La Guerre dans les airs

2.

Il faudrait avoir le cœur bien endurci pour renoncer à toutedistraction en ce monde. La Pentecôte arrivait comme une agréableéclaircie dans les complications commerciales de Grubb et deSmallways. Encouragés par le résultat pratique des négociations deBert avec son frère, et par le fait que la moitié des machines delouage étaient sorties jusqu’au lundi, ils décidèrent de sacrifierles quelques locations possibles du dimanche et de consacrer cettejournée au délassement dont ils avaient tant besoin, de s’offrir,en un mot, une partie de plaisir où l’on ne se refuserait rien. Ilsreviendraient frais et dispos pour s’attaquer de nouveau au tracasdes affaires et aux réparations du lundi : car on ne fait rien debon si l’on est éreinté et déprimé. Comme ils avaient dans leursconnaissances deux jeunes personnes, Miss Flossie Bright et MissEdna Bunthorne, demoiselles de magasin à Clapham, il fut convenuqu’ils feraient à quatre une joyeuse partie de campagne, etqu’après un pique-nique on passerait indolemment l’après-midi sousles arbres et dans les fougères des bois situés entre Ashford etMaidstone.

Miss Bright savait monter à bicyclette et on lui trouva unemachine, non pas dans le stock de louage, mais en lui adjugeant lemodèle exposé pour la vente. Miss Bunthorne, que Bert affectionnaitparticulièrement, ne connaissait rien au sport cycliste ;aussi, et non sans difficulté, Bert s’arrangea-t-il pour louer unevoiturette d’osier dans une importante maison de Clapham. Sur leurtrente et un et la cigarette aux lèvres, les jeunes gens partirentpour le lieu du rendez-vous, Grubb guidant d’une main experte labicyclette de sa dame, et Bert roulant sur sa moto, tous deuxdonnant l’exemple de la façon dont une indomptable crânerie peuttriompher d’une réputation d’insolvabilité. Comme ils passaient,leur propriétaire, le boucher, s’exclama : « Sapristi ! » etd’une voix furibonde, il leur lança dans le dos cette menace :

– Je vous rattraperai bien !

Ils s’en moquaient !

Le temps était beau, et, bien qu’ils fussent partis avant neufheures, il y avait déjà sur les routes une circulation intense. Cesjournées de vacances font toujours sortir les gens et les véhiculesles plus baroques : jeunes hommes et jeunes femmes sur bécanes etmotocyclettes, tricars, coupés électriques, automobiles de coursedélabrées et montées sur d’énormes pneumatiques, automobilesgyroscopiques courant sur deux roues, à la façon d’une bicyclette,au milieu des voitures démodées à quatre roues. Une fois même, onrencontra une charrette attelée d’un cheval et une autre fois unadolescent à califourchon sur un destrier noir, en butte aux lazzisdes passants. Dans les airs, on apercevait plusieurs dirigeables,et aussi des sphériques. Après les mornes anxiétés de la boutique,ce spectacle était extrêmement intéressant et divertissant. Ednaportait un chapeau de paille brune orné de coquelicots, qui luiallait admirablement, et elle trônait comme une reine dans lavoiturette que la moto, vieille de huit ans, remorquait aussiallègrement qu’une machine dernier cri.

Peu importaient à M. Bert Smallways les affiches queplacardaient les journaux :

L’ALLEMAGNE DÉNONCE LA DOCTRINE DE MONROE

ATTITUDE AMBIGUË DU JAPON

QUE FERA L’ANGLETERRE ?

EST-CE LA GUERRE ?

Ce genre d’information devenait chose courante et, les jours devacances, il était courant aussi de n’en faire aucun cas. Ensemaine, à l’heure qui suit le repas de midi, peut-êtreconsentait-on à s’intéresser au sort de l’Empire et à la politiqueinternationale. Mais, par un dimanche ensoleillé, en compagnied’une jolie fille, et poursuivi par des cyclistes envieuxs’efforçant de vous dépasser, comment s’occuperait-on d’unjournal ? Nos jeunes gens n’attachèrent non plus aucuneimportance aux indices d’activité militaire qu’ils surprenaient detemps en temps. Près de Maidstone, ils tombèrent sur une rangée deonze canons automobiles de construction spéciale, autour desquelsdes artilleurs affairés surveillaient avec des jumelles une sortede retranchement qu’on établissait sur la crête de la colline. Bertn’y prêta aucune attention.

– Qu’est-ce qui se passe ? questionna Edna.

– Oh !… des manœuvres.

– Mais je croyais qu’on les faisait à Pâques, observa Edna sansse tourmenter davantage.

La dernière grande guerre qu’avait soutenue l’Angleterre, laguerre contre les Boers, était oubliée, et le public avait perdul’habitude de la critique militaire experte.

Nos quatre jeunes gens firent joyeusement honneur aupique-nique, et ils furent heureux à la manière dont on connaissaitdéjà le bonheur au temps de Ninive. Tous avaient le teint animé etles yeux brillants, Grubb sut être amusant et presque spirituel etBert s’essaya à l’épigramme ; les haies étaient couvertes dechèvrefeuille et d’églantine, et là, au milieu des bois, leslointains coups de trompe et le brouhaha des véhicules de tousgenres qui passaient dans un nuage de poussière sur la grande routene semblaient pas plus réels probablement que les appels du cor aupays des elfes. Les deux couples riaient, bavardaient, cueillaientdes fleurs, se cajolaient et se mignotaient, luttaient et seroulaient sur l’herbe, et les jeunes filles fumèrent descigarettes. Entre autres sujets, ils abordèrent l’aéronautique, etdécidèrent qu’ils reviendraient tous, avant dix ans, dans lamachine volante de Bert, faire un pique-nique. Le mondeapparaissait plein d’amusantes perspectives, cet après-midi-là. Ilsse demandèrent ce que leurs grands-parents auraient pensé del’aviation.

Le soir, vers sept heures, on songea au retour, sans prévoiraucun désastre ; mais, sur le haut de la colline, entreWrotham et Kingsdown, le désastre survint.

Ils avaient monté la côte dans le demi-jour, car Bert désiraitaller aussi loin que possible avant d’allumer ses lanternes oud’essayer de les allumer, car le résultat semblait douteux. Aussi,ils « grillèrent » un grand nombre de cyclistes et une automobile àquatre roues, ancien modèle, immobilisée par un pneu dégonflé. Lapoussière avait envahi la trompe de Bert, de sorte que ses appelsavaient un son baroque et fort amusant. Pour le plaisir, et pour lagloire, il le produisait, ce son, à tout instant, et chaque foisEdna éclatait de rire dans la voiturette. L’allégresse qu’ilssemaient le long de la route affectait diversement, et selon leurstempéraments, les autres excursionnistes.

Edna remarqua bientôt un nuage de fumée bleuâtre et infecte quis’échappait d’entre les pieds de Bert, mais elle pensa que c’étaitun des symptômes concomitants de la traction mécanique et ne s’entourmenta pas ; mais tout à coup il jaillit une petite flammeà langue jaune.

– Bert ! – appela-t-elle, en un cri de terreur.

Bert avait serré les freins avec une telle soudaineté que lajeune fille se trouva lancée entre ses jambes au moment où ilmettait pied à terre. Elle alla se garer sur le bord de la route,tout en rajustant hâtivement son chapeau qui avait quelque peusouffert dans la collision.

– Pfu-u-u-itt, – siffla Bert entre ses dents.

Pendant quelques fatales secondes, il demeura là à regarderl’essence tomber goutte à goutte et s’enflammer en dégageant uneodeur de vernis qui brûle ; la flamme gagnait en force et enétendue. L’idée principale de Bert en cet instant était le regretde n’avoir pas, depuis au moins un an, vendu d’occasion sa machine,alors que tout le lui conseillait : idée excellente en son genre,mais qui ne lui offrait aucun secours immédiat. Il se tournavivement vers Edna.

– Du sable mouillé, vite !

En même temps, il poussait la machine vers le bas-côté, lacouchait à terre et cherchait des yeux un tas de sable mouillé. Lesflammes, croyant à une obligeante attention, s’empressèrent deprofiter de l’intermède.

Leur lueur devint plus éclatante et le crépuscule s’obscurcitautour d’elles.

La route, dans ce pays crayeux, était empierrée de silex, etassez mal pourvue de sable.

Edna accosta un cycliste corpulent et court.

– Il nous faut du sable, – supplia-t-elle, et elle ajouta : –Notre moto est en feu.

Le cycliste corpulent la regarda un instant d’un air ahuri,puis, poussant une exclamation encourageante, il se mit à ramasserla poussière de la route. Bert et Edna l’imitèrent aussitôt.D’autres cyclistes arrivèrent, descendirent de machine, firentcercle, et leurs figures, éclairées par la clarté dansante desflammes, exprimaient la satisfaction, l’intérêt, la curiosité.

– Du sable mouillé ! – répétait le gros cycliste engrattant à deux mains la route.

Un spectateur l’imita. Ils jetèrent quelques poignées de mouturede route sur les flammes, qui acceptèrent cet aliment avecenthousiasme.

Grubb survint, pédalant à toute force, et braillant des motsincompréhensibles. Il sauta à terre et lança sa bicyclette contrela haie :

– Ne jetez pas d’eau, – criait-il, – ne jetez pasd’eau !

Pour l’occasion, il s’improvisa capitaine. Les autres avec joierépétaient ce qu’il disait et imitaient ses actes.

– Ne jetez pas d’eau ! – s’égosillaient-ils en chœur, bienqu’il n’y eût pas trace d’eau dans les environs.

– Mais tapez donc dessus, tas de maladroits ! – commandaGrubb.

Prêchant d’exemple, il saisit la couverture de la voiturette (lacouverture de laine à rayures criardes qui préservait Bert du froiden hiver) et se mit à taper à tour de bras sur le pétrole enflammé.Pendant une merveilleuse minute, il parut réussir. Il éparpillaitsur la route de petites mares d’essence qui brûlaient, et quelquesspectateurs, gagnés par son ardeur, se joignirent à lui. Bertempoigna le coussin de la voiturette et tapa à son tour ;d’autres s’emparèrent du second coussin et de la seconde couverture– un tapis de sable – et tapèrent. Un jeune héros tira son vestonet en flagella vigoureusement les flammes. Les cris et les parolesfirent place à d’énergiques ahans accompagnant les coups quis’abattaient sur la machine. Derrière le rassemblement, laretardataire Flossie, apercevant le spectacle, s’écria, en éclatanten sanglots :

– Oh ! mon Dieu ! oh ! mon Dieu ! Ausecours ! Au feu !

L’automobile boiteuse les rejoignit et s’arrêta, consternée. Unhomme de haute taille, à cheveux gris, qui conduisait, endescendit, et, avec une intonation distinguée et une prononciationsoignée et claire, s’enquit :

– Pouvons-nous vous être de quelque secours ?

Il devenait évident que la couverture, le tapis de table, lescoussins et le veston s’imbibaient complètement de pétrole etprenaient feu. Le coussin, que brandissait Bert, tout à coup renditl’âme, et l’air fut plein de plumes voltigeantes, comme unetourmente de neige dans le calme du crépuscule.

Bert, qui s’agitait tout en sueur et couvert de poussière, futdésespéré de voir se briser son arme au moment où il croyait à lavictoire. Les flammes agonisaient sur le sol, avec des soubresautsépuisés, chaque fois que s’abattait sur elles un coup de massue.Mais Grubb s’était interrompu pour éteindre, en la trépignant, lacouverture qui brûlait, et les autres ralentissaient la lutte.Quelqu’un partit dans la direction de l’automobile.

– Hé là ! Hé là ! continuez donc ! – criait Bert.Lançant de côté ce qui restait du coussin, il retira prestement sonveston, et bondit à nouveau sur l’incendie en poussant unhurlement. Il trépigna si bien les décombres que bientôt desflammèches grimpèrent au long de ses bottines. Edna en le voyantainsi, comme un héros surgissant de la fournaise, pensa que le sortde l’homme était vraiment enviable !

Un spectateur reçut en pleine figure un sou brûlant échappé duveston. Alors Bert pensa aux papiers de ses poches et recula pouréteindre le vêtement. Un monsieur d’un certain âge, en redingote etchapeau haut de forme, s’approcha. Indignée par son aspecttranquille, Edna l’apostropha vivement :

– Voyons ! aidez donc ce jeune homme, au lieu de rester làà bâiller.

Un cri retentit : – La bâche !

Un cycliste vêtu d’un complet gris clair se dirigea délibérémentvers l’automobile et, s’adressant au chauffeur :

– Vous avez une bâche ? – demanda-t-il.

– Ou…i, – répondit le monsieur distingué. Oui, nous avons unebâche.

– Parfait ! donnez-la-moi vite ! – dit le cycliste enélevant la voix.

L’automobiliste, avec des gestes hésitants, à la manière d’unepersonne hypnotisée, atteignit une excellente et vaste bâche.

– Voilà ! – cria le cycliste à Grubb. – Attrapez-en unbout.

Tout le monde comprit qu’on allait essayer d’une nouvelleméthode. Des mains empressées s’emparèrent de la bâche de l’élégantautomobiliste. Les spectateurs s’écartèrent avec des murmuresapprobateurs. On étendit la toile comme un dais au-dessus de lamotocyclette, puis on l’abaissa.

Nous aurions dû faire cela tout de suite, expliqua Grubb,haletant.

Ce fut un instant de triomphe. Les flammes disparurent. Tousceux qui avaient réussi à se caser autour aplatissaient contreterre les bords de la bâche. Bert maintenait un des coins avec sesdeux mains et un pied. Mais les transports de joie diminuèrentquand on vit la toile se gonfler. Comme incapable de soutenir lamystification plus longtemps, la bâche se fendit au beau milieu, enun joli sourire rouge, tout à fait comme s’ouvre une bouche. Elleéclata de rire en lançant une bouffée de flammes dont les lueurs sereflétèrent dans les verres de lunettes de son distinguépropriétaire. Tout le monde recula.

– Sauvez la voiturette, – cria quelqu’un, et ce fut la dernièrephase de la lutte.

Mais il fut impossible de détacher la voiturette. Le sièged’osier avait pris feu et le tout fut bien vite consumé. Un silenceconsterné s’abattit sur l’attroupement. Quelques traînées depétrole flambaient encore et la voiture d’osier rôtissait encrépitant. La foule se divisa d’elle-même en un cercle extérieur decritiques, de conseilleurs et de figurants qui n’avaient joué dansl’affaire que des rôles insignifiants ou pas de rôle du tout, – eten un groupe central de protagonistes agités et désolés.

Un jeune homme à l’esprit inquisiteur, et possédant uneconnaissance approfondie des motocyclettes, se cramponna à Grubb etcommença à soutenir avec force arguments que l’accident n’auraitpas dû se produire. Comme Grubb ne lui accordait qu’une attentiondistraite et ne lui répondait que par monosyllabes, le jeune hommeregagna les derniers rangs de la foule et se mit en devoir dedémontrer au bénévole vieux monsieur en chapeau haut de forme queles individus qui étaient assez fous pour monter des machines dontils ne connaissaient pas le maniement ne pouvaient s’en prendrequ’à eux-mêmes quand les accidents leur arrivaient.

Le vieux monsieur le laissa parler pendant un moment, puisdéclara sur un ton de joie extasiée :

– Je suis un peu sourd ! … Quelles abominablesinventions !

Un petit homme au teint rose, et coiffé d’un chapeau de paille,réclama l’attention générale :

– Moi, j’ai sauvé la roue de devant ! Le pneu aurait brûlé,si je ne l’avais pas fait tourner sans arrêt.

C’était vrai. La roue de devant, munie encore de sonpneumatique, restait intacte et continuait à tourner lentementparmi les ruines noircies et tordues de la motocyclette. Elle avaitquelque chose de cet air de vertu consciente, d’impeccablerespectabilité qui distingue un gérant d’immeubles dans un quartierpauvre.

– Cette roue vaut bien encore une livre sterling. Je l’ai faittourner sans arrêt, répétait l’homme au teint rose.

Indiscontinûment, de nouveaux spectateurs survenaient avec unemême question, qui agaçait spécialement Grubb :

– Qu’est-ce qu’il y a ?

Pourtant des gens se détachaient de l’attroupement, remontaientsur des machines roulantes, de toutes formes et de tous modèles, etrepartaient dans la direction de Londres, avec l’air satisfait decurieux qui n’ont rien perdu d’un beau spectacle. On entendaitleurs voix s’éloigner dans le crépuscule, avec, de temps en temps,un éclat de rire au souvenir de quelque incident particulièrementsaillant.

– Je crains bien que ma bâche ne soit hors d’usage à présent, –opina l’automobiliste.

Grubb avoua que le propriétaire de ladite bâche était placémieux que personne pour en juger.

– Ne puis-je rien faire d’autre pour vous ? – insistal’automobiliste, non sans une pointe d’ironie, parut-il.

Bert reconquit toute son énergie.

– Ma foi, si ! – dit-il. – Voilà une jeune dame quitrouvera la porte fermée, si elle n’est pas rentrée à dix heures.Vous comprenez ? Tout mon argent était dans la poche de monveston, qui est enfoui dans les décombres…, trop chaud pour qu’on ytouche… Est-ce que Clapham est sur votre route ?

– Tous les chemins mènent à Londres, – répondit l’élégantautomobiliste, en se tournant vers Edna. Tout à fait charmé,madame, si vous nous faites l’honneur d’accepter une place dans lavoiture. Nous sommes déjà bien en retard pour le dîner, aussi ladifférence ne sera-t-elle pas grande de rentrer par Clapham. D’unefaçon ou de l’autre, il nous faut regagner Surbiton. Mais vousjugerez, je crois, notre allure un peu lente.

– Qu’est-ce que Bert va devenir, alors ? – s’inquiétaEdna.

– Je ne vois guère le moyen d’installer aussi M. Bert, malgrétout mon désir de vous être agréable, s’excusa le distinguépersonnage.

– Vous ne pourriez pas prendre toute la ferraille ? demandaBert, indiquant de la main les ruines de sa moto.

– J’en suis désolé, mais je ne le puis guère. Tout à faitdésolé, croyez-moi.

– Alors, je reste là, – décida Bert. – Partez sans moi,Edna.

– C’est bien triste de vous laisser seul, Bert.

– Pas moyen de faire autrement, Edna.

– Du courage, Bert, et à bientôt, – fit Edna d’un ton enjoué,qui sonnait faux.

– À bientôt, Edna.

– On se verra demain.

– Demain, – acquiesça Bert, qui, en réalité, avant de revoirEdna, allait contempler une bonne part du globe habité.

Au dernier regard qu’elle put lui lancer, Edna vit Bert debout,dans le crépuscule, en bras de chemise noircis et roussis. Figuremélancolique, il méditait profondément devant le monceau deferraille et de cendres qui représentait sa défunte motocyclette.Son nombreux entourage était réduit à une demi-douzaine de curieuxobstinés. Flossie et Grubb se préparaient, eux aussi, àl’abandonner.

Bert se mit à enflammer des allumettes, sur une boite empruntéeà un spectateur, pour retrouver dans les décombres une pièce d’unedemi-couronne qui persistait à se cacher. Sa face était grave etsombre.

– Je donnerais je ne sais quoi pour que ce ne soit pas arrivé, –dit Flossie, en s’élançant derrière Grubb.

Enfin, Bert demeura seul, Prométhée triste et déçu, victime d’unfeu qu’il n’avait pas dérobé. De confuses idées s’agitaient dansson esprit : il songeait à louer une charrette pour s’y jucher avecles restes de sa machine, à procéder à de miraculeuses réparations,à arracher encore quelques fragments utilisables à ce qui avait étéle plus précieux de ses liens. Mais, dans les ténèbres quis’épaississaient, il voyait vite la vanité de ces bellesintentions. La réalité s’imposait, inexorable et glaciale.

Empoignant le guidon, il redressa la machine et essaya de lafaire rouler. La roue d’arrière, sans pneumatique, étaitirrémédiablement faussée. Pendant quelques minutes, il resta là,immobile et désespéré, maintenant droite la motocyclette. Puis,d’un grand effort, il poussa cette ruine sur le bord du fossé, luiassena un coup de pied, et se mit résolument en route,pédestrement, dans la direction de Londres.

Pas une fois il ne tourna la tête.

– C’est la fin de l’histoire, – marmonnait-il. – Plus deteuf-teuf pour au moins deux ans, mon vieux Bert. Adieu, lesbalades !… Et dire qu’il y a trois ans j’ai refusé uneoccasion superbe de vendre la maudite carcasse !

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