtedurée et qu’il allait être cerné, malmené, s’il ne faisait pas unexemple salutaire.

En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, il s’élança surle garde et se suspendit à sa jambe, cherchant, par de violentessecousses, à lui faire perdre l’équilibre.

À la première secousse, le garde vociféra un « sang ettripes ! » à faire trembler les fenêtres des maisonsenvironnantes, et se raccrocha à la crinière de son cheval.

À la deuxième secousse, il leva le pommeau de son sabre pour enassommer son impétueux adversaire. Mais il n’eut pas le temps demettre ce projet à exécution.

Une troisième secousse venait de se produire, plus violente queles deux premières. La bouche du cavalier, qui s’apprêtait àenvoyer à toute volée un nouveau juron bien senti, demeuraentr’ouverte et silencieuse de stupéfaction. Ragastens, de soncôté, avait reculé de plusieurs pas et avait failli tomber…

Qu’était-il arrivé ?… Avait-il lâché prise ?…Non !… Il arrivait tout simplement qu’à force de tirer sur lajambe du géant, Ragastens avait fait venir l’énorme botte ducavalier, et que celui-ci, hébété de surprise, demeurait déchausséd’un pied, mais toujours vissé sur son cheval, tandis que lechevalier, emporté par l’élan de la secousse, reculait, tenant àpleines mains une botte gigantesque…

Il y eut une débandade parmi les valets. Mais cette hésitationfut de courte durée. Les assaillants avaient reçu du renfort. Ilsétaient maintenant une trentaine, armés de bâtons.

Ragastens jeta les yeux autour de lui et se vit entouré detoutes parts.

– Ah ! maroufles, tonna-t-il, ah ! ramassis deprimauds ! C’est à coup de bottes que je vais vouschasser…

Et il fit comme il avait dit !… Saisissant la botte par lepied, il se servit de la tige comme d’une masse d’armes et exécutaun moulinet terrible. En même temps, il se dirigea vers l’escalierqu’il atteignit en quelques enjambées toujours poursuivi par lameute hurlante.

Au bout de l’escalier, Ragastens se vit dans une salle immense…Il choisit son champ de bataille, et s’accula à un coin. Alors, cefut épique.

Ragastens manœuvrait sa tige de botte comme Samson dut jadismanœuvrer sa mâchoire d’âne pour en assommer les Philistins. Cettetige tourbillonnait, voltigeait au-dessus de sa tête.

À chaque instant, comme une claque retentissante, elles’abattait sur une tête, sur une joue, sur un dos… Il y eut descris de douleur, des grincements de dents, des menacesapocalyptiques proférées à tue-tête par la bande affolée. Cela durajusqu’au moment où, une dizaine de valets, étant hors de combat,les autres reculèrent en désordre, en appelant au secours…

Maître du champ de bataille, sans une égratignure, son manteau àpeine dérangé, Ragastens partit alors d’un éclat de rire formidableet s’écria :

– Allons, valets ! Allez prévenir votre maître que lechevalier de Ragastens est à ses ordres…

– Je suis tout prévenu, fit une voix, vous vous chargez devous annoncer vous-même, monsieur !…

Ragastens se retourna et se trouva en présence de César et deLucrèce. Une seconde, il demeura ébloui, fasciné par la beautéfatale de la fille du pape. Lucrèce vit l’effet qu’elle venait deproduire et elle sourit. Mais déjà le chevalier se remettait,s’inclinait et répondait :

– Monseigneur, et vous, madame, daignez m’excuser d’avoirquelque peu malmené vos valets… Je n’ai d’autre défense à présenterque l’ordre que vous m’aviez donné de me trouver ici à minuit… Or,pour être à un tel rendez-vous, j’eusse passé à travers une légionde démons…

– Venez monsieur, dit César, c’est moi qui suis coupable den’avoir pas prévenu ces imbéciles…

Ragastens suivit le frère et la sœur, tandis que les valets,courbés jusqu’au sol, demeuraient stupéfaits de l’accueil fait àcet intrus si mal vêtu.

Près des Nubiens, postés à la porte de bronze, Lucrèce s’arrêtaun instant. Les deux muets n’avaient pas bronché. Ils avaient uneporte à garder : ils la gardaient.

– Et vous, demanda-t-elle, qu’eussiez-vous fait si on eûtessayé de franchir cette porte ?

Les noirs sourirent largement en montrant une double rangée dedents éblouissantes. Ils touchèrent du bout du doigt le fil deleurs yatagans, puis ils montrèrent le cou du chevalier.

– C’est clair ! fit celui-ci en riant : ilsm’eussent tranché le col. Mais, pour avoir le bonheur de vouscontempler, madame, je jure que j’eusse affronté ce péril…

Lucrèce sourit de nouveau. Puis, ayant tapoté la joue des deuxNubiens, ce qui parut les plonger dans une extase de ravissement,elle passa, suivie de César et du chevalier.

Elle les conduisit dans une sorte de boudoir dont Ragastensadmira le luxe raffiné. Mais le chevalier se garda bien de laisserparaître les sentiments qui l’agitaient.

– Ma sœur, dit alors César, monsieur est le chevalier deRagastens, un Français, un enfant de ce pays que j’aime tant… Sontitre de Français serait donc une suffisante recommandation à vosbontés, ma chère sœur… mais ce n’est pas tout : lors de monvoyage à Chinon, M. le Chevalier que voici me sauva lavie…

– Oh ! monseigneur, vous êtes trop bon de parler decette misère, fit le chevalier ; je ne vous ai rappelé cetteaventure que pour me faire reconnaître…

– J’aime les Français, dit à son tour Lucrèce, et j’aimeraiM. le chevalier particulièrement, pour l’amour de vous, monfrère… Nous vous pousserons, chevalier…

– Ah ! madame, je suis confus de la faveur que vous mefaites l’honneur de me témoigner si promptement.

– Vous la méritez, fit Lucrèce avec enjouement. Mais j’ypense, ajouta-t-elle tout à coup… Vous devez avoir besoin d’unrafraîchissement, après cette grande bataille… Venez, venez,chevalier !

Elle le saisit par la main et l’entraîna. Le chevalier fut agitéd’un frisson. Cette main tiède, langoureuse, parfumée avait serréla sienne.

L’aventurier ferma les yeux une seconde, la gorge nouée parl’angoisse d’inexprimables voluptés.

– Tant pis ! songea-t-il. Je risque gros peut-être…Mais la partie en vaut la peine.

Et sa main, fortement, presque brutalement, rendit la pressionamoureuse à la main de Lucrèce. L’instant d’après, ils setrouvaient dans la fabuleuse salle des festins…

Enfiévré, Ragastens se crut transporté dans quelque paradismahométan… Lucrèce elle-même plaçait devant lui des cédratsconfits, des pastèques glacées par un procédé qu’elle avaitimaginé, puis elle versait dans sa coupe un vin qui moussait etpétillait.

– Buvez, dit-elle avec un regard qui acheva de bouleverserle chevalier… C’est du vin de votre pays… mais je le fais traiterpar une méthode spéciale…

Le chevalier vida sa coupe d’un trait. Ses veines charrièrentdes flammes…

Il goûta aux confitures que lui présentait Lucrèce. Et sestempes se mirent à battre, tandis que son imagination s’ouvrait àdes visions délirantes…

– Madame, s’écria-t-il, je bois, je mange, j’entends, jevois… et je me demande si je ne fais pas quelque rêve splendideaprès lequel la réalité me paraîtra plus cruelle !… Oùsuis-je !… Dans quel palais enchanté !… Dans la demeurede quelle adorable fée !…

– Hélas ! vous êtes simplement chez une mortelle… chezla pauvre Lucrèce Borgia, qui cherche à se distraire et qui yarrive rarement.

– Quoi ! madame, vous seriez malheureuse ?Ah ! dites quel vœu vous avez formulé… lequel de vos désirsest resté inassouvi… Morbleu ! quand je devrais remuer lemonde… quand je devrais, comme les Titans de jadis, escaladerl’Olympe pour aller demander le secret du bonheur…

– Bravo chevalier ! s’exclama César. Et s’il ne suffitpas de l’Olympe, nous escaladerons le ciel pour demander au PèreÉternel la recette des confitures idéales par quoi Lucrèce setiendra satisfaite !…

– Je ne suis qu’un gentilhomme sans fortune, réponditRagastens en reprenant son sang-froid. Mais j’ai un cœur qui saitvibrer, un bras qui ne tremble pas et une épée ; je les mets,madame, à votre dévotion, trop heureux si vous daignez en accepterl’hommage.

– J’accepte cet hommage, dit Lucrèce, avec une gravité quifit tressaillir le chevalier.

– Et maintenant que vous voilà l’homme-lige de la duchessede Bisaglia, reprit César, voyons, chevalier, à vous trouver unesituation officielle où vous puissiez utiliser vos talents… Je puisobtenir de mon père un brevet de garde-noble pour vous.

– Monseigneur, fit le chevalier, rappelé par ces paroles àla réalité, je vous avoue que j’aimerais mieux autre chose.

– Diavolo ! Vous êtes difficile, mon cher ! Lesgardes-nobles doivent prouver six quartiers de noblesse… et, aprèstout, ajouta-t-il, avec une brutalité voulue, j’ignore, au fond,qui vous êtes…

Ragastens se leva et se campa fièrement.

– Monseigneur, dit-il d’une voix mordante, vous ne m’avezpas demandé mes parchemins à Chinon.

– Aïe ! je suis touché ! fit César.

– Quant à mes titres de noblesse, ils sont écrits sur monvisage ; chez nous, les gentilshommes se devinent au premiercoup d’œil… et ces titres, je suis prêt à les contresigner du boutde ma rapière.

– Bravo ! Bien riposté !…

– Puisque vous pensez que je suis venu en Italie pourmonter la garde dans les églises, autour d’un vieillard qui dit desprières, adieu, monseigneur !…

– Eh là ! Quel diable d’enragé êtes-vous donc… ?Je sais, parbleu, que vous méritez mieux ! Aussi, ne vousl’ai-je proposé que pour vous éprouver… Vous me plaisez, tel quevous êtes… La manière dont vous avez arrangé mon terrible Astorre,dit l’Invincible, vos réponses, votre air, et jusqu’à cettemagnifique volée, tout à l’heure… ah ! cela surtout… j’en risencore…

César se renversa, riant en effet à pleine gorge. Le chevalierse rassit, en souriant.

– Donc, vous voulez entrer à mon service ?…

– Je vous l’ai dit, monseigneur !

– Eh bien, c’est fait, monsieur… Dans peu de temps, je vaisrecommencer la campagne contre certains principicules qui secroient tout permis… Mais je m’entends… À ce moment-là, jecompterai sur vous, chevalier. Les hommes braves et spirituels sontrares… je vous connais depuis quelques heures, mais le peu que j’aivu me répond de vous… Chevalier de Ragastens, vous entrerez encampagne sous mes ordres, à la tête d’une compagnie.

– Ah ! monseigneur, fit Ragastens en bondissant, quedites-vous là ?… Vous voulez vous moquer, sans doute…

– Après-demain, au château Saint-Ange, venez chercher votrebrevet…

Ivre de joie, tous ses rêves dépassés d’un coup par la plussingulière fortune, le chevalier s’inclina, saisit la main de Césaret la porta à ses lèvres…

– Maintenant, vous pouvez vous retirer, monsieur… Un motencore, cependant. Ce matin, lorsque vous fîtes peur à ce bonGarconio, vous avez rencontré une jeune dame vêtue de blanc etmontée sur un cheval blanc ?…

Il allait parler… Il cherchait les mots qui devaient assurer àPrimevère les bonnes grâces de César… Tout à coup, une pâleurlivide s’étendit sur son front. Les paroles s’étranglèrent dans sagorge…

En s’inclinant, Ragastens avait jeté les yeux, par hasard, surla mosaïque de marbre qui formait le plancher de la salle. Et ilvenait d’apercevoir une large tache de sang !…

Pourquoi cette vue arrêta-t-elle les mots irréparables qu’ilallait proférer… Frémissant, il se tut…

– Eh bien, monsieur, fit César, vous alliez dire…

– J’allais dire, monseigneur, que j’ai en effet rencontréla dame dont vous me parlez et que j’ai bien regretté d’avoirinterrompu la conversation de ce digne moine, lorsque j’ai su qu’ilétait à vous !

– Ainsi, reprit Borgia devenu sombre, vous ne la connaissezpas ?…

– Comment la connaîtrais-je monseigneur ?… J’ignoreson nom : je ne sais même pas par quel chemin elle adisparu…

– Bien, monsieur… Vous pouvez vous retirer. Après-demain,au château Saint-Ange… N’oubliez pas !

– Diable, monseigneur, pour oublier, il faudrait quej’eusse perdu l’esprit.

Et Ragastens, de l’air le plus naturel du monde, fit uneprofonde et gracieuse salutation à Lucrèce, qui lui donna sa main àbaiser. Puis il sortit, se réservant de réfléchir à la découvertequ’il venait de faire.

Ses soupçons éveillés, il se demandait maintenant si toute cetteaventure, commencée comme un beau rêve, n’allait pas aboutir àquelque traquenard. Avec un frisson, il se rappela lesavertissements de Primevère. À ce moment, une petite main doucesaisit la sienne et une voix lui glissa à l’oreille :

– Venez, et ne faites pas de bruit…

Ragastens était brave. La voix n’avait rien de sinistre aucontraire… Et pourtant, il fut saisi d’un malaise. Mais il se remitpromptement et, s’en remettant à sa bonne étoile, il suivit songuide féminin.

Après des tours et des détours, il se retrouva tout à coup dansla salle des festins. La vaste pièce était maintenant faiblementéclairée par un seul flambeau. Le cœur de Ragastens battait àrompre.

– Ne bougez pas… ne remuez pas, murmura son guide, etattendez ici… jusqu’à ce qu’on vienne vous chercher.

Puis la servante qui avait conduit le chevalier disparut.

Les yeux de Ragastens furent aussitôt invinciblement attirésvers la tache de sang… Elle était là encore… Il s’approcha sur lapointe du pied… se baissa… toucha le sang… il n’était pas encorecomplètement coagulé.

– Il y a une heure à peine que ce sang a été répandu !murmura-t-il… Oh ! Qu’est cela ?…

Une autre tache apparaissait plus loin… puis d’autres… tout unchemin rouge, une piste sanglante ! Haletant, il suivit cettepiste, courbé sur les dalles, pas à pas…

Il arriva à une porte et mit la main sur le verrou… La portes’ouvrit… Au delà, la piste continuait…

Guidé par elle, Ragastens traversa plusieurs salles et parvintenfin à une dernière porte qu’il ouvrit. Il étouffa alors uneexclamation de surprise épouvantée. Il se trouvait au bord duTibre !…

Un instant, il eut la pensée de se laisser glisser dans leTibre, de se sauver… Mais l’idée de fuir – de fuir devant unefemme ! – le révolta.

Il raffermit son épée, ferma la porte et rapidement, d’un pasléger, regagna la salle des festins, toujours obscure etsilencieuse. Quelques minutes pleines d’angoisse s’écoulèrent.

Enfin la même servante reparut. Comme tout à l’heure, elle leprit par la main et lui fit traverser trois ou quatre piècesobscures. Elle s’arrêta alors devant une porte et lui ditsimplement :

– Vous pouvez entrer.

Ragastens hésita une seconde ; puis, haussant les épaules,poussa la porte…

Il se trouva au seuil d’une sorte de réduit mystérieusementéclairé, comme le sont les chapelles, pendant les nuits deprières.

Au fond de ce réduit, sur un amas de peaux de panthères, unefemme !… Une femme nue qui souriait, les bras tendus… C’étaitLucrèce !…

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