C’était écrit

Chapitre 22

 

À peu de temps de là, la porte du salons’ouvre de nouveau ; avant d’en franchir le seuil, le sauvagelord, immobile, demande s’il doit entrer. À cette question, Irisrépond d’un ton glacial :

« Je ne suis pas ici chez moi,… je vouslaisse juge de la question. »

Il traverse la pièce et, arrivé près de soninterlocutrice, il reste un moment sans mot dire ; mais, ensomme, la physionomie de la jeune fille n’indique pas qu’il y aitdétente dans son ressentiment contre lui. Enfin, d’une voix piteuseet humble, il reprend :

« Je me demande s’il vous serait agréablede me voir m’éloigner ? »

Comme il n’est pas une femme au cœur assez durpour prononcer un arrêt aussi cruel, Iris lui fit signe de venirprendre un siège près d’elle.

Pénétré de reconnaissance, il cherche à sefaire pardonner sa conduite, en disant :

« Il est une chose que je veux absolumentétablir, c’est que je ne vous ai pas trompée tout d’abord ;tant que vous avez eu l’œil sur moi, Iris, je suis resté fidèle auxlois de l’honneur… »

Ce singulier système de défense réduisit soninterlocutrice au silence. Est-il un autre homme, sous la calottedes cieux, à implorer son pardon en pareils termes ? Sur unsigne de tête affirmatif de son interlocutrice, lord Harrys’exprime en ces termes :

« Nous allons donc nous dire adieu sur lesol de la verte Erin ! Vous m’accorderez bien, n’est-il pasvrai, que je n’ai pas cherché à vous faire revenir sur votredécision, alors que vous avez dit que vous ne sauriez jamais êtrela femme d’un homme ayant mené une vie aussi orageuse que lamienne ? rappelez-vous en outre, ma chère Iris, que je me suissoumis à vous voir retourner en Angleterre, sans proférer uneplainte. C’était chose facile, tant que j’entendais votre voix,tant que je considérais votre gracieuse personne et que j’imploraisun dernier baiser – baiser que vous avez eu la honte de me donner.Il est des hommes respectables qui parlent de la chute d’Adam àtout propos. Sans vouloir me lancer dans ce verbiage embrouillé, jeme borne à dire que le serpent tentateur qui tenta Ève, s’étaitenroulé autour d’un arbre ; moi, je l’ai trouvé blotti dansmon fauteuil, faisant des combinaisons pour m’emprunter del’argent. Autrement dit, Mme Vimpany doit vousavoir donné une triste opinion de votre serviteur ? »

Iris, qui n’aimait à faire parade, ni de sacharité, ni de son indulgence, répondit :

« En résumé, je ne partage pas l’opinionque vous avez de Mme Vimpany. »

Pour la première fois depuis son entrée dansla pièce, la physionomie de lord Harry s’épanouit.

« Pardieu ! s’écria-t-il, j’auraisdû m’en douter ! quand on possède un caractère bien équilibrécomme le vôtre, on sait atténuer les rigueurs de la justice, parles douceurs de l’indulgence. Il faut bien en arriver à vous direque la susdite Mme Vimpany n’a pas toujours eu desjours filés d’or et de soie. Mettez-vous à sa place un instant, etjugez vous-même : par exemple, figurez-vous qu’étant enIrlande, force vous soit de rentrer en Angleterre, sans avoir dequoi payer la traversée ? figurez-vous qu’étant mariée, votreseigneur et maître vous force à quitter le toit conjugal, afin detirer à son profit tout le parti possible de vos talentsdramatiques ? figurez-vous enfin, que vous êtes dansl’obligation d’aller trouver l’un de vos anciens directeurs dethéâtre, à la fortune duquel vous avez puissamment contribué jadis,et qu’au lieu de vous réengager, il vous objecte que la perte devotre beauté le met dans l’impossibilité de vous enrôler dans satroupe ? Voici les faits dans toute leur brutalité :d’une part, ma vieille amie Arabella, empressée à me servir, et,d’autre part, un pauvre garçon prêt à mourir de douleur s’ilperdait jamais la trace de vos pas ! Hein, quellesituation ! comme on dit au théâtre. Ah ! que ne puis-jerecourir en plaidant ma cause aux arguments sans réplique dont jeme sers pour défendre Mme Vimpany ; plaçons enpremière ligne le goût inné de la plupart des femmes pour latromperie, l’astuce et l’hypocrisie ! »

Aussitôt, Iris protesta contre un code demorale qui octroyait si généreusement aux femmes des compromissionsténébreuses ; lord Harry, avec toute la souplesse dudilettantisme irlandais, se rallia immédiatement à l’opinion demiss Henley et se tint pour battu.

« À Dieu ne plaise, dit-il, que jesollicite votre indulgence au sujet de ma conduite ; aucontraire, je vous demande de laisser retomber sur moi toute laresponsabilité de ce honteux stratagème. Tout le premier, jereconnais que l’espionnage est un procédé inqualifiable, surtoutpour un gentleman, mais, hélas ! depuis le jour où j’ai quittéle toit paternel, je n’ai plus aucun droit à ce titre !

« En me commettant avec des gens de sacet de corde, j’ai contracté jusqu’à leur déplorable manière des’exprimer. Aujourd’hui, ma bien-aimée, je suis de nouveau à laveille de faire un nouveau voyage sur mer et je vous demande sansphrases, si vous m’accorderez votre pardon avant mon départ, ouseulement à mon retour, en admettant que je reviennejamais ? »

Sur ce, il se jette aux genoux d’Iris etcouvre de baisers passionnés les deux mains de la jeunefille ; puis, il s’écrie avec emportement :

« N’importe où que j’aille, n’importe oùque je sois, que je vive ou que je meure, ce me sera uneconsolation infinie de me rappeler que j’ai imploré votre pardon etque vous me l’avez peut-être accordé ! »

À peine avait-il achevé de prononcer ces mots,qu’Iris prit la parole en ces termes :

« Oui,… je vous pardonne. »

Voilà comment l’acte d’humilité et les accentspassionnés du sauvage lord triomphèrent de la résolution d’Iris.Toutefois, elle comprit qu’il importait de ne pas encouragerouvertement ses espérances. Le point essentiel pour y parvenir,était d’éviter qu’il n’interprétât son silence comme unencouragement, si bien qu’elle lui adressa tout de suite, en guisede correctif, une question banale au sujet de son départ :

« Dites-moi, où comptez-vous aller enquittant l’Angleterre ?

– Oh ! c’est tout simple ! làoù l’on peut gagner de l’argent. Chercher des diamants, parexemple, ou bien exploiter une mine d’or. »

Iris avait trop de perspicacité féminine pourne pas s’étonner de cette réponse évasive et bizarre.

« Permettez-moi de vous faire observer,dit-elle, que vos plans sont un peu bien vagues. Présumez-vous, dumoins, l’époque probable de votre retour ? »

À cet instant, il s’était emparé de l’une desmains d’Iris, et, tout en causant, il considérait une opale sur lechaton de l’une de ses bagues.

« Que vois-je, dit-il, un pierre demauvais augure ! »

Sans crainte de renouveler sa question. Irisreprit :

« Tout à l’heure, je vous ai demandél’époque probable de votre retour ?

– Pour vous répondre, ma bien chère Iris,il faudrait être sûr de revenir ! » répliqua lord Harryen riant aux éclats, mais pourtant d’un rire moins franc qued’habitude ; il reprit :

« Parfois, la mer nous engloutit ;parfois, nous servons de cible aux flèches empoisonnées dessauvages ; ma foi, j’ai eu tant de chance jusqu’ici, que jecommence à craindre de l’avoir épuisée. »

Puis, cherchant à rompre les chiens, ilreprit :

« Au cas où vous auriez, un jour oul’autre, le désir de faire un autre voyage en Irlande, jem’estimerais trop heureux de mettre (en mon absence, bien entendu)mon cottage à votre disposition ; je me souviens qu’il vousplaisait naguère ; tout est resté en parfait état.

– Qui en prend soin ? » demandaIris.

À cette question lord Harry hésite, fait uneffort et répond :

« L’ancienne femme de charge… »

Alors la voix lui manqua,… impossible à luid’articuler le nom de la ferme d’Arthur.

Ne doutant pas que ce ne fût deMme Lewson qu’il s’agissait et se souvenant que lestermes dont elle s’était servie, en parlant du sauvage lord,témoignaient de fortes préventions contre lui, Irispoursuivit :

« N’avez-vous pas rencontré certainesdifficultés pour lui faire accepter d’être gardienne chezvous ?

– Parbleu, je crois bien ! Là, commeailleurs, j’ai été desservi par ma mauvaise réputation ;Mme Lewson elle-même m’a bel et bien marchandé sonestime ; elle m’a jeté à la tête que je n’étais qu’ungredin ; sur quoi je lui ai répondu que le devoir des bonsétait de réformer les méchants ! Bref, je lui ai dit qu’étantà la veille d’entreprendre un long voyage, je la laissaissouveraine maîtresse et gardienne de ma maison. Toujours est-il queMme Lewson s’est rendue à mes raisons. Le meilleurmoyen pour amadouer les femmes âgées, c’est de leur témoigner ungrand respect. Il est une raison, paraît-il, qui l’attire dans levoisinage de ma demeure ; incurieux comme je le suis desaffaires des autres, je ne lui ai demandé aucune explication.

– Sans réfléchir beaucoup, reprit Iris,il vous serait aisé de trouver le mot de l’énigme : lesouvenir d’Arthur est gravé dans le cœur de la fidèleMme Lewson. Or, sa tombe, comme vous savez, estsituée près de votre habitation.

– Pour l’amour de Dieu ! ne meparlez pas d’Arthur », s’écria lord Harry avec animation.

Puis, la considérant avec étonnement, ilreprit d’une voix plus douce :

« Ah ! vous qui l’avez aimé, commentpouvez-vous en parler avec calme ! Lui, le meilleur, le plusnoble, le plus doux des hommes ! Lui, lâchement assassiné,alors que son agresseur jouit encore de la vie et de laliberté ! ô justice, tu n’es qu’un mot ! Croyez-vous quesa mort ne soit pas vengée ? que le coupable ne soit paspuni ? »

En prononçant ces paroles, lord Harry n’étaitplus le même conquérant à l’air aimable, joyeux et séduisant, tel,en un mot, qu’Iris l’avait connu et aimé ! Les passionsviolentes de la race celtique allumaient, pour l’instant, lesprunelles du sauvage lord et répandaient sur son visage,naturellement coloré, une pâleur livide ; regardant Iris, ils’écria :

« Mon caractère emporté, ma naturebizarre, diabolique même, parfois, j’en conviens, tout a tournécontre moi. Comment m’étonner que l’on ressente de l’aversion pourun braque dominé, comme je le suis, par sespassions ! »

Puis, frémissant, il fait un bond et pousse uncri horrible à entendre !

Une compassion surnaturelle eut alors raisonde la terreur bien naturelle que ressentait Iris. Posant doucementsa main sur l’épaule de lord Harry, elle reprit :

« Vous vous trompez, Harry ; non,certes, je ne vous hais pas ; j’ai seulement le cœur ravagé dechagrin à cause de vous et à cause d’Arthur. »

Alors, le sauvage lord pressa soninterlocutrice contre sa poitrine et exhala dans un baiserpassionné, sa reconnaissance, son repentir et son dernieradieu ! C’était là un moment d’émotion violente, dont l’un etl’autre devaient garder toute leur vie le souvenir.

Avant qu’Iris ait pu articuler un mot, lordHarry avait disparu ; à travers la porte ouverte elle lerappelle, mais il ne tourne pas la tête, ni ne répond. Elles’élance à la fenêtre, l’ouvre vivement et le cou tendu, ellel’aperçoit faisant en hâte un signe au cocher ; après quoi, ilsaute en voiture. Le plan du sauvage lord (plan qui consistaitcertainement à retrouver les traces de l’assassin et à lui fairesubir la loi du talion) inspirait à Iris tant d’horreur, tantd’appréhension, que ce sentiment lui donne la force de lerappeler.

« Venez, lui criait-elle, je veux vousparler. »

Il ne répondit que par un geste désespéré,pendant que, d’une voix de stentor, il clame au cocher :

« Allons,… filez,… filez… »

Alarmé par le ton impératif et par le regardeffaré du voyageur, l’automédon demande de quel côté se diriger. Lesauvage lord désigne la route qui se déroule devant lui ets’écrie :

« Allez,… allez audiable ! »

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