La Guerre dans les airs

2.

Le dirigeable alors oscilla sans discontinuer, et Bert sedisposa à regagner sa cabine. Il était trempé, glacé, affaibli pard’atroces nausées et terrifié autant qu’on peut l’être. Ses genouxet ses mains avaient perdu toute force et ses pieds ne savaientplus se tenir sur le plancher de métal : une mince couche deverglas avait recouvert la galerie.

Il ne sut jamais combien de temps il lui fallut pour gravirl’échelle, mais quand, plus tard, il y pensa, il lui parut que sonascension avait duré deux heures. Partout, au-dessus, au-dessous,autour de lui, béaient des gouffres monstrueux où le vent hurlait,et où tourbillonnaient des rafales de neige. Et il n’était séparéde cet enfer que par un faible plancher et une légère balustrade,qu’on eût dit pris de fureur contre lui et s’acharnant à l’arracherà son point d’appui pour le précipiter dans l’espace.

Une fois, il crut qu’une balle sifflait à son oreille et que lesnuées de neige s’éclairaient d’une lueur subite ; mais il netourna même pas la tête pour voir quel nouvel assaillant survenait.Il n’avait plus qu’un but, un but unique ; regagner sacabine ! … Le bras avec lequel il se cramponnait céderait-il,se briserait-il ? Une poignée de grêlons lui flagella la faceet il resta un moment à bout de souffle et presque sansconnaissance.

Tiens bon, Bert ! – se disait-il. Et il redoublad’efforts.

Avec une sensation d’immense soulagement, il se trouva dans lepassage, à l’abri enfin ! Mais le passage se comportait commeun cornet à dés, avec l’évidente préoccupation de le secouer tout àson aise avant de le lancer au-dehors. Bert, avec l’obstinationconvulsive de l’instinct, s’étaya contre les parois, jusqu’à ce quele ballon piquât du nez. Alors, il fit deux ou trois pasprécipités, et s’amarra de nouveau quand la proue se releva.

Enfin, une dernière secousse le jeta dans la cabine.

Il n’était plus qu’une loque humaine anéantie par la nausée. Ilne pensait qu’à se fixer en un lieu stable, où il n’aurait plus àse cramponner à quoi que ce soit. Ouvrant le coffre, il se laissachoir au milieu d’objets disparates, sur lesquels il resta vautré,comme une chose sans consistance, et, à chaque balancement del’aéronat, sa tête heurtait alternativement les parois. Lecouvercle se referma brusquement sur lui. Il n’en eut cure et ne sesoucia plus aucunement de ce qui se passait : peu lui importaientla bataille, les attaques et les ripostes, les projectiles quipouvaient l’atteindre et le réduire en miettes. Une rage et undésespoir inarticulés, seuls, le soutenaient faiblement.

– C’est idiot ! – bredouillait-il, en guise de commentairedéfinitif sur l’ambition humaine, sur l’esprit d’aventure et deconquête, sur l’enchevêtrement de circonstances dans lequel ils’était trouvé pris. – C’est idiot ! – répétait-il, entre deuxhoquets, comprenant l’univers entier dans cette condamnationgénérale, et il souhaitait d’être mort.

Quand bientôt le Vaterland s’élança hors du tumulte del’ouragan, Bert ne vit pas les étoiles qui constellaient leciel ; pas plus qu’il n’avait été le témoin du duel soutenupar l’aéronef contre les deux aéroplanes qui avaient éventré lescompartiments d’arrière, ni de la façon dont les agresseurs furentrepoussés sous une grêle d’explosifs, tandis que le vaisseau aérienvirait de bord pour fuir.

Le spectacle de ces deux admirables oiseaux de nuit fondant avecun héroïsme désespéré sur l’aéronat fut perdu pour Bert. Défoncépar le choc, le Vaterland se vit à deux doigts de saperte ; il dégringola impétueusement, emportant avec lui,accroché dans son hélice brisée, l’aéroplane ennemi dont lespilotes tentaient l’abordage. Tout cela ne signifiait rien pourBert, affalé dans son coffre, sinon un redoublement de roulis et detangage.

– C’est idiot !

Quand l’aéroplane américain se détacha enfin, après que ceux quile montaient eurent été tués ou précipités dans le vide, Bertn’apprécia le fait que parce que le Vaterland fit dans lesairs un bond prodigieux, cause d’un nouveau vertige.

Enfin, ce fut un soulagement immense, une délivranceincroyable ! Le roulis, le tangage, les secousses, tout avaitcessé brusquement et absolument. Le Vaterland ne luttaitplus dans la tempête. Ses moteurs disloqués et fracassés neronflaient plus ; le dirigeable était désemparé et fuyaitdevant la rafale, aussi mollement qu’un ballon ; il voguaitcomme une énorme épave, comme une immense loque déchiquetée.

Ce calme soudain ne fut pour Bert que la fin d’une série desensations désagréables. Il ne désirait pas savoir ce qui étaitarrivé à l’aéronef, ni ce qu’il était advenu de la bataille.Longtemps il demeura étendu, appréhendant à toute minute de sentirrecommencer les balancements du vaisseau et ses propres nausées.C’est avec cette angoisse qu’enfermé dans son coffre il finit pars’endormir.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer