La Guerre dans les airs

5.

Bert passa la nuit assis, le dos contre un arbre, et le chatdans ses bras. Il était incapable de penser ou de parler de façoncohérente, tant il se sentait l’esprit harassé. Vers l’aube, ilcéda au sommeil.

Il se réveilla tout engourdi, mais quelque peu ragaillardi. Soussa veste, le chat dormait, tranquille et rassurant ; aucuneterreur ne hantait plus les arbres.

Il caressa l’animal qui dressa la tête avec un ronron.

– Tu veux du lait, une bonne assiettée de lait, hein ? –fit Bert. – Et ma foi, moi aussi, je casserais bien une croûte.

S’étirant et bâillant, il se releva, le chat sur son épaule, et,du regard, il scruta les alentours, tandis qu’il se remémorait lesévénements de la veille.

– Va falloir se débrouiller, – opina-t-il.

En allant vers les arbres, il se trouva en face du cadavre del’aéronaute. Le spectacle était loin d’être aussi horrifiant que laveille, au crépuscule. Les membres avaient perdu leur raideur, etle fusil avait glissé jusqu’à terre. Cramponné à l’épaule de Bert,le chat se frottait contre sa joue.

– Le mieux que nous ayons à faire, minet, c’est d’enterrerl’épouvantail, – dit Bert, qui regarda autour de lui le solrocailleux. – Nous n’avons pas besoin de sa compagnie.

Il hésita à se diriger vers le kiosque.

Le chat continuait à lui frotter affectueusement la joue avecson petit museau, et bientôt il lui mordilla l’oreille.

– Allons d’abord déjeuner, – décida Bert, en caressant l’animal,et en tournant le dos au cadavre.

Il fut surpris de trouver la porte du kiosque ouverte, bienqu’il eût la certitude de l’avoir close au loquet. Il remarquaaussi, sur la table, quelques assiettes salies qui n’y étaient pasla veille. Les charnières du couvercle qui fermait le coffre defer-blanc étaient dévissées.

– Suis-je bête ! Je m’escrimais après le cadenas, sanssavoir que le couvercle ne tenait pas !

Le coffre évidemment servait jadis de glacière ; mais il necontenait plus que les restes de cinq ou six poulets rôtis, etaussi une substance indéfinissable qui avait dû être du beurre etqui exhalait une odeur singulièrement répugnante. Bert rabaissatrès soigneusement le couvercle.

Il versa un peu de lait dans une soucoupe et s’assit pourregarder la petite langue rose du chat qui lapait activement leliquide. Puis, il procéda à l’inventaire exact de ses provisions.Il disposait de six flacons de lait pleins et un entamé, soixantebouteilles d’eau minérale, une grande quantité de sirops, environdeux mille cigarettes et plus de cent cigares, neuf oranges, dixboites de bœuf conservé, dont une entamée, deux caisses debiscuits, onze gâteaux au raisin, six quarterons de noix, cinq potsde compote de pêches conservées. Il inscrivit tout cela sur unefeuille de papier.

– Pas des tas de mangeaille solide, – observa-t-il, – maisbah ! il y en aura bien pour une quinzaine, et on ne sait pasce qui peut arriver en quinze jours.

Il remplit une seconde fois la soucoupe du chat, lui donna unetranche de bœuf, puis, avec l’animal bondissant autour de lui, laqueue droite, il partit pour revoir le Hohenzollern. Dansla nuit, l’épave avait changé de place et paraissait à présent plusinextricablement échouée contre les rochers de file Verte.

Bert examina un moment l’arche rompue du pont, puis, par-delà lefleuve, son regard contempla la désolation de la ville saccagée.Rien n’y semblait vivant qu’une bande de corbeaux, affairés autourdu mécanicien massacré par les Asiatiques. Plus loin, sans qu’ilsles aperçût, des chiens hurlèrent.

– Mon vieux minou, faut absolument trouver le moyen de décamperde ce sale trou. Au train dont tu vas, notre provision de lait nedurera pas longtemps… En tout cas, il y a de l’eau, et ce n’est pasde soif que nous mourrons, – fit-il, regardant l’avalancheliquide.

Il commença une exploration méthodique de l’île, et arrivabientôt devant une barrière fermée à clef. Il l’escalada etdescendit un vieil escalier de bois construit au flanc de lafalaise. À chaque marche le grondement des eaux devenait plusformidable. Au bas, Bert, avec un tressaillement d’espoir,découvrit un sentier qui menait, parmi les rocs, au pied de lagigantesque Cascade Centrale. Peut-être était-ce làl’issue ?

Mais le sentier aboutissait seulement à la Cave des Vents. Aprèsavoir passé un quart d’heure dans cette atmosphère étouffante etassourdissante, aplati contre la paroi rocheuse, devant la massepresque solide de la chute, Bert, à demi stupéfié et déçu, revintsur ses pas. En remontant le vieil escalier de bois, il entenditcomme un bruit de bottes sur les graviers au-dessus de lui. Ce nedevait être qu’un écho, pensa-t-il, et, en effet, quand ilatteignit le haut, l’endroit était absolument désert.

Accompagné du chat qui gambadait près de lui, il se remit enroute et parvint à un autre escalier qui grimpait contre un rochersurplombant, d’où la vue s’étendait en enfilade sur l’immensemajesté verte de la Chute du Fer à cheval. Il demeura là quelquetemps en silence.

– On ne s’imagine pas qu’il puisse y avoir tant d’eau… Tout ceboucan, ça vous porte sur les nerfs, à la fin !… On dirait unefoule qui crie…, on dirait des gens qui trépignent… Ça ressemble àtout ce qu’on veut bien se figurer, – grogna-t-il, en s’éloignant.– Il va falloir tourner dans cette île maudite, tourner, tourner,tourner… sans en sortir, – murmura-t-il, lugubrement.

Bientôt, Bert se retrouva devant le moins endommagé desaéroplanes asiatiques. Il s’arrêta, et le chat flaira l’engin.

– C’est la panne !

Il leva soudain la tête, avec un sursaut convulsif.

Deux personnages de haute taille s’avançaient lentement verslui, du milieu des arbres. Ils étaient couverts de loques roussieset souillées. L’un boitait et avait la tête entourée de bandages.L’autre, qui marchait un peu en avant, conservait l’altièreattitude qui convient à un prince, malgré son bras en écharpe et uncôté de la face dévoré par une brûlure à vif. C’était le princeKarl Albert, l’Alexandre allemand, le Paladin de la guerre. L’hommequi l’accompagnait était l’officier à tête d’oiseau, dont Bertavait un moment usurpé la cabine à bord du Vaterland.

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