La Guerre dans les airs

2.

Après le départ de la première flotte, qui détruisit New York,les Allemands en équipèrent immédiatement une seconde. C’est alorsque l’Angleterre, la France, l’Espagne et l’Italie se mirent de lapartie. Aucun de ces pays ne s’était préparé à la guerre aériennesur une aussi vaste échelle que l’Allemagne, mais chacun,cependant, avait gardé ses secrets, chacun, dans une certainemesure, avait pris ses précautions, car une crainte commune de labrutalité germanique et de ses tendances agressives, qu’incarnaitle prince Karl Albert, avait rapproché ces nations dansl’appréhension inavouée d’une offensive. Il leur fut donc aisé decoopérer promptement.

Les Anglais, inquiets de leur Empire asiatique, et comprenantl’immense effet moral qu’exerceraient les aéronefs sur despopulations encore ignorantes, avaient établi leurs parcsaéronautiques dans le nord de l’Inde, de sorte qu’ils ne jouèrentqu’un rôle secondaire dans le conflit européen. Pourtant, ilspossédaient, dans les îles Britanniques, neuf ou dix grandsdirigeables, une trentaine de moindres et une variété d’aéroplanesd’expérimentation. Avant que le prince Karl Albert eût passéau-dessus de l’Angleterre, – alors que Bert contemplait à vold’oiseau le district de Manchester – les pourparlers diplomatiquesétaient engagés qui aboutirent à une attaque contre l’Allemagne.Une flotte hétéroclite, comprenant des unités de tous types et detoutes dimensions, se rassembla au-dessus de l’Oberland bernois,défit et incendia vingt-cinq aéronats suisses qui voulurentinopinément s’opposer à cette concentration ; puis,abandonnant dans les glaciers alpestres ces étranges épaves, lesalliés se divisèrent en deux escadres, avec le dessein deterroriser Berlin et de détruire le parc de Franconie, avant que laseconde flotte allemande fût prête.

Les assaillants, amplement pourvus d’explosifs, causèrent, tantà Berlin qu’en Franconie, des dommages énormes. Mais douze aéronatsgéants, et cinq autres partiellement gonflés seulement, aidés d’uneflottille de Drachenflieger venus de Hambourg, purent à lafin tenir tête à l’ennemi, lui infliger une défaite, le disperseret secourir Berlin. Les Allemands multipliaient de surhumainsefforts pour mettre en action une Armada écrasante, et ilsinvestissaient déjà Paris et Londres, quand les escadres envoyéesen avant-garde par les Asiatiques furent signalées aux Indes et enArménie, comme un facteur nouveau dans le conflit.

À ce moment déjà, la charpente financière du monde tremblait surses bases. Avec la destruction des forces navales américaines del’Atlantique, avec le désastre qui annihila les prétentionsallemandes dans la mer du Nord, avec la mise à sac etl’anéantissement de richesses incalculables dans les quatre plusgrandes cités du monde, on connut, pour la première fois et avec labrutalité d’un coup de poing en plein visage, le prix de revient dela guerre. Le crédit s’effondra dans un tourbillon affolé d’ordresde vente. Partout un phénomène se produisit qui s’était déjà, à undegré moindre, manifesté en des périodes précédentes de panique :le désir de posséder et d’entasser de l’or, avant que les coursfussent complètement tombés. Le mouvement se répandit comme unetraînée de poudre et devint universel. Dans les airs, c’était laguerre visible et la destruction ; en bas, un cataclysmeinfiniment plus désastreux et irréparable pour le fragile édificede la finance et du commercialisme, dans lequel les hommes avaientsi aveuglément mis leur confiance. À mesure que les aéronats sebattaient, l’approvisionnement d’or s’évanouissait. Une épidémied’accaparement privé et de méfiance universelle s’abattit sur lemonde entier. En quelques semaines, la monnaie, à part le papierdéprécié, disparut dans des caves, dans des trous, dans des murs,dans des millions de cachettes. La monnaie disparut, et, avec sadisparition, ce fut la fin du commerce et de l’industrie. Le mondeéconomique chancela et s’affaissa, tel un homme vigoureux succombesous le coup de quelque maladie subite. Comme le liquide quitransporte les globules du sang se tarit dans les veines et lesartères d’une créature vivante, ce fut une soudaine et universellecoagulation de tout négoce.

Pendant que le système du crédit, qui avait été la forteresseimprenable de la civilisation scientifique, vacillait et s’écrasaitsur les millions d’êtres dont il avait assuré les relationséconomiques, pendant que les peuples perplexes, défiants etdésemparés, contemplaient cette merveille complètement détruite, –les aéronats de l’Asie, innombrables et implacables, se déversaientà travers les cieux, s’envolaient à l’est vers l’Amérique, àl’ouest vers l’Europe.

Cette page de l’histoire est un long crescendo de batailles.

Les Allemands subirent un désastre à la grande bataille desCarpates.

Le gros des forces aériennes indo-britanniques périt dans laBirmanie sur un bûcher d’antagonistes embrasés. La vaste péninsuledes Indes fut d’un bout à l’autre livrée à l’insurrection et à laguerre civile, et, du désert de Gobi au Maroc, se levèrent lesétendards de la Guerre Sainte, du Djehad.

Pendant quelques semaines d’hostilités et de dévastation, on eûtpu croire que la Confédération de l’Asie orientale allait conquérirle monde. Mais alors, le hâtif échafaudage de la civilisationmoderne de la Chine céda aussi sous l’effort trop grand. Lapaisible et pullulante population de l’Asie orientale ne s’était «occidentalisée » qu’avec la plus extrême répugnance, au début duXXe siècle. Sous l’influence européenne et japonaise, elle avaitété contrainte d’accepter les méthodes sanitaires, les contrôles depolice, le service militaire et tout un système générald’exploitation contre lequel ses traditions se révoltaient. Pendantla guerre, la patience de ces populations atteignit ses limites.Toute la Chine se souleva en une anarchique rébellion, qui devintirréductible, grâce à la destruction du gouvernement central dePékin par une poignée d’aéronats anglais et français, survivantsdes grandes batailles. À Yokohama, on vit des barricades, ledrapeau noir et la révolution. Dès lors le monde entier ne fut plusqu’un abîme de guerre et de massacre.

Comme une sorte de conséquence logique, un effondrement socialuniversel suivit de près le conflit mondial. Partout où lespopulations étaient agglomérées, des masses énormes de gens setrouvèrent sans travail, sans argent et sans nourriture. Moins detrois semaines après le commencement des hostilités, la faminerégnait dans les classes ouvrières. Un mois ne s’était pas écoulé,qu’il ne restait plus nulle part une ville où l’ordinairefonctionnement de la loi n’eût fait place à quelque forme degouvernement provisoire, qui recourait à l’emploi des armes à feuet aux exécutions militaires dans d’autres buts que de maintenirl’ordre et de réprimer les violences.

Et chaque jour, dans les quartiers de misère, dans les districtspopuleux et parmi les classes même qui avaient été riches, lafamine étendait ses ravages.

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