La Guerre dans les airs

2.

Les premières rencontres de la guerre aérienne furent sans doutedéterminées par le désir d’appliquer l’ancienne tactique navale,qui consistait à reconnaître les positions de la flotte ennemie età l’anéantir. Il y eut ainsi, tout d’abord, la bataille del’Oberland bernois ; les dirigeables italiens et français, enroute pour prendre de flanc le parc aérostatique de Franconie,furent assaillis par l’escadre suisse d’expérimentation, au secoursde laquelle arrivèrent, plus tard, dans la journée, les dirigeablesgermaniques. Puis ce fut la lutte rapide entre les aéroplanesanglais du type Winterhouse-Dunne et trois infortunés aéronatsallemands. Ensuite se place, dans le nord de l’Inde, l’attaque del’établissement aéronautique anglo-hindou, qui se défendit pendanttrois jours contre des forces écrasantes, et fut finalement détruitde fond en comble.

Simultanément, commença la formidable lutte entre les Allemandset les Asiatiques, lutte connue sous le nom de Bataille du Niagara(à cause de l’objet qu’avaient en vue les Jaunes dans cetteaffaire) et qui se transforma en un conflit épars sur la surfaced’un continent. Les aéronats allemands qui purent échapperatterrirent et se rendirent aux Américains, qui les garnirent d’unnouvel équipage. Finalement ce ne fut plus qu’une séried’engagements héroïques et impitoyables entre, d’une part lesAméricains sauvagement résolus à exterminer leurs ennemis, et,d’autre part, les envahisseurs jaunes campés sur le rivage duPacifique et appuyés par une flotte navale immense qui lesrenforçait sans cesse. Dès le début, les hostilités furent menéesavec une âpreté implacable : pas de quartier et pas de prisonniers.Avec une féroce et magnifique énergie, les Américainsconstruisirent des aéronefs qu’ils lancèrent l’un après l’autredans la lutte et qui périrent dans leur choc contre les multitudesasiatiques. Toute autre activité fut subordonnée à cette guerre et,par elle, bientôt la population entière vécut et mourut. Mais onverra que la race blanche ne tarda pas à trouver dans l’aéroplanede Butteridge un engin qui put se mesurer contre les machinesvolantes des Asiatiques.

L’invasion jaune effaça complètement le conflitgermano-américain, qui, à ce moment, disparaît de l’histoire, aprèsavoir été, à lui seul, suffisamment tragique. À la nouvelle de ladestruction de New York, l’Amérique s’était levée d’un seul élan,résolue à endurer mille morts plutôt que de se soumettre àl’Allemagne. Obstinément décidés à briser toute résistance, etexécutant les plans conçus par le Prince, les Allemands s’étaientemparés de la ville de Niagara et de ses gigantesques stationsd’énergie électrique, avaient chassé tous les habitants et fait levide aux environs jusqu’à Buffalo. Aussitôt qu’ils furent informésde la déclaration de guerre de la France et de l’Angleterre, ilsravagèrent aussi le territoire canadien dans un rayon de plus dedix milles. Puis, en un va-et-vient continu, comme des abeillesquittant et rejoignant la ruche, ils transportèrent sur la côte del’Est les hommes et le matériel, que leur flotte navale avaitamenés d’Europe.

C’est alors que survinrent les forces asiatiques, et c’est danscette attaque de la base allemande d’opérations que l’Orient etl’Occident se heurtèrent pour la première fois et qu’on putentrevoir l’issue finale.

Une des singularités nombreuses de cette lutte aérienneprovenait du secret profond dans lequel les escadres d’aéronefsavaient été préparées. Chaque puissance n’avait eu vent que de lafaçon la plus vague des projets de ses rivales, et la nécessité dusecret réduisait au strict minimum les manœuvres d’expérimentation.Les constructeurs de dirigeables et d’aéroplanes n’avaient jamaissu clairement quels antagonistes leurs machines auraient àaffronter, et la plupart n’avaient même pas imaginé qu’ellesauraient jamais à combattre dans les airs : ils les aménageaientuniquement pour le lancement de bombes explosives sur le sol. Ainsiavaient procédé les Allemands, et la flotte de Franconie nepossédait comme arme offensive que son canon-revolver installé à laproue. Ce ne fut qu’après la bataille de New York qu’on distribuaaux hommes de courtes carabines à balles explosives. Théoriquement,les DrachenfIieger constituaient la véritable armeoffensive ; ils étaient, déclarait-on, les torpilleurs del’air, et l’aéronaute avait pour tactique de fondre surl’adversaire et de le cribler de bombes au passage. Mais, enpratique, ces appareils étaient d’une instabilité déplorable, et,dans les engagements qui eurent lieu, un tiers à peine réussirent àregagner le dirigeable auquel ils étaient attachés. Le reste futdémoli par les projectiles ennemis, ou alla s’abîmer à terre.

Dans la flotte alliée des Chinois et des Japonais, la mêmedistinction était faite entre les dirigeables et les machines decombat plus lourdes que l’air ; les uns et les autresappartenaient à un type entièrement différent des modèlesoccidentaux, et presque tous les détails étaient dus à l’inventiondes ingénieurs asiatiques, – ce qui témoigne éloquemment de lavigueur avec laquelle ces grands peuples s’assimilèrent etperfectionnèrent les méthodes scientifiques européennes. Au nombrede ces ingénieurs, l’un des plus remarquables était Mohini K.Chatterjee, un condamné politique jadis attaché au parcaéronautique de Lahore.

Le dirigeable allemand avait la forme d’un poisson, avec unavant arrondi. L’aéronat asiatique avait aussi la forme d’unpoisson, mais se rapprochant plutôt de la raie ou de la sole que dela morue ou du goujon ; le dessous en était large et plat,sans aucune fenêtre ni ouverture, excepté dans la ligne centrale.Les cabines occupaient l’axe, avec une sorte de pont-promenadeau-dessus, et les alvéoles de gonflement et les ballonnetsdonnaient à l’appareil l’aspect d’une tente cerclée, comme celledes romanichels, mais plus écrasée. L’aéronat allemand étaitessentiellement un ballon dirigeable plus léger que l’air.L’aéronat asiatique, à peine plus léger que l’air, glissait àtravers l’atmosphère avec une vélocité beaucoup plus grande, maisavec une stabilité infiniment moindre ; à la proue et à lapoupe deux canons, – celui d’arrière de plus fort calibre, –lançaient des projectiles inflammables. En outre, de chaque côté,des sortes de casemates abritaient des fusiliers. Si réduit que fûtcet armement en comparaison de celui de la plus petite canonnière,il était suffisant cependant pour donner à ces engins une réellesupériorité sur les dirigeables monstres des Allemands. Grâce àleur vitesse plus grande, ils manœuvraient de façon à se placerderrière leur adversaire ou au-dessus. Ils s’aventuraient même àpasser impétueusement dessous, en évitant de se trouverimmédiatement sous les soutes à munitions, puis, une fois cetexploit accompli, ils pointaient leur canon d’arrière sur l’ennemiet envoyaient dans ses compartiments à gaz des obus d’oxygène etdes bombes enflammées.

La force des Asiatiques ne provenait pas tellement de leursdirigeables que de leurs aéroplanes. À part la machine deButteridge, ceux-ci furent à coup sûr les plus redoutables engins «plus lourds que l’air » qu’on ait jamais connus. Ils avaient étéinventés par un artiste japonais, et différaient beaucoup duDrachenflieger allemand, qui procédait davantage ducerf-volant. Les aéroplanes asiatiques étaient munis d’aileslatérales flexibles curieusement incurvées, pareilles à celles dupapillon, infléchies, faites d’une substance ressemblant à ducelluloïd et recouvertes d’une soie aux couleurs brillantes. Ils seterminaient par une longue queue d’oiseau-mouche. Par les cramponsqui garnissaient l’extrémité des ailes, comme des griffes dechauve-souris, la machine volante pouvait harponner et déchirer lesparois des dirigeables. L’aviateur s’installait entre les ailes,au-dessus d’un moteur transversal à explosion, qui ne présentaitaucune différence essentielle avec les moteurs employés à cetteépoque pour les motocyclettes légères. Au-dessous était adaptée unegrande hélice. À cheval sur une selle, comme dans le monoplanButteridge, le pilote portait, en plus de sa carabine à ballesexplosibles, un large sabre à double tranchant. Aucun de cesdétails, aucune de ces disparités, n’étaient clairement connus deceux qui se mesurèrent dans la monstrueuse bataille qui se livraau-dessus des grands lacs d’Amérique.

Chaque parti engagea la lutte contre il ne savait quoi, dans desconditions entièrement nouvelles et avec des appareils qui, même enrestant sur la défensive, pouvaient provoquer les surprises lesplus déconcertantes. Les plans d’actions combinées, les essais demanœuvres collectives étaient bouleversés dès le premier contact,comme cela s’était passé lors des rencontres de cuirassés au siècleprécédent. Chaque capitaine reprenait alors son action individuelleet agissait selon ses propres inspirations ; l’un voyait letriomphe dans ce que l’autre estimait un motif de fuite et dedésespoir.

La mêlée aérienne de Niagara fut une série de combatsparticuliers bien plutôt qu’une bataille régulière.

Pour le spectateur que fut Bert, elle se présenta comme unenchevêtrement d’incidents, quelques-uns formidables, d’autressecondaires. Il n’eut pas un instant l’impression d’une actiond’ensemble, d’un résultat décisif.

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