La Guerre dans les airs

3.

La phase que les historiens ont dénommée « la Période desgouvernements provisoires » succéda à la phase de l’effondrementsocial. Ensuite vint une période de conflit véhément et ardent pourrésister à l’anarchie croissante : en tous lieux la lutte sepoursuivit pour enrayer les hostilités et maintenir l’ordre.

Simultanément, la guerre changea de caractère, lorsque lesmachines volantes remplacèrent les immenses dirigeables gonflés degaz. Aussitôt que les grandes rencontres de flottes furent devenuesimpossibles, les Asiatiques s’efforcèrent d’établir, à proximitédes points vulnérables dans les contrées envahies, des centresfortifiés d’où les machines volantes pouvaient aisément rayonner.Pendant un certain temps, personne ne vint troubler les incursionsdévastatrices de leurs aéroplanes ; mais quand le secret de lamachine Butteridge fut retrouvé, la lutte reprit dans desconditions plus égales et moins concluantes que jamais. Car cespetits engins, inefficaces pour de longues expéditions ou descombats décisifs, s’adaptaient parfaitement à la guérilla.

Les plans de la machine Butteridge, – construite en peu de tempset à bon compte, maniée sans difficulté et facilement cachée, –avaient été copiés, reproduits et répandus en hâte à d’innombrablesexemplaires aux États-unis et en Europe, avec des instructionsexhortant les villes, les corps constitués et les individus à s’enservir. En quelques semaines, des aéroplanes Butteridge furentcréés non seulement par les gouvernements et les autorités locales,mais par des bandes de détrousseurs, des comités insurrectionnelset par toutes sortes d’initiatives privées. L’absolue simplicité dela machine Butteridge constituait son danger au point de vuesocial. Elle n’était pas plus compliquée qu’une motocyclette. Laguerre perdit avec elle ce qu’avait eu de général et d’universel saphase première. L’antagonisme entre les nations, les empires et lesraces disparut en une confusion de menus conflits. D’une unité etd’une simplicité plus larges que celles de l’Empire romain, lemonde passa, d’un seul coup, à une fragmentation aussi complète quecelle du moyen âge, à la période des seigneurs féodaux, brigands etpillards. Mais cette fois, au lieu d’une longue descente graduellevers la dislocation, ce fut une chute subite, comme du haut d’unefalaise. De toutes parts les humains, effrayés du sort qui lesmenaçait, se cramponnaient désespérément aux aspérités de lafalaise, pour ne pas dégringoler plus bas.

Une quatrième phase suivit. Au milieu de la lutte contre lechaos, dans le sillage de la famine, survint un autre vieil ennemide l’humanité : la peste, la Mort Pourpre. Mais rien n’interrompitles hostilités ; les drapeaux claquaient au vent, les flottesaériennes prenaient leur vol, et, sous leurs évolutionsmeurtrières, le monde s’assombrit…

Il incombe à l’historien de raconter comment la guerre dans lesairs se poursuivit par cette seule raison que les autorités étaientdans l’absolue incapacité de se réunir et de se concerter pour ymettre fin ; et bientôt tous les gouvernements organisésfurent démembrés et disjoints, brisés et rompus, comme des tessonsde porcelaine écrasés à coups de pilon. De semaine en semaine,pendant ces terribles années, l’histoire s’embrouille et semorcelle, devient inextricable et incertaine…

Mais la civilisation ne sombra pas sans de colossales etd’héroïques résistances. Du bouleversement social, surgirent desligues patriotiques, des groupements de citoyens intègres, descomités improvisés, des individus, princes ou édiles, quis’efforcèrent de maintenir l’ordre sur terre, et d’écarter toutemenace du ciel. Mais ce double effort leur fut fatal et, au momentoù l’épuisement des ressources mécaniques de la civilisation libèreles cieux de toute trace d’aéronats, l’Anarchie, la Famine et laPeste triomphent sur la terre.

Les grandes nations et les empires ne sont plus que des noms surles lèvres des hommes. Partout, des ruines, des morts sanssépulture, des survivants amaigris, blêmes, et dans une mortelleapathie. Des troupes de voleurs, des comités de vigilance, desbandes de guérillas exercent le pouvoir sur telle partie deterritoire ; d’étranges fédérations et associations se formentet se dissolvent ; des fanatismes religieux, que suscite ledésespoir, étincellent dans les yeux fiévreux des affamés.

C’est une dissolution universelle.

Comme une vessie qui éclate, le bel ordre et le bien-être sesont évanouis de ce monde. En cinq courtes années, la terre entièreet toute la vie humaine ont subi un changement rétrogressif aussiprofond que celui qui sépare la période des Antonins et l’Europe duIXe siècle…

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