La Guerre dans les airs

8.

C’est ainsi que les hostilités débutèrent dans l’île de laChèvre. Elles durèrent une nuit et un jour, le plus long jour et laplus longue nuit de toute l’existence de Bert. Pendant tout cetemps, il lui fallut rester à l’affût, aux aguets, et en outredécider quel plan il adopterait. L’alternative se précisait àprésent : ou bien il tuerait ces hommes ou eux le tueraient. Leprix réservé au vainqueur consistait dans les vivres, d’abord, puisdans la machine volante et le douteux privilège de se risquer às’en servir. Si l’on échouait dans la tentative de s’envoler,c’était la mort certaine ; si l’on réussissait, on iraitaborder quelque part, de l’autre côté… Et Bert essaya de s’imagineren quel état il trouverait le monde, de l’autre côté. Toutes leséventualités se présentèrent : le désert sans ressources, desAméricains exaspérés, des Japonais, des Chinois, peut-être desPeaux-Rouges ! … Y avait-il encore des Peaux-Rouges ?

– Faudra prendre les choses comme elles viendront, – serésigna-t-il. – Pas moyen de sortir d’ici par un autre chemin.

Mais… N’entendait-il pas des voix ?… Il s’aperçut que sonattention s’égarait. Tous ses sens furent en alerte. Le grondementdes chutes déformait et confondait tous les bruits… bruits de pasprécipités et ralentis, bruits de voix qui deviennent des cris etdes vociférations.

– Imbécile de cataracte ! – maugréa Bert. – Y a-t-il riende plus bête que de tomber comme ça tout le temps.

– Bah ! à quoi bon s’en préoccuper ? Que faisaient lesAllemands ? Étaient-ils retournés à l’aéroplane ?

Ils ne pouvaient rien en faire, puisqu’il avait dans sa pochedes écrous indispensables, la clef à dévisser et d’autres outils.Oui, mais s’ils mettaient la main sur la seconde trousse dans lacépée ? Bien sûr, il l’avait soigneusement dissimulée, maiss’ils la trouvaient par hasard… On n’était jamais sûr. Il essaya dese rappeler exactement comment il avait caché les outils, de sepersuader qu’ils étaient introuvables, mais sa mémoire commença àlui jouer des tours.

– N’avait-il pas laissé dépasser le manche de la clef anglaise,qui scintillerait entre les troncs ?…

– Chut !… Qu’était-ce ? Quelqu’un remuait dans lesfourrés ? Le canon du fusil se dressa… Rien !… Qu’étaitdevenu le petit chat ?… Non, rien, pas même le petit chat… Desfantaisies de l’imagination.

Les Allemands s’apercevraient évidemment de l’absence des pièceset des outils et ils les chercheraient, c’était clair. Ne lestrouvant pas, ils en concluraient qu’il les avait gardés et ils lepourchasseraient. Il n’avait donc qu’à rester tranquillement àl’affût… Est-ce que rien ne clochait dans ce plan ? À leurtour, ne subtiliseraient-ils pas certaines pièces détachables et nelui tendraient-ils pas un piège ? Non, ils ne feraient pascela, parce qu’ils étaient deux contre un. Ils ne redoutaientcertainement pas de le voir s’échapper en aéroplane ; ilsn’avaient non plus aucune bonne raison de supposer qu’ils’approcherait de l’appareil, et par conséquent ils ne feraientrien pour l’endommager et le mettre hors d’usage. Tout cela,conclut-il, était certain. Mais s’ils l’attendaient à l’affût auxalentours du kiosque, quand il viendrait auxapprovisionnements ? C’était peu probable : ils savaient eneffet qu’il avait emporté avec lui cette grande boite de bœufconservé, qui lui durerait bien plusieurs jours s’il en usait avecmodération… Autre chose : au lieu de l’attaquer, ils n’avaient qu’àcompter sur la fatigue…

Il se dressa en sursaut, apercevant pour la première fois ledanger de sa situation : il pourrait s’endormir !

Dix minutes de la suggestion que comportait cette idée, et il serendit compte qu’il s’assoupissait.

Il se frotta les yeux, manipula son arme… Jamais encore, iln’avait remarqué l’effet soporifique que produisait le soleil etl’air d’Amérique, ni combien endormant et berceur était leronflement assourdissant du Niagara… Jusqu’ici, pourtant, tout celaavait paru fort stimulant.

Si seulement il n’avait pas mangé autant et aussi vite, il ne sesentirait pas si alourdi… Les végétariens éprouvent-ils ceslourdeurs ?…

Il dut à nouveau secouer sa torpeur croissante.

S’il ne faisait pas immédiatement quelque chose, ils’endormirait, et, s’il dormait, il y avait dix à parier contre unqu’ils le découvriraient en train de ronfler et en finiraientaussitôt avec lui. À rester immobile et muet, il dormirait, ildormirait immanquablement ; mieux valait donc courir tout desuite les risques de l’attaque… Quoi qu’il fît, c’est finalement lesommeil qui l’emporterait, puisque, sur ce point, ses ennemisavaient l’avantage : quand l’un d’eux reposerait, l’autre ferait leguet ; quand l’un se livrerait à certaines manœuvres, l’autreresterait à l’affût, prêt à tirer.

Là-dessus, il songea aux embuscades et aux subterfugespossibles. Quel idiot il avait été de jeter sa casquette, alorsqu’elle lui aurait été si précieuse, accrochée sur un bâton,spécialement la nuit !

Il éprouva une grande soif, qu’il calma en suçant un petitcaillou. Puis ce fut le besoin de sommeil qui revint…

De toute évidence, il lui fallait attaquer.

Comme beaucoup d’illustres généraux avant lui, il constata queses bagages – c’est-à-dire la boite de fer-blanc qui contenait lebœuf conservé – constituaient un sérieux obstacle à la mobilité deses mouvements. Il décida finalement de fourrer le contenu à mêmedans sa poche et de se débarrasser du contenant. Ce n’étaitpeut-être pas un arrangement idéal, mais en campagne il faut savoirfaire des sacrifices. Il se mit en marche et franchit presque enrampant une dizaine de mètres…

L’après-midi était parfaitement calme, et le mugissement de lacataracte faisait ressortir comme en relief cette immense paix. EtBert s’efforçait de comploter la mort de deux êtres humains quivalaient mieux que lui, pendant qu’eux-mêmes combinaient unsemblable projet à son égard. Que machinaient-ils, derrière cesilence ?

S’il se trouvait soudain face à face avec eux ? S’il tiraitet les manquait ?…

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