C’était écrit

Chapitre 38

 

Quoique les paroles d’Iris eussent ravivétoutes les craintes de Montjoie, néanmoins, il se refusait encore àdésespérer de sa malheureuse amie.

Sans doute, la déchéance morale, accusée parles mensonges et les perfidies de la jeune femme, eût justifié lesplus sombres prévisions, si sa confession spontanée, sesdésespoirs, ses emportements, n’étaient venus démontrer combienl’absence de sens moral de son entourage révoltait les instincts desa droite nature.

Or, comment réagir contre cette influencenéfaste ? La présence détestée du docteur Vimpany, était pourelle une occasion perpétuelle de lutte ; d’une part, elleéprouvait de la répulsion pour ce misérable ; d’autre part,elle devait condescendre aux idées despotiques de lord Harry.

En réalité, une chose restait à faire :délivrer Iris de l’autorité de son mari, sans porter atteinte à sesprérogatives.

Hugues était en train de chercher par quellecombinaison il atteindrait ce but, quand il entend frapper à laporte : ce n’était ni Iris, ni lord Harry, ni le docteur, maisla taciturne et étrange Fanny Mire !

« Puis-je parler à monsieur ?demanda-t-elle.

– Certainement ; de quois’agit-il ? répondit Montjoie.

– Voulez-vous bien me donner votreadresse ?

– Oui. »

Hugues s’empressa alors de lui remettre unecarte avec le nom de l’hôtel où il était descendu à Paris.L’observant en silence, il constate qu’elle attache sur lui unregard d’une intensité extraordinaire de perscrutation ; puiselle se dirige vers la porte, l’ouvre, réfléchit et finalementrevient sur ses pas.

« J’aurais encore autre chose à vousdire, monsieur ; n’avez-vous pas d’objection à écouter unepauvre servante ?

– Du tout, je suis tout oreille.

– Vous portez, ce me semble, une grandeaffection à ma maîtresse : elle m’a prise à son service, alorsque tant d’autres m’eussent fermé leur porte brutalement. Ayantperdu tout titre à la considération, abandonnée, je n’inspiraisplus le moindre intérêt à personne et elle seule, monsieur, m’atendu une main secourable ; je déteste l’humanité toutentière, hormis lady Harry ! La situation d’infériorité d’uneservante m’interdit de dire que je l’aime ; fussé-je sonégale, je n’en modifierais probablement pas pour cela monlangage ; aimer est un vain mot ! Dites-moi, monsieur, ledocteur est-il de vos amis ?

– Certes non.

– Est-il votre ennemi ?

– Ma foi, je ne saurais non plus direcela. »

Après avoir gardé un instant le silence, ellepoursuivit d’un air pensif :

« Ah ! si je pouvais vous dire toutce que j’ai sur le cœur ! mais j’ai peur que vous ne preniezpas au sérieux la première chose que je vais vous dire ;êtes-vous bon nageur ? »

Si étrange que fût la question, même formuléepar Fanny Mire, Montjoie n’en répondit pas moins sérieusement queoui.

« Avez-vous jamais eu la joie de sauverla vie à l’un de vos semblables ?

– Oui, deux fois, répondit Montjoie aveccalme.

– Si jamais vous voyiez le docteur endanger de se noyer, dites-moi, vous jetteriez-vous à l’eau pour lesauver ? Moi, non.

– Lui avez-vous donc voué une haineimplacable ? »

Sans répondre clairement à cette question,Fanny Mire poursuivit :

« Voyons, supposons qu’il soiten votre pouvoir de débarrasser lady Harry de ce monstre,reculeriez-vous devant une violence matérielle ?

– Non.

– Merci, monsieur ; maintenant, jesuis tranquille. Sachez que le docteur est le fléau de la vie delady Harry. Je ne puis être plus longtemps témoin de cet état dechoses ; si nous ne pouvons pas la délivrer de sa présence, jene réponds plus de moi. Il m’arrive de me dire, par exemple, quandje sers à table, et que je le vois prendre son couteau, nepourrais-je le lui arracher des mains et le frapper d’un coupmortel ? Un instant, j’ai cru que milord le mettrait à laporte, à la suite d’une querelle qu’ils ont eue ensemble, mais unhomme comme lord Harry a nécessairement pitié de ses semblables.Pour l’amour de Dieu ! monsieur, s’écria-t-elle d’une voixforte, venez au secours de ma maîtresse, ou indiquez-moi ce que jedois faire pour la sauver !

– Comment savez-vous que lord Harry et ledocteur se sont disputés ? » demanda Hugues vivement.

Sans manifester le moindre embarras, Fannyrépondit :

« Tout bonnement en collant mon oreillecontre la serrure ; mais monsieur n’a probablement jamais faitusage de ce moyen ?

– Non, jamais.

– Pourtant, s’il s’agissait de servir lesintérêts de ma maîtresse ?

– Je m’y refuserais également.

– À quoi bon, alors, vous dire sonami ? Ah ! que ne puis-je vous émouvoir par le récit desdangers qu’elle coure. Vrai, si vous saviez ce qui se passe, vousn’hésiteriez pas à lui prêter aide et secours… Si vous saviez lavérité, que ne redouteriez-vous pas pour milady !

– Alors, il faut me mettre au fait de cequi se passe », dit Hugues avec bonté : le dévouement dela servante pour sa maîtresse l’avait touché.

Voici le récit de Fanny Mire : lord Harryet le docteur s’entretenaient de leur besoin d’argent, d’arriéré àsolder. Lord Harry parlait d’hypothéquer son assurance sur la vie.Le docteur lui démontra que cela était impraticable et ajouta qu’ilavait un expédient meilleur. Après cela, il a dit quelques mots debouche à oreille à lord Harry, qui fit un sursaut ens’écriant : « Croyez-vous qu’après cela, je puisseregarder ma femme en face ;… réfléchissez donc, si elle venaità découvrir le pot aux roses. – Parbleu ! fit le docteur d’unton persifleur, elle en apprendra bien d’autres dont elle ne sedoutait pas avant son mariage ! » Lord Harryreprit : « Écoutez-moi ; j’ai fait tout ce que j’aipu pour modifier l’opinion d’Iris à votre sujet, mais, ma paroled’honneur, je finirai par partager sa manière de voir. – Ta, ta,ta, a repris le docteur, il faudra bien que vous en passiez par là,quand votre dernier billet de banque aura filé. » Quedites-vous de cela ? monsieur, reprit Fanny Mire, enredressant la tête et en le regardant droit.

– Je conviens que vous venez de me rendreun très grand service, dit Hugues d’un ton convaincu.

– Lequel ?

– Celui de m’avoir demandé commentparvenir à délivrer votre maîtresse de cet infâmechenapan ! »

À ces mots, Fanny ne put se contenir ;ses yeux brillent d’un éclat étrange ;… on eût dit du marbrequi prend feu.

« Bénie soit votre main ! »s’écria-t-elle en la portant à ses lèvres. L’instant d’après, uneombre livide passe sur son visage. Frappé de ce changement subit,son interlocuteur lui demande ce qu’elle ressent.

« Rien, fit Fanny Mire, en hochant latête ;… mais depuis le jour fatal… je ne me suis permis cetteprivauté avec personne… Merci,… merci, monsieur, etadieu. »

Pendant qu’elle parlait encore, un claquementde porte se fait entendre : c’était lord Harry qui rentraitchez lui.

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