La Guerre dans les airs

Chapitre 9DANS L’ÎLE DE LA CHÈVRE

1.

Le choc d’une balle sur le roc, à côté de lui, rappela à Bertqu’il était un objet visible et revêtu, en partie au moins, d’ununiforme allemand. Il se réfugia de nouveau dans le sous-bois et,pendant quelque temps, il avança en se dissimulant d’arbre enarbre, à la façon d’un poulet qui cherche à échapper, dans lesroseaux, à des éperviers imaginaires.

– Battus ! Vaincus ! Anéantis ! – murmurait-il. –Par les Chinois…, les sauvages jaunes qui lespourchassent !

Finalement, il s’arrêta dans une touffe d’arbustes, auprès d’unkiosque de rafraîchissements, fermé et abandonné, en vue de la riveaméricaine. Le fourré, sous les branches qui se rejoignaient ets’enchevêtraient, formait une sorte de bauge. Gîté là, Bert épiaitce qui se passait dans la ville, de l’autre côté des rapides : maisla fusillade avait cessé à présent et tout paraissait tranquille.L’aéronat asiatique avait abandonné sa position au-dessus du pontsuspendu, et planait immobile sur la cité, couvrant de son ombreles alentours de l’usine où s’était livré le combat. Le monstreavait un air de suprématie calme et sûre, et à sa proue pendait, enlongs plis ondulants, altier et ornemental, le pavillon, rouge,noir et jaune, de la grande alliance : le Soleil Levant et leDragon ! Au-delà, vers l’est, mais à une altitude supérieure,planait un second aéronat ; et Bert, reprenant bientôtcourage, glissa la tête entre les branches, tendit le cou, etaperçut, contre le soleil couchant, un troisième vaisseauaérien.

– Sapristi !… Vaincus et pourchassés !… Qu’est-ce queça va devenir ?

Il sembla d’abord que toute lutte fût terminée, bien qu’undrapeau allemand flottât encore sur un édifice démantelé. De mêmel’étendard blanc, hissé sur l’usine, y demeura pendant tous lesévénements qui se déroulèrent ensuite.

Un crépitement de coups de feu retentit. Des soldats allemandsarrivèrent en courant, et disparurent parmi les maisons ; puisce furent deux mécaniciens en costume bleu, poursuivis par troisguerriers japonais. Le premier des fuyards était svelte et grand,et galopait légèrement et vite ; le second, court et trapu,détalait comiquement par sauts et par bonds, ses petits bras rondsrepliés à ses côtés, et la tête rejetée en arrière. Les Japonaisfilaient bon train, bien que gênés par leur uniforme et leur casquede cuir et de métal.

Le petit homme trébucha : Bert haleta, devinant une nouvelleatrocité. Celui des Japonais qui suivait le fuyard de plus prèsgagna trois pas sur lui et se trouva à portée pour lancer un coupde sabre, que l’Allemand évita par un bond en avant.

La poursuite continua sur une douzaine de mètres ; leJaponais leva son arme encore et l’abattit, et Bert, à travers lefleuve, entendit un bruit semblable à un mugissement, au moment oùle fuyard tomba. Le sabre se releva une fois, deux fois, sur lemalheureux qui se tordait à terre en essayant en vain de sepréserver avec ses mains tendues.

– Oh ! c’est trop ! – s’écria Bert, pleurnichantpresque.

Le Japonais frappa une quatrième fois et reprit sa courselorsque ses deux camarades le rejoignirent. Mais l’un d’euxs’arrêta, et, ayant sans doute perçu quelque mouvement, il frappaaussi l’Allemand de plusieurs coups de sabre.

– Oh ! oh ! – gémissait Bert, chaque fois que l’armes’abaissait.

Il s’enfonça davantage dans le buisson et demeura immobile.Bientôt, la fusillade éclata de nouveau, puis tout, même l’hôpital,redevint calme.

Des Asiatiques sortirent des maisons, remettant les sabres aufourreau, et se dirigèrent vers les débris des aéroplanes. D’autresparurent, roulant des appareils indemnes, à la manière debicyclettes ; ils sautèrent en selle, les ailes battirent, etils s’envolèrent. À l’horizon, vers l’est, trois aéronatss’élevèrent, montant vers le zénith, tandis que celui qui planaitau-dessus de la ville déroulait sur l’usine une longue échelle decorde où grimpèrent quelques hommes.

Longtemps, comme un lapin qui, de son terrier, contemple unrendez-vous de chasse, Bert observa ce qui se passait sur l’autrerive : des Asiatiques pénétraient dans les habitations qu’ilsincendiaient l’une après l’autre, comme il s’en rendit comptepresque aussitôt. Dans les usines, de sourdes détonationséclataient. Pendant ce temps, les dirigeables et les aéroplanesarrivaient de toutes parts ; un tiers de la flotte des Jaunesfut bientôt réuni au-dessus du Niagara. Immobile, engourdi même,sous l’abri du fourré, Bert les épiait : ils évoluaient, serangeaient, échangeaient des signaux, et reprenaient à bord lestroupes débarquées. Enfin ils se remirent en route dans ladirection du soleil flamboyant à l’ouest, vers le quartier général,au-dessus des puits de pétrole de Cleveland. Ils diminuèrent peu àpeu dans la distance et disparurent, le laissant seul, autant qu’ilpouvait le supposer, – le seul être vivant dans un monde de ruinesindescriptibles. Bert, après que le ciel fut vide, resta longtempsbouche bée et les yeux écarquillés.

– Ouf ! – fit-il enfin, comme s’éveillant d’un mauvaisrêve.

Le sentiment de désolation et de malheur qui l’emplissaitdépassait les limites de sa personne. Il lui semblait que lecrépuscule de sa race commençait.

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