Borgia !

Chapitre 56RENCONTRE DANS LA NUIT

Rosa Vanozzo, la Maga, avait quitté Raphaël Sanzio et Rosita aumoment où ceux-ci avaient pris la route de Florence. Rosa étaitrevenue directement à Tivoli et elle avait repris son posted’observation dans la grotte du gouffre de l’Anio.

Plusieurs jours se passèrent. Comment vécut pendant cettepériode la mère de César et de Lucrèce ? Quelles furent sespensées et à quels préparatifs se livra-t-elle dans le mystère desnuits ?…

Il est probable qu’elle passa ce temps à se procurer desintelligences dans la villa. La Maga, en fuyant Rome, avait emportéavec elle assez de pierreries et de pièces d’or pour constituer unefortune. Elle se servit de ces richesses pour gagner un ouplusieurs domestiques et se ménagea le moyen de pénétrer dans lavilla quand le moment lui semblerait venu d’agir.

Or, vers le temps, à peu près, où César Borgia se préparait àforcer le défilé d’Enfer, il arriva un soir que le pape sortit dela villa avec plusieurs personnes de sa suite, pour se promenerdans les environs.

Au moment où le pape revenait vers la villa, il faisait nuitnoire. L’abbé Angelo avait accompagné son maître, comme il en avaitl’habitude. À un moment, il resta en arrière du groupe formé parles personnes qui escortaient le pape : l’abbé Angelo étaitcollectionneur ; il s’était donc arrêté pour ramasser dansl’herbe quelques vers luisants qui étincelaient d’un éclatparticulier. Lorsqu’il se releva, sa besogne achevée, il aperçuttout à coup une ombre derrière un rocher…

Il demeura immobile. Bientôt, ses yeux distinguèrent nettementl’ombre en question : c’était une femme.

Lorsque le vieux Borgia eut disparu, cette femme demeuraquelques minutes encore immobile… Puis, très distinctement, l’abbéentendit la femme qui disait :

– Va, Rodrigue… va tranquille et calme, pendant que jesouffre… l’heure approche où tu expieras tes crimes d’un seulcoup.

Angelo ne bougea pas et retint son souffle jusqu’au moment où lafemme s’éloigna. Alors, il la suivit. L’abbé la vit entrer dans lacaverne de l’Anio. Plusieurs jours de suite, il l’épia…

Une nuit – peu de temps après cet événement sur lequel il gardale silence – l’abbé Angelo ne dormait pas.

Tout à coup il tressaillit. À l’autre bout du couloir, il venaitd’apercevoir quelque chose de vague et de noir qui se traînaitsilencieusement le long du mur.

L’abbé Angelo demeura immobile, devant sa porte entrouverte.Dans sa chambre, il n’y avait pas de lumière. La« chose » approchait. Bientôt elle fut devant lui.

Brusquement, Angelo allongea le bras : sa main rencontra etsaisit avec violence une main, il l’attira à lui et rentra dans sachambre dont il ferma la porte.

– Silence ! Ou je crie et vous dénonce !…

Alors, il alluma un flambeau. Et la Maga apparut dans lalumière. Elle regarda sans colère celui qui venait de se dresserentre elle et le pape.

– Asseyez-vous, dit-il à voix basse, nous avons à causer…Je sais que vous venez pour tuer le Saint-Père… D’un mot jepourrais vous faire arrêter, ce serait votre mort. Ce mot, je ne ledis pas…

– Alors, dit Rosa Vanozzo avec un calme étrange, c’est quevous aussi vous voulez tuer Rodrigue Borgia !

– Non ! Je ne souhaite pas sa mort si sa mort doitm’être inutile. Mais il est certain que la mort du pape doit meservir un jour…

– Que me voulez-vous donc ?

– Que vous attendiez.

– Et si je ne veux ou si je ne puis attendre ?

– Alors, je crie, je réveille tout le monde, vous êtesprise et on vous exécute ; vous mourez avec l’horribledésespoir de n’avoir pu accomplir votre vengeance !

Rosa Vanozzo examina attentivement l’abbé.

– Vous êtes jeune, dit-elle ; vous êtes à l’âge oùl’on aime, où l’on hait avec force, où le sentiment domine laraison… Quelle est donc la passion qui vous pousse ?…

– L’ambition ! répondit Angelo en saisissant le brasde la vieille femme.

– Oui, je comprends ! fit Rosa en hochant la tête.Vous avez vécu dans l’atmosphère empoisonnée des Borgia et lepoison vous a pénétré jusqu’à l’âme.

– Êtes-vous résolue à attendre ?

– J’ai patienté des années, je puis patienter des jours.Mais quand le moment sera-t-il venu ?…

– Je vous préviendrai !

– Soit ! dit-elle enfin. J’attendrai. Vous savez où metrouver…

À la suite de cette rencontre, l’abbé eut avec elle plusieursentretiens dans la caverne du gouffre. Le jour où le vieux Borgiapartit précipitamment, il alla la trouver :

– Le pape n’est plus à Tivoli, dit-il.

– Je le sais, fit tranquillement Rosa Vanozzo.

– Le pape se réfugie à Caprera auprès de sa fille Lucrèce.L’armée de César vient d’essuyer une défaite… il y a des séditionsà Rome et un peu partout.

– C’est le châtiment qui vient !… Le hasard m’aempêchée de le tuer l’autre nuit. Béni soit ce hasard, puisqueRodrigue peut assister à l’écroulement de sa puissance ! Maismaintenant, jeune homme, hâtez-vous…

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