La Guerre dans les airs

3.

La porte s’ouvrit brusquement, et un solide jeune homme enuniforme apparut, apportant le miroir à barbe, la couverture et leportefeuille de M. Butteridge.

– Eh ! bien, c’est assez inattendu de vous voir, monsieurButteridge, – fit-il avec un parfait accent anglais.

Sa figure était rayonnante, et il avait une chevelure d’un blondtirant sur le rose.

– Une demi-heure de plus et nous étions partis. Vous avez failliarriver trop tard, – continua-t-il en examinant curieusement Bert,et arrêtant son regard sur les sandales. – Vous auriez dû venir survotre machine volante, monsieur Butteridge. – Et sans attendre deréponse, il reprit : – Le Prince m’a chargé de m’occuper de vous.Il ne peut naturellement vous recevoir en ce moment, mais il jugeque votre venue est providentielle. Une dernière grâce du ciel, unheureux présage. Eh ! mais…

Il demeura immobile, l’oreille tendue.

Au-dehors, ce fut un trépignement précipité, des appels declairons lointains et proches ; des hommes lançaient à pleinevoix des ordres brefs auxquels on répondait de loin. Une clocheretentit et des pas coururent dans le corridor. Puis, ce fut unsilence plus alarmant que le vacarme, rompu soudain par ungargouillement d’eau qui tombe en rejaillissant. Le jeune hommesouleva ses sourcils, hésita une seconde, et bondit au-dehors.Presque aussitôt, comme pour mêler ces rumeurs confuses, unedétonation formidable éclata, qui fut suivie d’acclamationsassourdies. L’officier reparut.

– On expulse l’eau du ballonnet.

– Quelle eau ? – demanda Bert.

– L’eau qui nous maintenait à l’ancre… Ingénieux,hein ?

Bert s’efforça de comprendre.

– C’est juste, vous ne saisissez pas bien, – dit le jeune homme,tandis que Bert sentait un frisson d’angoisse le glacer des pieds àla tête. – Voilà le moteur en marche, maintenant ça ne va pastarder.

Pendant un bon moment, ils demeurèrent aux écoutes. Tout à coup,la cabine fut soulevée.

– Sapristi ! Nous partons déjà ! Nous sommes enroute.

– En route ?… Pour où ? – cria Bert en se dressant sursa couchette.

Mais l’officier n’était déjà plus là. Dans le couloir, il y eutdes échanges de phrases en allemand et d’autres bruits tout aussiénervants.

Le balancement de la cabine s’accentua. Le jeune hommerentra.

– Ça y est. Nous filons, sans anicroche.

– Dites donc, où filons-nous ? Je voudrais bien que vousvous expliquiez ? Quel est cet endroit ? Je n’y comprendsrien.

– Comment ? Vous n’y comprenez rien ?

– Ma foi non ! Je suis encore tout étourdi de ma culbutesur la caboche. Où sommes-nous ? Pour quel endroitpartons-nous ?

– Vous ne savez pas où vous êtes ? Ni ce que c’est quececi ?

– Pas le moins du monde ! Qu’est-ce que ce boucan et cebalancement ?

– Quelle bonne farce ! Par exemple, c’est une merveilleusefarce ! Vous ne savez pas où nous allons ? Nous partonspour l’Amérique, et vous avez bien failli rater le départ. Vousêtes à bord du vaisseau amiral, avec le Prince. Soyez tranquille,vous assisterez à tout. Quoi qu’il se passe, vous pouvez parier àcoup sûr que le Vaterland y sera !

– Comment ! nous partons pour l’Amérique ? Comme vousle dites.

– Dans un ballon dirigeable ?

– Et dans quoi voudriez-vous… ?

– Oh !… moi ! En Amérique, dans un dirigeable !…Après ce maudit ballon !… Mais, pas du tout ! Je ne veuxpas partir. J’en ai assez, je veux marcher sur mes jambes !Laissez-moi sortir !

Et il fit mine de courir vers la porte. L’officier l’arrêta d’ungeste, saisit une bride, souleva un panneau dans la paroicapitonnée, et découvrit une fenêtre :

– Voyez !

Côte à côte, ils regardèrent au-dehors.

– Cristi ! Nous montons ! – s’écria Bert.

– Nous montons… et à toute vitesse.

Doucement, sans secousse, ils s’élevaient dans l’air etavançaient obliquement au-dessus du parc aéronautique qui sedécoupait en bas, vaguement géométrique, pailleté à intervallesréguliers de lignes lumineuses, comme des vers luisants. Dans lalongue suite de dirigeables gris, un, trou noir marquait la placeque venait de quitter le Vaterland. Tout auprès un secondmonstre commença de s’élever doucement à son tour, libre de tousliens ; puis un troisième et un quatrième, avec une exactitudemerveilleuse.

– Trop tard, monsieur Butteridge ! – remarqua narquoisementl’officier. – Nous sommes en route. Je conviens que la surprise n’arien de très agréable pour vous, mais que voulez-vous ? LePrince a commandé qu’on vous emmène.

– Voyons, – fit Bert, – est-ce que je deviendrais fou ?Qu’est-ce qui se passe et où allons-nous ?

– Il se passe, monsieur Butteridge, – articula lentement soninterlocuteur, soucieux d’être explicite, – que vous êtes dans undirigeable portant le pavillon du prince Karl Albert, commandant enchef de la flotte aérienne allemande qui part pour l’Amérique, afinde porter à ce peuple fougueux quelques arguments probants. Notreseule inquiétude, c’était votre invention. Mais vous voici desnôtres, à présent.

– Heu !… Êtes-vous allemand ? – questionna Bert.

– Lieutenant Kurt, luft-lieutenant Kurt, à votre service.

– Mais vous parlez parfaitement anglais.

– Ma mère était anglaise, j’ai été au collège en Angleterre,j’avais obtenu une bourse Cecil Rhodes pour étudier à vosuniversités, mais Allemand absolument, malgré cela, et attaché,pour l’instant, monsieur Butteridge, à votre personne. Vous êtesencore tout étourdi de votre chute… Ce ne sera rien, vraiment. Onva vous acheter votre machine. Asseyez-vous et prenez la chosepaisiblement. Vous saurez bientôt où vous en êtes.

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