La Guerre dans les airs

3.

Vers le soir, le vent se déchaîna et l’aérostat se mit à tangueret à rouler terriblement. Kurt assura qu’un certain nombre desoldats étaient malades de nausées. Mais Bert ne fut aucunementincommodé, ayant la chance de posséder cette mystérieusedisposition gastrique qui vous affranchit du mal de mer. Il dormitbien, mais l’aube l’éveilla, et il vit Kurt qui, trébuchant etchancelant, cherchait quelque chose dans la cabine. C’était uncompas qu’il fit manœuvrer sur sa carte.

– Nous avons changé de direction, – dit-il, – et nous allonscontre le vent. Je n’y comprends rien. Nous laissons New York àl’ouest pour descendre vers le sud… comme si nous allions prendrepart… Il continua à monologuer un bon moment.

Le jour vint, un jour de pluie et de vent. La fenêtre, embuée àl’extérieur, ne permettait de rien distinguer au-dehors. Il faisaitaussi très froid, et Bert décida de rester roulé dans sescouvertures, sur sa couchette, tant que le clairon ne l’appelleraitpas au repas du matin.

Quand il eut déjeuné, il sortit sur la petite galerie, mais iln’entrevit que des tourbillons de nuages qui dépassaient le ballon,et quelques silhouettes des dirigeables les plus proches. À derares intervalles seulement, il aperçut la surface grise ettourmentée de la mer.

Bert avait regagné la cabine, quand il remarqua que la buées’effaçait sur les vitres qu’illumina soudain le radieux éclat dusoleil. Il s’approcha, et, une fois de plus, il contempla cetimmense plancher de nuages ensoleillés qu’il avait admiré, quelquesjours auparavant, et d’où sortaient un par un, comme des poissonsmontant des eaux profondes, les aéronefs de la flotte allemande.Pour mieux voir, il courut à la galerie. Au-dessous, la tempêtebouleversait les nuées, les culbutait dans une galopade folle,alors qu’autour de lui l’atmosphère était claire, froide etsereine, à part quelques légers souffles de brise glaciale, et derares flocons de neige. Les moteurs ronflaient indiscontinument.L’immense troupeau des dirigeables, auquel d’instant en instants’ajoutait un nouvel aéronat, donnait l’impression de monstreseffroyables faisant irruption dans un monde étrange…

On n’eut aucune nouvelle du combat naval, ce matin-là, ou bienle Prince garda pour lui les radiogrammes qui parvinrent. Un peuaprès midi, les bulletins commencèrent à se succéder, et l’un d’euxaffola le lieutenant, qui entra, gesticulant et surexcité :

– Le Barbarossa désemparé coule à pic, –s’exclamait-il, – Gott in Himmel ! Der alteBarbarossa ! Aber welch ein braver Krieger !

Il arpentait la cabine, ne cessant de grommeler en allemand.Tout à coup, il s’adressa à Bert en anglais :

– Songez donc, Smallways ! Notre vieux bateau, que noustenions si propre, si astiqué. Tout est fracassé, mis en pièces, etles camarades aussi sont réduits en miettes ! …Gott !… Des jets de vapeur qui sifflent partout, lesflammes qui se tordent en tous sens… le fracas des canons et desprojectiles qui éclatent, et vous écrabouillent, quand on estauprès… Tout se disloque et saute… Rien ne résiste ! Et moiqui suis ici, dans les airs !… Si près et si loin !Der Alte Barbarossa !

– Et les autres ? – questionna Smallways.

– Gott !… Ah ! oui… Nous avons perdu leKarl der Grosse, le plus grand et le meilleur de nosvaisseaux… Un transatlantique anglais s’est jeté au milieu de labataille, qu’il voulait pourtant éviter, et une collisions’ensuivit avec le Karl der Grosse qui est sérieusementendommagé ; il a son avant brisé et il sombre lentement… On sebat dans la tempête. On n’a jamais vu pareille mêlée… D’excellentsnavires et d’excellents soldats de chaque côté… Dans la tempête,dans la nuit, à toute vitesse sur les flots en fureur… Pas moyen dese servir des sous-marins, pas de coups de poignard en dessous…Rien que les canons !… Nous sommes sans nouvelles de la moitiéde nos vaisseaux, parce que les mâts sont coupés par les obus.Latitude 30° 38’ nord, longitude 40° 31’ ouest… Où ça setrouve-t-il ?

Il déplia davantage sa carte et l’examina avec des yeux qui nevoyaient rien.

– Der alte Barbarossa ! Je ne puis penser à autrechose… des obus dans ses machines, les flammes refoulées hors desfoyers, les chauffeurs et les mécaniciens brûlés, carbonisés… Descamarades, des amis… c’est le dernier jour !… Pas eu de veine…Désemparé Coulé à fond ! Tout le monde ne peut avoir le dessusdans la bataille, c’est certain ! Pauvre vieux Schneider Jeparie bien qu’il leur en a envoyé plus qu’il n’en a reçu.

Les nouvelles arrivèrent ainsi par fragments toute la matinée.Les Américains perdirent un second bâtiment dont on n’eut pas lenom. Le Hermann fut endommagé en couvrant leBarbarossa. Kurt s’agitait comme un animal emprisonné,montant à la plate-forme d’avant, sous l’aigle, courant à lagalerie d’arrière, revenant à ses cartes, parcourant toutl’aéronat. Il communiquait à Bert le sentiment de l’actualitéimmédiate de cette lutte.

Mais quand Bert descendit à son tour à la galerie, tout étaitvide et calme ; au-dessus, s’étendait un ciel clair d’un bleunoirâtre, et au-dessous, à travers un voile plissé de cirrusensoleillés et diaphanes, on entrevoyait le vaste train des nuagesgalopants, qui cachaient l’océan.

Les moteurs ronflaient et crépitaient, et les deux longueslignes de dirigeables suivaient l’aéronat du Prince, tel un vol decygnes derrière son guide. À part le bourdonnement trépidant desmoteurs, tout était silencieux comme un rêve. Et en bas, quelquepart dans le vent et la pluie, les canons rugissaient, les obusmutilaient, fracassaient, émiettaient, et, selon l’antique loi dela guerre, des hommes s’agitaient, s’exaspéraient, souffraient et…mouraient.

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