La Guerre dans les airs

7.

La présence de ces deux hommes transformait réellement le petitunivers de Bert. Un rideau était abaissé devant l’immense etterrible désolation dont le spectacle l’avait accablé. Son monde secomposait de trois habitants, un monde minuscule qui suffisait àlui emplir la tête de plans, de spéculations et de combinaisonsastucieuses. Que complotaient ces deux personnages ? Quepensaient-ils de lui ? Quelles machinationsprojetaient-ils ? Cent questions de ce genre s’enchevêtraientdans son esprit, pendant qu’il se démenait laborieusement autour del’aéroplane asiatique. Les idées lui montaient au cerveau, commedes bulles dans un verre d’eau de Seltz.

– Ah ! là là ! – fit-il soudain.

Il venait de songer, comme à un aspect spécial de l’injusticeirrationnelle du destin, que ces deux hommes vivaient, alors queKurt était mort. Tout l’équipage du Hohenzollern avait péri, et cesdeux-là, réfugiés dans la cabine d’avant, avaient échappé aux coupsde feu et à la noyade.

– Il prétend sans doute qu’il doit ça à sa fameuse étoile, –marmonna Bert, envahi d’une irrésistible exaspération.

Il se releva et fit face aux deux hommes, qui, debout, côte àcôte, le regardaient.

– C’est pas la peine de me surveiller comme ça. Vous megênez.

Constatant qu’ils ne bougeaient pas, il fit deux pas vers eux,tenant à la main une forte clef à dévisser. À ce moment, ilremarqua que le Prince était réellement un quidam formidablementdécouplé et d’aspect suprêmement impassible. Mais néanmoins, ilrépéta, en indiquant les arbres :

– Il y a un type mort, là.

L’officier au profil d’oiseau intervint avec quelques mots enallemand.

– Un mort, là, – insista Bert, s’adressant à lui.

Ce ne fut pas sans difficulté qu’il leur persuada d’aller voirle cadavre du Chinois, et encore lui fallut-il les y conduire.Alors Bert comprit très clairement qu’ils entendaient que lui,simple mortel, au-dessous du rang d’officier, eût seul le privilègeindivis de faire disparaître le cadavre en le traînant jusqu’aufleuve. Finalement, après une gesticulation courroucée, l’Allemandau profil d’oiseau condescendit à accorder son aide. À eux deux,ils traînèrent, sous les arbres, le cadavre boursouflé del’Asiatique, et, après quelques haltes, – car il glissait mal surle sol raboteux, – ils le jetèrent dans le courant.

Bert, les bras endoloris, et dans un état de sourde rébellion,vint reprendre ses savantes investigations autour del’aéroplane.

– Quel toupet infernal ! On croirait que je suis un deleurs stupides esclaves prussiens !… Imbéciles bouffisd’orgueil !

Ayant suffisamment pesté, il spécula sur ce qui adviendrait,lorsque la machine volante serait réparée, si elle étaitréparable.

Les deux Allemands s’éloignèrent. Comme résultat de saméditation, Bert réendossa gilet et veston, dévissa plusieursécrous, qu’il empocha avec les outils ; il se rendit auprès dumonoplan brisé, subtilisa la trousse et la cacha dans unecépée.

– Comme ça, je suis tranquille, – dit-il, ces précautionsprises.

Comme il rejoignait la machine, au bord de l’eau, le Prince etson compagnon reparurent. Après un coup d’œil à Bert, qui affectaitd’être fort absorbé par son ouvrage, le Prince se dirigea vers lapointe de l’île, et, les bras croisés, il se tint sur lepromontoire, contemplant le torrent des eaux et méditantprofondément.

L’officier au profil d’oiseau revint vers Bert.

– Partez mancher ! – ordonna-t-il avec un gestesignificatif.

Bert partit manger, en effet, et quand il arriva au kiosque, ilconstata que toutes les provisions avaient disparu, sauf une rationde bœuf conservé et trois biscuits. Il demeura bouche bée. Avec unronron caressant, le petit chat surgit de derrière le comptoir.

– Tiens ! te voilà, minou ! En bien ! où est tonlait ?

Une véritable fureur s’empara de Bert. Prenant l’assiette d’unemain et les biscuits de l’autre, il se mit à la recherche duPrince, proférant, les dents serrées, des phrases furibondes àpropos des victuailles, et de son propre tube digestif. Il approchasans saluer.

– Dites donc ? – interpella-t-il, indigné. – Qu’est-ce queça signifie, cette histoire-là ?

Une fâcheuse altercation s’ensuivit. Bert exposa en anglais lathéorie de Bun Hill concernant les rapports entre la nourriture etle travail ; l’officier répliqua par des considérations surl’idée de la discipline chez certaines nations. Le Prince, jugeantexactement de l’humeur de Bert et de son physique, se décida tout àcoup pour la manière forte. Il empoigna Bert par l’épaule, et lesecoua vigoureusement, accompagnant ses gourmades d’objurgationsirritées et le repoussant avec violence en arrière. Dans les pochesde Bert, les écrous et les outils s’entrechoquèrent bruyamment. LePrince le houspillait comme un simple soldat allemand. Bert recula,blême et décontenancé, mais résolu à toutes les conséquences.D’après son code d’honneur faubourien, un devoir s’imposait,inéluctable : faire le coup de poing avec son adversaire.

– J’aurai ta peau ! – grommela-t-il, haletant, etboutonnant son veston.

– Eh ! bien ! foulez-fous filer, maintenant ?cria le Prince, mais, apercevant l’étincelle héroïque du regard deBert, il tira son épée.

L’officier au profil d’oiseau s’interposa, et, montrant le ciel,il adressa au Prince quelques brèves phrases en allemand.

Tout au loin, dans le sud-ouest, un dirigeable japonais apparut,volant droit sur eux. Le conflit prit fin. Le Prince fut le premierà saisir le danger de la situation et à battre en retraite. Tousles trois se faufilèrent, comme des lapins, parmi les arbres,cherchant un abri propice, jusqu’à ce qu’ils fussent parvenus dansun creux plein de hautes herbes que surplombait une roche. Ils s’yaccroupirent à quelques pas les uns des autres. Ils y demeurèrentlongtemps, enfoncés jusqu’au cou dans l’herbe et épiant, entre lesbranches, la marche du dirigeable. Bert avait laissé tomber saration de bœuf, mais il retrouva les biscuits dans sa main et lesmangea tranquillement. Le monstrueux vaisseau aérien passa presqueau-dessus de leur tête, continua sa course vers la ville etdisparut derrière les usines. Pendant que l’ennemi était proche,nul n’avait soufflé mot, mais ils reprirent bientôt leur disputequi ne dégénéra pas immédiatement en violences, grâce à ce faitqu’aucun des deux partis ne démêlait ce que disait l’autre.

C’est Bert qui réentama la controverse, et il la continua sansse soucier de ce que ses auditeurs comprenaient ou ne comprenaientpas. Mais le ton de sa voix devait exprimer suffisamment sesintentions désobligeantes.

– Si vous voulez que je répare la machine, – débuta-t-il, – vousferez bien d’y regarder à deux fois avant de me toucher.

Ils affectèrent de ne pas entendre. Il répéta. Alors, ildéveloppa son idée et le feu de l’éloquence l’embrasa.

– Si vous vous imaginez que je suis un type qui se laisseraétriller sans rien dire, comme vos conscrits, vous vous fourrezjoliment le doigt dans l’œil, messeigneurs… Ah ! mais, jecommence à en avoir assez, de vous autres et de vos simagrées. Jesais ce que vous valez, à présent, vous tous, et votre guerre, etvotre Empire, et votre trompe-l’œil… De la camelote, tout ça, duchiqué ! C’est vous autres, les Allemands, qui êtes cause detout le gâchis, en Europe, et tout ça pourquoi ? Pour vossingeries stupides ! Tout simplement parce que vous avez debeaux uniformes et des drapeaux !… Et moi ? Croyez-vousque je tenais beaucoup à entrer en relations avec vous ? Je memoquais pas mal de vos projets !… Vous me mettez la maindessus ; VOUS me séquestrez, pas autre chose, et me voilà à jene sais combien de lieues de chez moi et de tout… Votre mauditeflotte est mise en pièces… Et vous avez le toupet de continuer vosgrimaces… À d’autres ! avec moi, ça ne prendra pas !…Regardez donc tout le mal que vous avez fait… Rappelez-vous commevous avez saccagé New York… les gens que vous avez massacrés,toutes les richesses que vous avez gâchées… Ça ne vous suffit doncpas ?

– Dummer Kerl ! – fit tout à coup l’officier aubec d’oiseau, sur un ton de colère contenue et avec un éclairmauvais dans le regard. – Esel ! Âne bâté !

– Des injures ? Ça ne me surprend pas ! Mais lequeldes deux, de lui ou de moi, est l’âne bâté ? Quand j’étaisgosse, je lisais des récits d’aventures et je voulais devenir ungrand capitaine et je rêvais d’un tas de balivernes du même acabit.Mais lui, qu’est-ce qu’il a dans sa caboche ?… Des balivernessur Napoléon, sur Alexandre, sur sa glorieuse dynastie, sur SonAltesse, sur Dieu, sur le roi David et tout le tralala !N’importe qui, à la place de votre âne bâté de Prince fagotéd’oripeaux, aurait pu prévoir ce qui est arrivé.

L’officier à profil d’oiseau lui cria de se taire, et entama uneconversation avec le Prince.

– Je suis citoyen britannique ! – continua Bert, obstiné. –Vous n’êtes pas obligés d’écouter, mais rien ne me force à metaire.

Et il poursuivit sa dissertation sur l’impérialisme, lemilitarisme et la politique internationale. Mais la façon dont ilsconversaient entre eux, sans se soucier de lui, le déconcertaquelque peu, et il se contenta bientôt de répéter des épithètesinjurieuses, anciennes et nouvelles. Puis, soudain, il se souvintde son grief essentiel.

– En tout cas, dites donc, hé là ! C’est pas tout ça, maisoù avez-vous fourré les victuailles qui étaient dans lekiosque ?… Voilà où je voulais en venir et ce que je veuxsavoir. Où les avez-vous fourrées ?

Il se tut. Les autres devisaient toujours paisiblement. Ilrépéta sa question. Ils s’obstinaient à ne point faire la moindreattention à lui. Pour la troisième fois, et sur un tonintolérablement agressif, il réitéra son insolente question. Unsilence gros de danger suivit. Pendant quelques secondes, les troishommes s’observèrent, les sourcils froncés. Le Prince fixa sur Bertson regard altier et Bert détourna la tête. Lentement, alors, lePrince se dressa sur ses jambes ; l’officier au profild’oiseau se remit malaisément sur pied. Bert resta accroupi.

– Fous, maintenant, soyez calme, – ordonna le Prince.

Bert comprit que ce n’était plus le moment d’être éloquent. Lesdeux Allemands le tenaient sous la menace de leurs yeux haineux.Pendant un moment Bert vit la mort proche.

Puis, le prince tourna les talons, et les deux hommes partirentdans la direction de l’aéroplane.

– Sapristi ! – fit Bert, en ajoutant tout bas uneexpression plus énergique. Il demeura immobile trois ou quatreminutes encore, puis, se relevant d’un bond, il alla prendre, dansles orties, où il l’avait caché, le fusil de l’aviateurchinois.

Dès cet instant, il ne fallut plus prétendre que Bert fût auxordres du Prince ni qu’il eût l’intention d’achever la réparationde l’aéroplane. Les deux Allemands prirent possession de l’appareilet se mirent à l’œuvre. Avec son arme nouvelle, Bert s’éloigna duvoisinage, et, dans un endroit qu’il jugea propice, il s’installapour en étudier le maniement. C’était une carabine courte, àgrosses cartouches, et il n’en manquait qu’une ou deux dans lemagasin. Bert retira soigneusement celles qui restaient, manœuvrala détente et tout le mécanisme, jusqu’à ce qu’il fût sûr de savoirs’en servir. Avec le même soin, il remit les cartouches en place.Cela fait, il se souvint qu’il avait faim et, le fusil sous lebras, il partit en reconnaissance du côté du kiosque.

Il eut assez de bon sens pour se rendre compte qu’il ne devaitpas se montrer avec le fusil au Prince et à son compagnon. Tantqu’ils le croiraient sans armes, ils le laisseraient tranquille,mais on ne pouvait présumer de ce que ferait le personnagenapoléonien s’il le voyait armé. Il n’alla pas non plus de leurcôté, parce qu’il sentait bouillonner au-dedans de lui untrop-plein de rage et d’appréhension, et qu’il éprouvait le besoinde tirer sur ces deux hommes. Il voulait tirer dessus, et se disaiten même temps que les tuer ainsi serait une action horrible. Lesdeux aspects incompatibles du primitif et de l’homme civiliséluttaient en lui.

Près du kiosque, le petit chat reparut, réclamant, de touteévidence, sa ration de lait. Ce miaulement aggrava considérablementla colère d’homme affamé de Bert, qui se mit à fouiller dans tousles coins du kiosque, tout en parlant seul à haute voix. Bientôt,il s’arrêta et déclama de véhémentes injures. Il discourut sur laguerre, sur l’orgueil, sur l’impérialisme.

– Tout autre Prince que lui aurait voulu périr avec ses hommeset son navire ! – criait-il.

Les deux Allemands, de temps à autre, percevaient ces éclats devoix, au milieu du grondement des eaux. Leurs regards secroisaient, et ils souriaient.

Bert songea un instant à s’asseoir dans le kiosque pour lesattendre, mais il réfléchit que ce serait les avoir trop près. Sibien qu’il décida de se rendre à la pointe de Luna Island, afin d’yexaminer en paix la situation.

Cette situation, tout d’abord, lui avait paru relativementsimple, mais à mesure qu’il la retournait dans son esprit, elleoffrait des éventualités multiples.

Chacun de ces deux hommes portait une épée… Avaient-ils aussides revolvers ?

S’il les tuait tous les deux, il ne découvrirait peut-êtrejamais l’endroit où ils avaient caché les vivres.

Jusqu’ici, il s’était promené avec son fusil sous le bras, pleind’un sentiment d’altière sécurité, mais qu’arriverait-il s’ilsvoyaient l’arme et décidaient de lui tendre des embûches. L’île dela Chèvre n’était que roches, fourrés, buissons, monticules etravins… Pourquoi n’irait-il pas les tuer tout de suite ?

– Ah non, je ne peux pas ! – dit Bert, écartant cette idée.– Sur le moment de la colère, oui !… Mais pas desang-froid.

C’était une faute de rester éloigné d’eux, comme il le compritsoudain. Il fallait ne pas les perdre de vue, les épier à leur insuet les suivre. De cette façon, il serait au courant de leurs faitset gestes, il saurait s’ils avaient chacun un revolver et en quelendroit ils cachaient les vivres, enfin il serait mieux à même dedéterminer leurs intentions à son égard. S’il ne les espionnaitpas, c’est eux bientôt qui se mettraient à sa recherche. Cetteconclusion lui parut si éminemment raisonnable qu’il se décidad’emblée à agir en conséquence.

Pensant à son accoutrement, il se défit de son faux col et de sacasquette blanche d’aéronaute, qui pouvaient le trahir, et les jetadans le fleuve, puis il releva le col de son veston pour qu’on nepût apercevoir le moindre fragment de sa chemise sale. Dans sespoches, les outils et les écrous avaient tendance à s’entrechoquerfâcheusement, mais il les disposa dans un autre ordre et lesenveloppa dans des lettres et dans son mouchoir. Enfin, avec laplus extrême circonspection et sans bruit, il se mit en route,restant à chaque pas aux aguets et aux écoutes.

À mesure qu’il approchait de ses antagonistes, des craquements,des soupirs et des han ! l’aidaient à se diriger. Enfin, illes découvrit, occupés à livrer une sorte de match de lutte avecl’aéroplane asiatique. Ils avaient retiré leur tunique, posé leurépée à terre, et ils s’acharnaient superbement à la besogne,s’efforçant apparemment de tourner le monoplan en senscontraire ; mais la longue queue prise dans les arbustes leurdonnait d’extrêmes difficultés.

En les apercevant, Bert s’aplatit sur le sol, rampa jusqu’à uncreux propice et demeura étendu là à contempler leurs efforts. Detemps à autre, pour passer le temps, il les visait tour à tour avecson arme. Le spectacle l’intéressait énormément, à tel point mêmeque parfois il fut sur le point de leur crier d’utilesconseils.

– Dès qu’ils auront achevé de tourner l’appareil, – se dit-il, –ils verront que les écrous et les outils manquent, et ils semettront à ma recherche, car ils en viendront tout naturellement àcette conclusion, que nul autre que moi ne peut les avoirsubtilisés.

Fallait-il cacher le fusil et essayer une transaction, enéchangeant les outils contre de la nourriture ? Mais ilcomprit qu’il serait incapable, à présent qu’il avait goûté à cetterassurante compagnie, de se séparer de son arme. Le petit chatsurgit tout à coup, lui prodigua mille caresses, lui léchant lafigure et lui mordillant l’oreille.

Au cours de la matinée, Bert observa, très loin dans le sud, unaéronat asiatique, se dirigeant vers l’est, mais les Allemands nele remarquèrent pas.

Le soleil arrivait au zénith. Enfin, la machine volante futentièrement tournée, bien en équilibre sur ses roues, et son avantface aux rapides. Les deux travailleurs essuyèrent leurs visagestrempés, réendossèrent leurs tuniques, bouclèrent leurs ceinturons,puis se parlèrent et se comportèrent comme des hommes qui secongratulent d’une matinée bien employée. Ensuite, le Prince entête, ils partirent d’un bon pas dans la direction du kiosque. Bertse hâta de les suivre, mais il lui fut impossible d’avancer assezvite et assez subrepticement pour surprendre en quel endroit ilsavaient caché les vivres. Quand il fut assez près, il les vitassis, le dos appuyé contre le kiosque, une assiette sur lesgenoux, avec, entre eux, une boîte de bœuf conservé et une platéede biscuits. Ils paraissaient de fort belle humeur, et une foismême le Prince éclata de rire.

À cette vision de leur repas, Bert oublia tous ses plans. Lafaim l’emporta. Il se dressa tout à coup devant eux, à une distanced’environ trente pas, le fusil en arrêt.

– Les mains en l’air ! – cria-t-il, d’une voix rauque etféroce.

Après une courte hésitation, deux paires de bras se levèrent.Les Allemands ne s’attendaient certes pas à l’intervention d’unfusil.

– Debout ! – commanda Bert. – Jetez lesfourchettes !

Ils obéirent.

– Et maintenant ? se demanda Bert. Il n’y a plus qu’à lesfaire décamper, et il reprit, à haute voix : – Par file à droite,marche !

Le Prince obéit avec une remarquable alacrité.

Parvenu à l’extrémité de la clairière, il prononça quelques motsrapides, et, avec un manque absolu de dignité, son aide de camp etlui déguerpirent à toutes jambes.

Une soudaine arrière-pensée exaspéra Bert contre lui-même.

– Bigre ! – s’écria-t-il, avec un sentiment d’infinievexation. – Quel idiot je suis ! J’aurais dû leur faire rendreleurs épées… Hé ! là-bas ! demi-tour !

Mais les Allemands étaient déjà hors de vue, et s’abritaientsans doute derrière les arbres. Bert n’eut d’autre consolation quede s’invectiver et de s’abandonner aux plus énergiquesimprécations. Puis, il marcha jusqu’au kiosque, examinantsuperficiellement la possibilité d’être attaqué de flanc. Aprèsavoir placé son fusil à portée de sa main, il se mit en devoir devider l’assiette abandonnée par le Prince, restant quelquessecondes aux écoutes entre chaque bouchée. Cette première rationachevée, il en donna les débris au chat ronronnant, et il entamaitla seconde ration, quand l’assiette se brisa dans sa main ! Ildemeura stupéfait, tandis que lentement, dans son esprit, ilrapprochait de ce miracle le fait qu’il avait entendu au mêmemoment une brève détonation dans le fourré. Il bondit sur sesjambes, empoigna son fusil d’une main et la boite de bœuf conservéde l’autre et, en contournant le kiosque, il s’enfuit à l’autreextrémité de la clairière. Au même instant, un bruit sec crépitadans le fourré, et pfuitt ! quelque chose siffla à sonoreille. Il n’arrêta sa course éperdue que lorsqu’il se jugea dansune forte position de défense, près de Luna Island, où, pantelant,il se terra, farouchement en alerte.

– Ils ont un revolver, après tout, – bredouillait-il, haletant.– En ont-ils chacun un ? Dans ce cas-là, sacrebleu, je seraisflambé… Et le minet, où est-il ?… Il se régale des restes debœuf, le petit brigand !

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